L’essor de l’intelligence artificielle alimente un débat intense sur sa réelle contribution et son impact économique. Récemment interrogé sur le sujet, Satya Nadella, PDG de Microsoft, a dressé un constat nuancé, pointant du doigt un bilan mitigé, en particulier sur l’intelligence artificielle générale (IAG). Malgré l’engouement médiatique et les investissements colossaux de Microsoft et d’OpenAI, il estime que l’IA n’a pas encore démontré sa pleine valeur ni généré d’impact économique significatif. Critiquant certaines déclarations sur l’IAG, qu’il qualifie de « piratage de référence absurde », Nadella appelle à une évaluation plus rigoureuse des progrès du secteur.
Dans un contexte de mutation technologique accélérée, où l’intelligence artificielle redessine progressivement les stratégies des entreprises, Satya Nadella a récemment pris la parole lors d’une interview pour livrer sa vision. Au cours d’une discussion d’une heure avec Dwarkesh Patel, le PDG de Microsoft a surpris de nombreux observateurs du secteur par son analyse pragmatique. Il a notamment abordé les critères permettant de mesurer l’impact réel de l’IA, la lenteur de son influence économique et les avancées de Microsoft dans le domaine de l’informatique quantique.
De son côté, Sam Altman, PDG d’OpenAI, adopte une approche plus enthousiaste. Il considère que l’intelligence artificielle pourrait provoquer une transformation économique d’une ampleur inédite, dépassant les révolutions technologiques passées. Pour étayer son propos, il identifie trois grandes tendances liées à l’essor de l’IA.
D’abord, Altman souligne que la performance des modèles d’IA suit une progression logarithmique en fonction des ressources informatiques allouées. En d’autres termes, les investissements massifs dans la puissance de calcul, les données et l’inférence continuent de produire des gains prévisibles. Ensuite, il observe une chute vertigineuse du coût d’utilisation de l’IA, qui diminuerait d’un facteur dix chaque année.
Des visions divergentes sur l’impact économique de l’IA
À titre d’exemple, selon Altman, en 2023, le coût par mot généré par GPT-4 était bien supérieur à celui de GPT-4o en 2024, une évolution qui dépasserait selon lui largement les prévisions de la loi de Moore. Enfin, il estime que même une progression linéaire des capacités de l’IA pourrait suffire à générer une croissance économique soutenue, alimentant ainsi des investissements qui, pour l’instant, ne montrent aucun signe de ralentissement.
Il anticipe également l’émergence d’agents IA capables d’assister les ingénieurs logiciels et de s’intégrer dans divers secteurs, avec un impact économique comparable à celui de l’arrivée des transistors. Si les changements paraissent progressifs, leur portée pourrait être révolutionnaire.
À l’inverse, Nadella adopte une approche plus prudente, malgré les 12 milliards de dollars investis par Microsoft dans OpenAI. Selon lui, les avancées actuelles de l’intelligence artificielle ne constituent pas des indicateurs fiables de son évolution future. Il remet en question l’impact des agents IA d’OpenAI, censés transformer l’économie, mais qui, selon lui, nécessitent encore une supervision constante et progressent plus lentement que prévu.
« Nous nous attribuons des avancées en IAG, mais ce n’est pour moi qu’un piratage de référence absurde », a-t-il déclaré. Plutôt qu’une révolution immédiate, il compare l’IA à l’invention de la machine à vapeur durant la révolution industrielle. Pour lui, les véritables progrès ne se mesureront pas à des prouesses technologiques ponctuelles, mais à des gains de productivité substantiels et à une accélération tangible de la croissance économique.
« Si nous voulons comparer cela à la révolution industrielle, nous devons en observer les mêmes effets en matière de croissance », insiste-t-il. Nadella estime que les véritables bénéficiaires de cette transformation seront les industries qui sauront exploiter l’IA comme une ressource abondante. « La productivité doit croître et l’économie progresser à un rythme accéléré », souligne-t-il, ajoutant que selon lui, « le véritable indicateur de rupture serait une croissance mondiale d’au moins 10 % ».
Une économie en attente du véritable essor de l’IA ?
Selon Nadella, l’économie mondiale ne montre aucun signe d’accélération notable sous l’effet de l’IA. Il pointe du doigt plusieurs défis persistants, notamment les biais et « hallucinations » des modèles d’IA, ainsi que les enjeux liés à la cybersécurité. Reste à savoir si ces obstacles seront surmontés avec le temps ou s’ils limiteront durablement l’impact de la technologie.
Malgré ces réserves, Microsoft poursuit ses investissements massifs dans le secteur. L’entreprise vient notamment de signer un accord pour exploiter en partie l’infrastructure énergétique de Three Mile Island afin d’alimenter ses centres de données.
Elle s’est également engagée aux côtés de Sam Altman dans le projet Stargate, une initiative à 500 milliards de dollars soutenue par Donald Trump, et prévoit d’injecter 80 milliards de dollars supplémentaires dans le développement de l’IA. Un paradoxe apparent au regard des mises en garde de Nadella sur la valeur économique actuelle réelle de cette technologie.
Une forte augmentation de la demande en calcul
Lors de son intervention, Nadella a également souligné la forte augmentation de la demande en puissance de calcul. Selon lui, Microsoft devra poursuivre le développement de ses infrastructures pour accompagner l’entraînement de ses futurs modèles d’IA. Toutefois, il met en garde contre un risque de « surproduction », expliquant que l’investissement dans ces capacités ne se limite plus aux entreprises, mais implique désormais les États.
Le PDG de Microsoft prévoit d’ailleurs de louer une partie importante de ces ressources. « Je suis ravi de pouvoir louer beaucoup de capacité en 2027 et 2028 », a-t-il déclaré durant l’interview. « L’effet inévitable de cette prolifération des infrastructures de calcul sera la baisse des prix », ajoute-t-il.
Enfin, Nadella a mis en avant la dernière avancée de Microsoft en informatique quantique : une nouvelle puce quantique qu’il compare à un « moment transistor », en référence à l’impact décisif du transistor sur l’histoire de l’informatique. Cette innovation pourrait ouvrir la voie aux premiers ordinateurs quantiques dotés de plusieurs millions de qubits, une étape importante vers les ordinateurs quantiques viables et « à grande échelle ». Selon lui, cette technologie pourrait voir le jour d’ici 2030.