Décrite pour la première fois par le physicien T.W.B. Kibble en 1976, les cordes cosmiques sont des défauts topologiques unidimensionnels apparus à l’issue de la période inflationnaire, dans les premiers instants de l’univers. Comme nous le rappelions dans un précédent article présentant les cordes cosmiques, celles-ci, si elles existent, constituent d’importantes sources d’ondes gravitationnelles et peuvent être à l’origine de sursauts gravitationnels détectables.
L’astronomie des ondes gravitationnelles s’est récemment considérablement développée avec les détecteurs LIGO et Virgo. L’observation et l’analyse d’ondes gravitationnelles en provenance de fusions de trous noirs (1) et d’étoiles à neutrons (2) ont apporté de précieuses informations sur la dynamique de l’univers. Grâce à ces informations, les physiciens ont eu accès à de nouvelles pistes de recherche concernant de possibles signatures gravitationnelles des cordes cosmiques.
Ainsi, dans une publication parue sur arXiv le 5 décembre 2017 (3), l’équipe internationale de physiciens (plus de 200 membres) dirigeant la collaboration LIGO présente les premières contraintes numériques précises, sur plusieurs paramètres conditionnant l’existence des cordes cosmiques. Pour ce faire, les chercheurs ont analysé les données recueillies par LIGO entre 2015 et 2016.
Des contraintes plus précises sur l’existence des cordes cosmiques grâce à LIGO
Les cordes cosmiques sont à l’origine de deux types de signaux gravitationnels (4). Premièrement, les cordes cosmiques émettent des ondes gravitationnelles de faible amplitude lorsque les boucles qu’elles forment se désintègrent progressivement. Deuxièmement, lorsque les cordes s’entremêlent, des configurations spécifiques sous la forme différentes topologie du vide apparaissent au sein du réseau ; ces configurations sont très instables et peuvent être à l’origine de sursauts gravitationnels extrêmement violents (5).
Mais les cordes cosmiques peuvent également être la source d’autres phénomènes observables. Leur extrême densité spatiale devrait produire des effets détectables comme des phénomènes de lentilles gravitationnelles (6), des émissions de rayons cosmiques à haute énergie (7) ou encore des variations (anisotropies) dans le fond diffus cosmologique (8).
En recherchant des signatures de ces phénomènes dans les données issues de leurs observations, les physiciens peuvent ainsi poser des contraintes précises sur les paramètres décrivant les cordes cosmiques. Les premières contraintes ont été posées grâce aux données issues de la quantification des abondances nucléiques produites par la nucléosynthèse primordiale (9). Par la suite, ces contraintes se sont affinées grâce aux résultats de Planck sur l’étude du fond diffus cosmologiques (10) puis grâce aux réseaux de pulsars millisecondes (11).
Mais grâce aux données recueillies par LIGO entre septembre 2015 et janvier 2016, soit 48.2 jours de temps d’observation effectif, les physiciens de la collaboration du même nom ont réussi à poser pour la première fois des contraintes sur l’existence des cordes cosmiques dépassant la précision de celle atteinte par l’étude des abondances nucléiques et égalant celle atteinte par l’étude des anisotropies du fond diffus cosmologique. En outre, de nouvelles contraintes sur certains paramètres jusqu’alors non-étudiés ont également été déterminées.
Pour ce faire, les physiciens ont cherché des traces de signaux gravitationnels spécifiques dans les données de LIGO. Les auteurs se sont basés sur de précédents travaux ayant déterminé la forme et la gamme de fréquence des ondes gravitationnelles issues des cordes cosmiques (12, 13). Ils ont ainsi pu créer un filtre numérique permettant d’identifier, dans le flux de données de LIGO, les formes et fréquences correspondantes, tout en éliminant les bruits parasites et les faux-positifs (14).
Au terme de l’analyse numérique, et malgré quelques signaux ambigus mais vite réfutés, aucune signature gravitationnelle correspondant à celles attendues pour les cordes cosmiques n’a pu être identifiée. Cependant, grâce à leurs analyses, les chercheurs ont pu déterminer des limites précises aux différents paramètres caractérisant les cordes cosmiques afin de préciser les conditions d’existence de ces dernières.
1. La tension des cordes cosmiques
La tension des cordes cosmiques est exprimée par la relation Gμ, avec « G » la constante gravitationnelle et « μ » la masse par unité de longueur. Les cordes cosmiques sont des objets pouvant être étudiés dans le cadre des équations de la relativité générale. Ces équations font apparaître un terme de tension, similaire à celui des cordes en théories des cordes, traduisant la minimisation de la surface d’univers décrite par les cordes cosmiques au cours de leur propagation dans l’espace-temps (15).
Contraindre précisément ce paramètre est important car c’est la tension qui détermine les gammes de fréquences des ondes gravitationnelles émises par les cordes cosmiques. La tension étant directement proportionnelle à la masse des cordes, connaître la valeur de la tension permet de déterminer des seuils précis d’observation et d’affiner la sensibilité des détecteurs.
Les données étudiées montrent que Gμ < 1×10-9 avec une fidélité de 90%. Par comparaison, les données issues de l’étude de l’abondance nucléique donnent Gμ < 1×10-8 avec une fidélité de 82%. En revanche, cette précision est moins importante que celle apportée par les réseaux de pulsars millisecondes qui donnent Gμ < 1×10-12. Le résultat obtenu est pourtant capital puisqu’il démontre que la tension peut être contrainte par l’étude directe des ondes gravitationnelles.
2. Densité totale d’énergie des ondes gravitationnelles émises par les cordes cosmiques
La densité totale d’énergie des ondes gravitationnelles, notée « Ω », est l’énergie par unité de volume associée aux ondes gravitationnelles. Pour déterminer une limite supérieure à cette densité totale, les physiciens se sont basés sur un autre paramètre lié à l’univers primordial : le nombre effectif de degrés de liberté relativistes, noté « Neff », durant l’époque de la nucléosynthèse primordiale. Il s’agit du nombre de degrés de liberté attachés aux particules possédant une vitesse relativiste. À l’époque de la nucléosynthèse primordiale, la plus grande contribution de particules relativistes est apportée par les photons et les neutrinos.
De précédents travaux (16) ont déterminé que, lors de la nucléosynthèse primordiale, Neff pouvait en réalité être simplement ramené au nombre effectif de degrés de liberté des neutrinos, c’est-à-dire Neff = 3.046. En outre, une équipe de physiciens menée par Richard H. Cyburt a également déterminé la contrainte supérieure stricte Neff – 3.046 < 1.4 (17). Ces contraintes sur Neff sont intéressantes car, si l’observation venait à indiquer une valeur différente de 3.046, cette différence pourrait être attribuée à l’émission d’ondes gravitationnelles en provenance de cordes cosmiques antérieurement à la nucléosynthèse primordiale.
En utilisant ces contraintes, les auteurs ont pu dériver une formule permettant de déterminer une limite supérieure à la densité d’énergie totale Ω des ondes gravitationnelles émises par les cordes cosmiques. Puisque des cordes sont apparues durant l’ère du rayonnement et d’autres durant l’ère de la matière, les physiciens ont calculé une limite supérieure pour l’époque de la nucléosynthèse primordiale et pour l’époque du fond diffus cosmologique.
Ainsi, pour la nucléosynthèse primordiale, les physiciens ont calculé Ω(GW/BBN) < 1.75×10-5 et pour l’émission du fond diffus cosmologiques Ω(GW/BBN) < 3.7×10-6. Ces valeurs sont obtenues respectivement avec une fidélité de 95% et 90%. Ces valeurs permettront aux scientifiques de circonscrire plus efficacement leurs recherches de signatures gravitationnelles dans le fond d’ondes gravitationnelles.
3. Fréquences des ondes gravitationnelles émises par les cordes cosmiques
Enfin, les auteurs démontrent que l’époque à laquelle se sont formées les cordes cosmiques est déterminante. En effet, les cordes cosmiques se sont globalement formées à deux époques différentes de l’univers : l’ère du rayonnement (z > 3300) et l’ère de la matière (z < 3300). En effet, le type de corde cosmique est déterminé en fonction de l’énergie à laquelle elle se forme, donc en fonction de l’énergie de l’univers à ce moment là. Or, l’énergie de l’univers est différente d’une époque à l’autre. Le type de corde diffère donc selon que l’on se place durant l’ère du rayonnement ou durant l’ère de la matière.
Selon le type de corde cosmique (local ou global), la fréquence des ondes gravitationnelles émises varie. Les physiciens montrent que les cordes cosmiques apparues lors de l’ère du rayonnement génèrent des ondes gravitationnelles de très haute fréquence : 1013 Hz < fGW < 1025 Hz. Tandis que celles apparues durant l’ère de la matière génèrent des ondes gravitationnelles de basse fréquence : 10-10 < fGW < 1013 Hz.
Malgré la largeur des fourchettes à l’intérieur desquelles sont comprises ces gammes de fréquences, la détermination de ces contraintes, même grandes, marque un important pas en avant dans la recherche des cordes cosmiques. Les auteurs rappellent que ces fourchettes ont été déterminées avec un nombre restreint de données et qu’avec l’amélioration progressive de la sensibilité de LIGO et Virgo, des limites bien plus précises seront posées dans le futur.