L’éruption du Hunga Tonga-Hunga Haʻapai, survenue à la mi-janvier de cette année, a été particulièrement spectaculaire. Elle fait partie des plus grandes éruptions volcaniques jamais enregistrées. Grâce à des images satellites, une équipe de l’Université d’Oxford affirme que le nuage volcanique généré par cette éruption a atteint une altitude de 57 kilomètres, soit au-delà de la stratosphère. C’est la première fois que l’on voit un panache pénétrer la stratopause.
L’éruption de janvier 2022 était si puissante qu’elle a été entendue à près de 10 000 kilomètres des îles Tonga. Le phénomène a provoqué des tsunamis ressentis jusqu’en Russie, aux États-Unis et au Chili. Selon certains experts, l’événement était comparable à celui de l’éruption de 1883 du Krakatoa. Pour autant, les spécialistes ont estimé que cette éruption n’aurait que peu d’effets sur le climat, de par la localisation du volcan (relativement isolé) et la quantité de matière éjectée (environ 400 kilotonnes).
Les grandes éruptions volcaniques explosives peuvent projeter des matériaux tels que des cendres, des gaz et de l’eau jusque dans la stratosphère, avec des impacts mesurables sur la composition de l’atmosphère et le climat. L’éruption du Mont Pinatubo en 1991 avait par exemple éjecté près de 10 km3 de matériaux volcaniques, ce qui avait abaissé les températures d’environ un demi-degré pendant un à deux ans. La hauteur de son panache avait été estimée à l’époque à 40 kilomètres. Cette fois-ci, et pour la première fois, le nuage de cendres a été observé dans la mésosphère inférieure. Ceci suggère que l’altitude atteinte par le panache de l’éruption du Pinatubo a pu être sous-estimée.
Arborez un message climatique percutant 🌍
Une altitude mesurée grâce à l’effet de parallaxe
Mesurer la hauteur d’un panache volcanique nécessite des observations précises et des calculs minutieux. Elle est généralement estimée en mesurant la température à son sommet et en la comparant aux températures de l’air standard enregistrées à différentes altitudes — sachant que dans la troposphère, la couche la plus basse de l’atmosphère terrestre, la température diminue avec l’altitude. Mais dans le cas d’éruptions majeures, cette méthode devient peu fiable : lorsque le panache volcanique atteint la stratosphère, à une altitude moyenne d’environ 12 kilomètres, les températures de l’air augmentent alors avec l’altitude (car l’air se réchauffe via l’absorption des rayons UV du Soleil).
Les chercheurs ont donc utilisé une autre méthode pour estimer l’altitude, basée sur l’effet de parallaxe. Cet effet — à la base de la vision binoculaire — se traduit par la différence de position apparente d’un objet vu selon des lignes de visée différentes. La parallaxe peut être expérimentée de la façon suivante : fermez un œil, puis tendez le bras devant vous et levez le pouce ; changez d’œil, vous constaterez alors que votre pouce se déplace légèrement par rapport à l’arrière-plan. En mesurant ce changement apparent de position et connaissant la distance entre vos yeux, il est possible de calculer la distance entre vos yeux et votre pouce.
C’est le même principe qui a été utilisé pour mesurer le panache du volcan Tonga. Celui-ci a été observé par trois satellites météorologiques géostationnaires : GOES-17 (USA), Himawari-8 (Japon) et GeoKompSat-2A (Corée). Pendant l’éruption, des images ont été capturées toutes les 10 minutes, permettant d’observer les changements rapides de la trajectoire du panache ; les chercheurs ont donc appliqué l’effet de parallaxe à ces images satellites. Ils ont déterminé une altitude de 57 kilomètres, ce qui correspond à la mésosphère.
Une percée dans la mésosphère qui a sans doute des précédents
La mésosphère désigne la partie de l’atmosphère située entre 48 et 80 kilomètres d’altitude. C’est à cette altitude que les météores qui tombent sur Terre brûlent et provoquent des étoiles filantes. C’est aussi la partie la plus froide de l’atmosphère ; au plus haut point, les températures peuvent atteindre -143 °C.
L’équipe souligne que l’éruption du volcan Tonga a envoyé beaucoup d’eau dans la mésosphère, qui est généralement une partie très sèche de l’atmosphère. « Cela fait de l’éruption un test utile pour déterminer dans quelle mesure nos modèles climatiques et météorologiques peuvent faire face à des conditions inattendues et extrêmes », a déclaré le Dr Simon Proud, scientifique principal du Centre national d’observation de la Terre à l’Université d’Oxford.
Non seulement cette découverte suggère que l’éruption de janvier 2022 pourrait avoir un impact climatique — dont la nature et l’ampleur restent à déterminer — mais elle implique que d’autres éruptions passées ont sans doute généré un panache similaire, que l’instrumentation de l’époque ne permettait pas d’estimer à sa juste mesure. « Il y a trente ans, lorsque le Pinatubo est entré en éruption, nos satellites étaient loin d’être aussi bons qu’aujourd’hui. Ils ne pouvaient scanner la Terre que toutes les 30 minutes. Ou peut-être même toutes les heures », explique le Dr Proud.
Il se pourrait ainsi qu’en 1991, les chercheurs aient tout simplement raté le pic de l’activité et le point du panache le plus élevé s’ils ont eu lieu entre deux images satellites. Même l’éruption de 1883 du Krakatoa pourrait avoir produit un panache similaire, mais il n’y avait évidemment aucun moyen de le vérifier à l’époque.
L’équipe envisage à présent de mettre au point un système automatisé pour calculer les hauteurs des panaches volcaniques en utilisant la méthode de la parallaxe. Un tel outil aiderait les scientifiques à modéliser la dispersion des cendres volcaniques dans l’atmosphère. Reste également à déterminer de quoi était composé exactement ce panache et pourquoi est-il monté si haut ?