Des chercheurs ont développé un essaim de robots capables d’adopter n’importe quelle forme et de passer aisément d’un état rigide à un état souple. Inspiré du développement embryonnaire, cet essaim est constitué de robots autonomes programmés pour s’assembler et se désassembler de manière fluide, selon la structure et la résistance souhaitées. Ces propriétés peuvent être activées et contrôlées à distance grâce à un simple jeu de lumière polarisée.
Les essaims de robots modulaires font l’objet de recherches depuis plus d’une décennie en raison de leur potentiel dans des domaines variés. Exploitant une forme d’intelligence collective, ils sont capables d’exécuter des tâches complexes et de s’adapter à des environnements difficiles. Leur capacité à changer de forme leur permet, par exemple, de se faufiler à travers des fissures pour accéder à des zones inaccessibles aux sauveteurs.
Toutefois, les conceptions actuelles présentent encore des limites. Certains essaims, bien que dynamiques et flexibles, ne disposent pas de la rigidité nécessaire pour supporter des charges importantes. D’autres, plus solides, peinent à se reconfigurer sans perturber la cohésion du groupe. Concevoir un essaim capable d’être à la fois rigide et malléable représente ainsi un défi majeur dans le domaine de la robotique modulaire.
Pour répondre à cette problématique, une équipe de recherche codirigée par l’Université technique de Dresde a développé un essaim robotique bio-inspiré, capable de se « solidifier » instantanément tout en conservant la souplesse d’un fluide. « Les matériaux robotiques doivent être en mesure de prendre une forme et de la maintenir, tout en étant capables de se reconfigurer sélectivement », explique Elliot Hawkes, de l’Université de Californie à Santa Barbara, coauteur principal de l’étude, dans un communiqué de l’Université technique de Dresde.
Des propriétés uniques inspirées des embryons
Pour concevoir cet essaim, les chercheurs se sont inspirés des mécanismes biologiques qui permettent aux embryons de se structurer et de moduler leur rigidité au cours du développement. Ils ont ainsi cherché à reproduire la manière dont les cellules embryonnaires s’auto-modèlent, s’auto-réparent et ajustent leur consistance en fonction des contraintes spatiales et temporelles.
« Dans un embryon, les cellules tissulaires sont capables de passer d’un état fluide à un état solide afin de sculpter les structures de l’organisme – un phénomène connu en physique sous le nom de ‘transition de rigidité’ », explique Otger Campàs, coauteur de l’étude et chercheur à l’Université technique de Dresde.
Lors de cette phase de développement, les cellules s’organisent progressivement pour former des structures dotées de propriétés distinctes, telles que les tissus durs ou mous. Une transition de rigidité leur permet d’adapter leur consistance au fil du processus.
Pour reproduire ce phénomène, l’équipe de recherche s’est concentrée sur trois mécanismes biologiques fondamentaux. Le premier repose sur des forces actives exercées par les cellules, leur permettant de se déplacer et de s’assembler. Le deuxième correspond aux signaux biochimiques qui coordonnent ces mouvements. Enfin, le troisième est l’adhésion cellulaire, qui assure la cohésion et la rigidité de la structure finale.
L’essaim mis au point par les chercheurs est composé de robots autonomes en forme de disques, d’environ 10 centimètres de diamètre, semblables à de petits palets de hockey. L’adhésion cellulaire est ici remplacée par des aimants intégrés dans chaque unité, garantissant ainsi la solidité de l’ensemble.
Les forces actives, quant à elles, sont générées par huit engrenages motorisés disposés sur le pourtour de chaque robot, permettant d’appliquer des forces tangentielles pour moduler la rigidité de la structure. Ces forces assurent la cohésion du groupe tout en permettant sa réorganisation selon les besoins.
Enfin, la signalisation biochimique est remplacée par un système de coordonnées intégré à chaque robot, lui permettant de déterminer sa position et son orientation au sein de l’essaim. Ces robots sont équipés de capteurs de lumière dotés de filtres polarisés, qui leur permettent de recevoir des instructions et d’adapter leur comportement en conséquence.
« Il suffit d’émettre une lumière polarisée uniforme pour que tous les robots reçoivent simultanément l’instruction de se déplacer dans la direction souhaitée et adoptent la configuration nécessaire », précise Matthew R. Devlin, chercheur à l’Université de Californie à Santa Barbara et auteur principal de l’étude, publiée dans la revue Science.
Une capacité de charge de 700 newtons
Grâce à ces propriétés biomimétiques, l’essaim de robots se comporte comme un véritable matériau intelligent. Certaines parties de la structure peuvent se fluidifier pour faciliter les déplacements, tandis que d’autres se rigidifient pour supporter des charges importantes. Cette capacité d’adaptation permet d’optimiser la solidité et la flexibilité en fonction des contraintes.
Lors de tests, l’essaim rigidifié a pu supporter une charge de 700 newtons, soit 500 fois le poids d’un robot individuel, avant que la structure ne se réorganise sous la contrainte. Il a également démontré sa capacité à manipuler des objets et à s’auto-réparer. « Nous avons conçu un système où les robots agissent davantage comme un matériau que comme une simple collection d’entités individuelles », souligne Devlin.
L’essaim testé par l’équipe ne comptait toutefois que 20 unités de taille relativement imposante. Néanmoins, des modélisations informatiques indiquent que cette technologie pourrait être miniaturisée pour aboutir à des essaims de plusieurs milliers d’unités. L’intégration d’algorithmes d’apprentissage automatique pourrait également améliorer le contrôle et l’adaptabilité de ces structures. Ce travail pourrait ainsi contribuer au développement d’une nouvelle génération de matériaux intelligents.