La barrière linguistique anglophone freine considérablement la science, révèle une enquête internationale

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Dans la science, l’anglais est la langue de communication principale, que ce soit pour les documents écrits ou les présentations. Cependant, cela entraîne des inégalités substantielles dans la contribution des anglophones non natifs. Une enquête effectuée auprès de 908 scientifiques internationaux révèle que les anglophones non natifs ont globalement des difficultés considérables à lire et à écrire les articles et leur participation aux conférences internationales est considérablement réduite. Cette réalité a très probablement des impacts conséquents en matière d’avancées scientifiques.

Si environ 1,4 milliard de personnes dans le monde sont anglophones, seules 360 millions parlent anglais de façon native. Pourtant, 95% des articles scientifiques sont écrits et publiés en anglais et la maîtrise parfaite de cette langue est un ticket d’entrée dans le monde universitaire. Cette prédominance anglophone contribue à creuser les inégalités, affecte les carrières universitaires et entrave les avancées scientifiques.

Il est important de savoir que l’anglais n’a pas toujours été la langue prédominante dans la science. Par le passé, les échanges scientifiques s’effectuaient par le biais de langues considérées d’importance régionale telles que le sanskrit, le persan, le chinois et le grec. Les autres langues européennes, dont l’anglais, sont arrivées plus tard avec le colonialisme. Entre les années 1880 et 2000, l’utilisation de l’anglais est passée de 38% à 90% dans les publications en biologie, chimie, médecine, physique et mathématiques, au détriment d’autres langues telles que l’allemand, le français et le japonais.

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La collaboration et l’inclusivité scientifiques impliquent la participation d’une diversité de personnes, afin de mettre les idées et les connaissances en commun et exploiter le potentiel des communautés défavorisées. Or, les anglophones non natifs — composant la grande majorité de la population mondiale anglophone — rencontrent un grand nombre de difficultés dans le domaine scientifique et souffrent parfois d’inéquité dans le développement de leur carrière.

Les résultats de la nouvelle analyse, détaillés dans PLOS Biology, sont révélateurs. L’étude constitue l’une des rares à traiter de la barrière linguistique dans la recherche scientifique. Des recherches antérieures avaient notamment déjà évoqué des difficultés concernant la rédaction et la publication des articles par les anglophones non natifs. Cependant, la présente enquête serait l’une des seules à ce jour à en quantifier précisément les impacts.

Tatsuya Amano, auteur principal de l’étude et lui-même anglophone non natif, affilié à l’Université du Queensland, affirme avoir été choqué par les résultats. « En tant qu’anglophone non natif, j’ai vécu ces luttes de première main et je savais qu’il s’agissait de problèmes communs, mais je n’avais pas réalisé à quel point chaque obstacle individuel était élevé par rapport aux anglophones natifs », explique-t-il dans un communiqué. Les experts ont d’ailleurs découvert qu’un grand nombre de scientifiques très probablement prometteurs ont dû abandonner leurs carrières pour cause de barrière linguistique.

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Les niveaux de barrières linguistiques en lecture et écriture d’articles scientifiques. © Amano et al.

Un grand désavantage en début de carrière et pour les pays à faibles revenus

Dans le cadre de leur enquête, Amano et son équipe ont rassemblé 908 scientifiques environnementaux (écologistes, biologistes de l’évolution, de la conservation et autres disciplines connexes). Ce domaine particulier a été choisi en raison du contexte environnemental actuel (crise climatique et de la biodiversité), un défi mondial nécessitant des solutions en urgence provenant de tous horizons. Chaque participant à l’étude devait avoir publié au moins un article scientifique en anglais et évalué par des pairs.

Les scientifiques enquêtés étaient de 8 nationalités différentes, à savoir : bangladaise (106 personnes), bolivienne (100), britannique (112), japonaise (294), népalaise (82), nigériane (40), espagnole (108) et ukrainienne (66). Ces nationalités ont été catégorisées selon le niveau de compétence en anglais pour chaque pays d’origine et le revenu standard (selon les indices économiques de la Banque mondiale).

Sur la base de ces mesures, les participants ont été classés comme suit : les Bangladais et Népalais ont une faible maîtrise de l’anglais et un revenu moyen-inférieur, tandis que les Japonais ont également une faible maîtrise de l’anglais, mais un revenu élevé. Les Boliviens et Ukrainiens ont une maîtrise modérée de l’anglais et un revenu moyen-inférieur, tandis que les Espagnols ont une maîtrise modérée de l’anglais et un revenu élevé. Les Nigérians utilisent l’anglais en tant que langue officielle et ont un revenu moyen-inférieur, de même que les Britanniques, qui ont un revenu élevé.

Le sondage invitait les participants à communiquer sur la quantité d’efforts nécessaire pour mener 5 catégories d’activités scientifiques, incluant : la lecture d’articles, la rédaction, la publication/diffusion, ainsi que la participation à des conférences. L’objectif de l’enquête est notamment de distinguer l’effet des barrières linguistiques de celui d’autres types de barrières liées à la science (économiques et participation aux conférences) qui sont souvent confondues avec les premières.

Les résultats ont révélé de nets et substantiels inconvénients pour les anglophones non natifs. Ces derniers ont notamment besoin de deux fois plus de temps pour lire et rédiger des articles et effectuer des présentations en anglais. Une fois soumis, leurs articles ont 2,6 fois plus de risques d’être rejetés et 12,5 fois plus de risques de recevoir une demande de révision. Ces risques ne concernent nullement la qualité de leurs travaux, mais uniquement leur niveau de rédaction en anglais.

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Illustration résumant les résultats de l’étude. © Amano et al.

En outre, les nationalités à maîtrise modérée de l’anglais passent en moyenne 46,6% plus de temps à lire les articles rédigés en anglais. Ce chiffre passe à 90,8% pour ceux à faible maîtrise de la langue. Cette différence se retrouverait même chez les chercheurs en milieu et en fin de carrière. D’autre part, un grand nombre d’entre eux renoncent à assister ou à participer à des conférences internationales (c’est-à-dire en anglais), de crainte de ne pas pouvoir communiquer correctement. Les auteurs de l’étude ont constaté que ces difficultés affectent de manière disproportionnée les scientifiques en début de carrière et originaires de pays à faibles revenus.

« Nous devons abandonner ce vieux système. N’importe qui dans n’importe quelle partie du monde devrait pouvoir participer à la science », estime Amano. Ce dernier propose des solutions potentielles telles que l’édition gratuite en anglais, ou le soutien financier des efforts visant à surmonter les barrières linguistiques. À noter que des services de révision et de traduction sont actuellement disponibles, mais sont coûteux, surtout pour ceux en début de carrière, sans compter la baisse du nombre de lecteurs au cas où l’article n’est pas initialement publié en anglais…

Source : PLOS Biology

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