Une anomalie dans les prédictions d’Einstein sur la déformation de l’espace-temps révélée par de nouvelles mesures

Un léger écart par rapport aux mesures du Dark Energy Survey, dépendant de la période cosmique.

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Effet de lentille gravitationnelle sur des galaxies lointaines par l'amas de galaxies Abell 2390, observé par le satellite Euclid. | ESA/Euclid/Euclid Consortium/NASA/J.-C. Cuillandre (CEA Paris-Saclay), G. Anselmi
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En comparant les données du Dark Energy Survey sur les puits gravitationnels aux prédictions de la relativité générale d’Einstein, des chercheurs ont relevé un léger écart variant selon la période cosmique. Ces puits semblent légèrement moins profonds que ce qui est normalement prévu par la théorie pour des objets cosmiques lointains observés tels qu’ils étaient il y a entre 3,5 et 5 milliards d’années. Cela suggère que la gravité peut agir de manière différente selon les distances cosmiques, remettant ainsi potentiellement en question la validité des prédictions d’Einstein.

Selon la théorie de la relativité générale d’Einstein, le tissu de l’espace-temps peut être déformé par la gravité, un peu de la même manière qu’une masse placée sur le tissu élastique d’un trampoline. Provoquée par l’attraction gravitationnelle des objets cosmiques, cette déformation est appelée « puits gravitationnel ». La trajectoire de la lumière se courbe lorsqu’elle traverse ce puits, selon un phénomène dit « lentille gravitationnelle ».

La théorie a été étayée pour la première fois en 1919 lors d’une éclipse solaire, prévoyant notamment une déviation de la lumière deux fois plus importante que celle prédite par la théorie de la gravité de Newton. Cette différence provient du fait que mis à part la déformation gravitationnelle de l’espace, Einstein a également introduit celle du temps – ce qui a permis de mesurer avec exactitude le taux de courbure de la lumière.

La théorie d’Einstein a contribué au développement de nombreux modèles cosmologiques, tels que le modèle de concordance ou Λ CDM décrivant le Big Bang et l’accélération de l’expansion de l’Univers. Ce modèle suggère que la relativité générale décrit correctement la gravité à toutes les échelles cosmologiques. Cependant, cette hypothèse fait l’objet de débats, de nombreux physiciens estimant notamment que ces équations pourraient ne pas être valables à de grandes distances cosmologiques.

Pour explorer la question, les chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) et de l’Université Toulouse III-Paul Sabatier proposent une approche alternative se détachant de tout modèle théorique et basée directement sur des mesures. Ils ont comparé les données gravitationnelles du Dark Energy Survey aux prédictions de la relativité d’Einstein. « Jusqu’à présent, les données du Dark Energy Survey ont été utilisées pour mesurer la distribution de la matière dans l’Univers. Dans notre étude, nous avons utilisé ces données pour mesurer directement la distorsion du temps et de l’espace, ce qui nous a permis de comparer nos résultats avec les prédictions d’Einstein », explique dans un communiqué Camille Bonvin de l’UNIGE, qui a dirigé l’étude.

puits lentille gravitationnelle
Schéma illustrant le puits gravitationnel et l’effet de lentille gravitationnelle. © NASA/ESA et L. Calçada

Une période d’écart coïncidant avec l’accélération de l’expansion de l’Univers

Le Dark Energy Survey est un programme de recherche internationale utilisant le puissant détecteur optique du télescope Victor M. Blanco de l’observatoire Cerro Tololo, au Chili. Tel que son nom l’indique, son objectif principal est d’étudier l’énergie noire, la force hypothétique responsable de l’accélération de l’expansion de l’Univers. Pour ce faire, le projet cartographie les formes et la distribution de centaines de millions de galaxies à de très grandes distances cosmologiques, permettant ainsi de remonter très loin dans le passé de l’Univers.

Pour explorer cette hypothèse, l’équipe de la nouvelle étude a analysé un ensemble de 100 millions de galaxies à 4 époques différentes de l’Univers : il y a 3,5, 5, 6 et 7 milliards d’années. Les mesures – décrites dans la revue Nature Communications – indiquent l’évolution des puits gravitationnels au fil du temps et couvrent plus de la moitié de l’existence de l’Univers. Elles ont ensuite été comparées à celles issues des prédictions de la relativité générale.

Les chercheurs ont constaté qu’il y avait un léger écart entre les deux ensembles de données selon les périodes cosmiques. Dans le passé lointain, il y a 6 et 7 milliards d’années, la profondeur des puits gravitationnels correspond à celle prédite par Einstein. En revanche, il y a 3,5 et 5 milliards d’années, elle apparaît plus faible que ce qui est normalement prévu selon la relativité générale.

Cette période coïncide avec le moment où l’expansion de l’Univers a commencé à s’accélérer. Cela suggère que les deux phénomènes (le taux de croissance plus lent des puits gravitationnels et l’accélération de l’expansion de l’Univers) pourraient tous deux être liés au fait que la gravité agit de manière différente de celle prédite par Einstein sur de grandes échelles cosmiques. Autrement dit, ces résultats invitent à réexaminer la relativité générale pour expliquer les phénomènes à l’échelle cosmique.

Un écart insuffisant pour invalider la relativité d’Einstein

D’autre part, il y aurait un écart de compatibilité de 3 sigma entre les deux ensembles de mesures il y a 3,5 et 5 milliards d’années. « Dans le langage de la physique, un tel seuil d’incompatibilité suscite notre intérêt et appelle à des investigations plus poussées », indique Nastassia Grimm de l’UNIGE, le coauteur de l’étude.

Toutefois, cet écart n’est pas suffisamment important pour invalider complètement la théorie d’Einstein. Pour cela, il faudrait atteindre ou dépasser le seuil de 5 sigma. « Il est donc indispensable de disposer de mesures plus précises pour confirmer ou infirmer ces premiers résultats, et de savoir si cette théorie reste valable dans notre Univers, à de très grandes distances », précise Grimm.

L’équipe prévoit d’explorer plus avant leur hypothèse en analysant les nouvelles données du télescope spatial Euclid, dont les mesures des courbures de l’espace-temps seront nettement plus précises. La mission prévoit d’observer environ 1,5 milliard de galaxies, permettant ainsi de remonter encore plus loin dans le temps.

Source : Nature Communications

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