Microsoft dévoile Majorana 1, le premier processeur quantique à qubits topologiques au monde, ouvrant la voie aux ordinateurs quantiques à un million de qubits. Fabriqué à partir d’un nouveau type de matériau dit « topoconducteur », le processeur permet de produire des qubits hautement stables et pouvant être contrôlés numériquement. Cette avancée constitue un jalon majeur vers les ordinateurs quantiques exploitables – un objectif que l’entreprise estime désormais réalisable plus rapidement que prévu, potentiellement en quelques années plutôt qu’en plusieurs décennies.
Les ordinateurs quantiques pourraient révolutionner un grand nombre de domaines en raison de leur capacité à fonctionner selon les principes de la mécanique quantique. Alors que les bits conventionnels existent sous la forme de 0 ou de 1 (code binaire), les bits quantiques (qubits) peuvent exister dans un état de superposition. Cela permettrait de surpasser largement les capacités de calcul des ordinateurs classiques.
Les applications possibles vont de la chimie à la médecine et l’industrie pharmaceutique, en passant par la science des matériaux, la finance, la cryptographie, etc. La puissance de calcul des ordinateurs quantiques permettrait par exemple de modéliser mathématiquement le comportement des enzymes et des microorganismes avec une précision sans précédent. Cela permettrait de les exploiter plus efficacement pour des domaines tels que l’agriculture, en améliorant par exemple la capacité de fertilisation du microbiome du sol ou en stimulant sa résilience à la sécheresse.
L’informatique quantique permettrait aussi de développer rapidement des matériaux qui s’autoréparent, des plastiques qui se décomposent facilement dans la nature sans sous-produits toxiques, des médicaments multi-cibles, etc. Dans l’ensemble, elle permettrait d’accélérer les processus de calcul qui prendraient des années à réaliser avec des ordinateurs classiques. Les experts estiment en outre qu’une combinaison avec les outils d’IA permettrait d’en améliorer encore la précision et la puissance de calcul.
« Toute entreprise qui fabrique quelque chose pourrait le concevoir parfaitement dès le départ. Elle [l’informatique quantique] vous donnerait simplement la réponse », affirme dans un article de blog de Microsoft, Matthias Troyer, expert technique de l’entreprise. « L’ordinateur quantique enseigne à l’IA le ‘langage de la nature’, de sorte qu’elle peut simplement vous donner la recette de ce que vous voulez faire ».
Une voie vers les ordinateurs quantiques commercialement viables
Cependant, afin de pouvoir effectuer ces calculs, les ordinateurs quantiques doivent disposer d’une architecture pouvant prendre en charge au moins un million de qubits, de sorte à pouvoir réaliser rapidement des milliers de milliards d’opérations. Or, les qubits sont intrinsèquement instables et très sensibles au bruit environnemental. Leur état quantique peut également être altéré par les mesures, sans compter que leur vulnérabilité aux erreurs augmente proportionnellement au nombre de qubits pris en charge.
Troyer et ses collègues proposent une approche inédite pour le développement de qubits pouvant être mesurés et contrôlés, tout en étant suffisamment stables pour nécessiter moins de correction d’erreurs. Appelés qubits topologiques, ils offrent un avantage considérable en matière de vitesse, de taille et de contrôlabilité.
« Tout ce que vous faites dans le domaine quantique doit avoir un chemin vers un million de qubits. Si ce n’est pas le cas, vous allez vous heurter à un mur avant d’atteindre l’échelle à laquelle vous pouvez résoudre les problèmes vraiment importants », explique Chetan Nayak, également membre technique de Microsoft. « Nous avons en fait trouvé la voie vers un million de qubits », affirme-t-il. Les résultats de la recherche ont récemment été publiés dans la revue Nature.
Un matériau capable de produire un nouvel état de la matière
D’après les chercheurs, les qubits topologiques constitueraient la voie la plus prometteuse pour des qubits évolutifs et suffisamment contrôlables pour fournir une puissance calcul commercialement viable. Cela nécessite des processeurs quantiques topoconducteurs (ou supraconducteurs topologiques), un type de matériau qui serait capable de produire un nouvel état de la matière et des particules quantiques exotiques appelées « Majoranas ». Les qubits de Majorana auraient la particularité de cacher des informations quantiques, ce qui les rendrait plus fiables, mais aussi plus difficiles à mesurer.
Cependant, l’une des principales difficultés réside dans le fait que les particules de Majorana n’avaient jusqu’à présent jamais été observées ni créées. Elles n’existent pas dans la nature et ne peuvent être créées qu’en utilisant des champs magnétiques précis et des supraconducteurs.
« C’est une chose de découvrir un nouvel état de la matière, c’en est une autre d’en tirer parti pour repenser l’informatique quantique à grande échelle », explique Nayak. La difficulté de développer les bons matériaux pour les faire exister et exploiter leur état topologique serait l’une des raisons pour lesquelles la plupart des recherches se concentrent sur le développement d’autres types de qubits.
Le processeur Majorana 1 de Microsoft, composé d’arséniure d’indium et d’aluminium, est conçu spécifiquement pour prendre en charge les qubits éponymes. La plupart des composants ont été conçus et assemblés atome par atome. L’architecture topologique du processeur comprend des nanofils d’aluminium reliés entre eux pour former des structures en forme de H.
Chaque H possède 4 particules de Majorana contrôlables et constitue un qubit. Ces structures en H peuvent aussi être connectées et disposées sur la puce comme des tuiles. D’après l’équipe, le processeur offrirait la possibilité d’intégrer un million de qubits de Majorana dans une seule infrastructure.
Afin de contourner la difficulté de mesure inhérente aux particules de Majorana, les chercheurs ont développé un système permettant d’activer et de désactiver les mesures à l’aide d’impulsions de tension, un peu à la manière d’un interrupteur. Cette approche permet de contrôler numériquement les qubits et d’effectuer des mesures ultra-précises.
Par ailleurs, le processeur dispose d’un ensemble de dispositifs de soutien pour fonctionner de manière stable. Cela inclut un refroidisseur à dilution maintenant les qubits à des températures plus basses que celles de l’espace interstellaire. Il dispose également d’un ensemble de logiciels de contrôle pouvant s’intégrer à l’IA et aux ordinateurs classiques.
Toutefois, plusieurs années de travail seront encore nécessaires pour affiner les processus et intégrer le processeur aux infrastructures à grande échelle, précisent les chercheurs. Néanmoins, l’entreprise estime que cette avancée pourrait mener vers des ordinateurs quantiques commercialement viables plus rapidement qu’on le pensait. Microsoft fait d’ailleurs partie d’un programme de la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) visant à évaluer les avancées et les perspectives en matière d’informatique quantique.