Alors que la pandémie de COVID-19 n’est pas terminée et qu’une épidémie de variole du singe se propage à travers le monde, inquiétant les dirigeants des pays touchés, les épidémiologistes redoutent une autre menace, les champignons microscopiques. Ces derniers pourraient provoquer une nouvelle pandémie bien plus terrifiante que celles provoquées par des virus, étant donné le peu de connaissances que nous en avons et leur capacité à s’adapter à nos faibles mesures thérapeutiques. Malgré leur présence à nos côtés depuis longtemps, les scientifiques estiment qu’ils représentent actuellement un réel enjeu de santé publique face aux pressions sélectives fortes, au changement climatique et à une population humaine croissante toujours plus fragile.
Seulement 120 000 des quelque cinq millions d’espèces fongiques ont été identifiées — de ce nombre, seulement quelques centaines sont connues pour nuire aux humains. Mais les changements environnementaux et climatiques, ainsi que la surutilisation de fongicides dans l’agriculture, ont contribué à créer de « super agents » infectieux, capables d’échapper à notre arsenal thérapeutique limité.
Selon le GAFFI (Fonds global d’action contre les infections fongiques), au cours des dernières années, les maladies fongiques causent environ 1,6 million de décès par an et plus d’un milliard de personnes souffrent de maladies fongiques graves. Tom Chiller, épidémiologiste médical aux Centres pour le contrôle et la prévention des maladies américains (CDC), déclare à National Geographic : « Ce qui nous inquiète continuellement dans le monde fongique, c’est le potentiel des champignons à provoquer des maladies humaines. Il y a beaucoup de choses que nous ne comprenons même pas ».
En effet, les champignons microscopiques peuvent provoquer des troubles et des infections graves, en particulier les aspergilloses, qui sont depuis quelques années en augmentation, et qui posent de nouvelles questions à la communauté scientifique. Notamment Aspergillus fumigatus, qui se développe dans la poussière domestique et les matières végétales en décomposition. Il peut entraîner des complications chez les personnes souffrant de troubles respiratoires ou d’un système immunitaire affaibli. L’inhalation des spores peut entraîner une infection des poumons et des bronches, qui peut être mortelle dans certains cas.
Si les infections causées par des bactéries sont les plus fréquentes et les mieux connues, le vieillissement de la population et l’augmentation du nombre de personnes immunodéprimées — à la suite d’une maladie, d’un traitement — a créé une fenêtre d’opportunités inédite pour les champignons microscopiques. Ainsi, les antifongiques représentent désormais une dépense plus importante que les antibiotiques et les stratégies antimycosiques devraient, dans les années à venir, se placer au centre de nombreuses stratégies de santé publique. Mais pourquoi avoir peur des champignons ?
Une évolution bien trop rapide et un arsenal thérapeutique bien trop faible
Bien que le taux de mutation chez les champignons soit généralement inférieur à celui des bactéries ou des virus, ils peuvent évoluer à un rythme extrêmement rapide, provoquant des infections de plus en plus difficiles à traiter avec des antifongiques. Amelia Barber, microbiologiste à l’Institut Hans Knöll en Allemagne, a publié en 2020 une étude sur un cas d’infection dans lequel le champignon Candida glabrata présentait deux mutations particulières lui permettant de s’adapter extrêmement bien, et rapidement, aux nouveaux environnements et de devenir bien plus virulent.
Cette virulence est ce qui rend les infections fongiques invasives si dangereuses, par opposition aux variétés superficielles telles que le muguet. De tels champignons, ayant muté et agressifs, excrètent des toxines qui détruisent les tissus, dont ils peuvent ensuite se nourrir — de la même manière qu’ils décomposent la matière organique dans le cadre du cycle des nutriments d’un écosystème. Ils entrent dans un cycle d’autosuffisance, créant les nutriments dont ils ont besoin pour se développer.
Malheureusement, les stratégies thérapeutiques actuelles sont peu efficaces. Démuni face à cette infection, le corps peut déclencher une réaction extrême du système immunitaire qui est la septicémie. Il s’agit d’un dysfonctionnement d’organes potentiellement mortel, résultant d’une réponse dérégulée du corps à l’infection, et dont la forme la plus grave est le choc septique. Cette réponse exacerbée du corps affecte le fonctionnement des organes vitaux de manière aiguë, et peut entraîner des séquelles fonctionnelles à plus long terme. La résistance ne fait qu’empirer les choses : le taux de mortalité est 25% plus élevé lorsqu’un agent pathogène résistant aux antifongiques est impliqué.
Une extinction d’espèces due aux champignons, induisant des mesures antifongiques disproportionnées
Outre cet impact direct sur la santé humaine, les maladies fongiques peuvent également endommager les plantes et les cultures, entraînant des pertes importantes dans les activités agricoles et la production alimentaire.
Les champignons pathogènes des animaux menacent d’extinction les chauves-souris, les amphibiens et les reptiles. Sans compter les forêts d’Europe et d’Amérique du Nord qui ont été décimées par la maladie hollandaise de l’orme, un champignon propagé par les coléoptères, selon le National Geographic. Saturant le système vasculaire des arbres, l’infection les prive d’eau jusqu’à ce qu’ils se flétrissent et meurent. Et en voulant sauver ces cultures, nous avons enclenché un phénomène de résistance chez les champignons.
Effectivement, face à ces infections, l’utilisation disproportionnée de fongicides, notamment d’azoles, a quadruplé au cours des 10 dernières années, explique Marin Brewer, phytopathologiste à l’Université de Géorgie, au National Geographic. Les fongicides agricoles emploient souvent des stratégies similaires à leurs analogues pharmaceutiques, lorsque les champignons deviennent immunisés contre l’un, ils développent également une résistance aux autres. Brewer et sa collègue, Michelle Momany, l’ont récemment prouvé en testant des échantillons d’Aspergillus fumigatus de patients n’ayant jamais reçu de traitement antifongique. Ils ont découvert des souches résistantes, connues jusqu’ici seulement dans le monde agricole.
Aux Pays-Bas, ces résistances atteignent jusqu’à 20% des cas dans certains centres hospitaliers et la stratégie thérapeutique a dû y être modifiée pour systématiquement identifier les souches avant de lancer un traitement ou d’utiliser l’amphotéricine B en première intention. En France, ce chiffre n’a jamais dépassé 2% et ne remet pas en question l’utilisation du voriconazole en première intention ni son usage prophylactique chez certains patients immunodéprimés, ou dont l’aspergillose est chronique.
Il faut savoir que les fongicides, comme les azoles, se lient à une enzyme impliquée dans l’assemblage de l’ergostérol, une molécule apparentée au cholestérol chez l’homme et un composant important de la membrane cellulaire fongique. Sans cela, la membrane fuit et se désintègre, tuant l’agent infectieux. De manière concrète, les champignons déjouent les fongicides actuels en deux étapes. Premièrement, ils modifient la forme de l’enzyme cible afin que le médicament ne la reconnaisse plus. Ensuite, ils augmentent la production de l’enzyme pour garantir la production d’une quantité suffisante d’ergostérol et ainsi maintenir les cellules fongiques intactes.
Seuls trois fongicides existent actuellement, et certains champignons comme Candida auris sont résistants aux trois, menaçant le monde entier.
Candida auris, une menace mondiale due au changement climatique
Le champignon Candida auris, résistant aux médicaments antifongiques, se propage dans les hôpitaux du monde entier depuis dix ans. Si rien n’est fait, il pourrait causer plus de morts que le cancer. Selon les CDC, près de la moitié des patients qui ont jusqu’ici contracté une mycose à Candida auris sont morts dans les 90 jours.
Candida auris a initialement été découvert au Japon en 2009, dans l’oreille d’une femme de 70 ans. Il semblait alors inoffensif. Puis, à partir de 2012, il s’est matérialisé presque simultanément sur trois continents, émergent en conséquence directe du changement climatique. Puis, il a peu à peu été observé de façon indépendante dans différents endroits du monde. Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies américains (CDC) l’ont ajouté à la liste des germes constituant une « menace urgente » pour la santé. Ce champignon a acquis la capacité à résister à des températures élevées, tout en s’adaptant à l’usage excessif de fongicides en agriculture. Le mécanisme de cette adaptation à la chaleur est inconnu à l’heure actuelle et fait l’objet d’études en cours.
Face à ces menaces, la surveillance renforcée et systématique des infections fongiques aiderait au contrôle de la transmission de ces dernières. De plus, des progrès remarquables ont été réalisés dans le développement de vaccins fongiques à usage humain. Dans les études animales, la protection contre toutes les principales mycoses importantes sur le plan médical a été obtenue en utilisant des vaccins composés de champignons vivants atténués et tués, d’extraits bruts, de formulations de sous-unités recombinantes et de vaccins à base d’acide nucléique.
Trois vaccins ont fait l’objet d’essais sur l’homme, démontrant la faisabilité d’effectuer des essais cliniques ciblant des populations à risque. Bien que de nombreux obstacles scientifiques et logistiques subsistent, il y a lieu d’être optimiste quant à la disponibilité de vaccins fongiques cliniquement approuvés.
Ne pas tout confondre, mais respecter la nature et cohabiter
Finalement, les champignons sont présents depuis des milliers d’années tout autour de nous — dans l’eau, sur les arbres, dans le sol, dans l’air —, sur nous et à l’intérieur de notre corps. Ils sont souvent décrits comme étant le « cinquième règne de la vie sur Terre » ; ils ne sont ni végétaux ni animaux, ni microbes ni protozoaires. Leurs spores peuvent survivre à des températures extrêmes, aux radiations et même à l’espace extra-atmosphérique.
Il n’est pas envisageable d’éradiquer les champignons, si toutefois cela était possible ! Ils sont d’une importance non négligeable dans le secteur médical. La pénicilline, par exemple, a été développée à partir d’un champignon. Certains éléments des champignons sont des nutriments essentiels pouvant prévenir le cancer.
Sans compter qu’avec les bactéries, les champignons sont importants en tant que décomposeurs dans le réseau trophique du sol. Leurs brins — ou hyphes — lient également physiquement les particules de sol, ce qui aide l’eau à pénétrer dans le sol et augmente la capacité de la terre à la retenir.
Dernier point : les champignons pourraient aider à lutter contre la pollution. Certaines espèces, comme la pleurote, produisent des enzymes qui digèrent les hydrocarbures du pétrole. Certains peuvent absorber des métaux lourds comme le mercure et même digérer les plastiques en polyuréthane.
Comme le conclut Momany pour National Geographic, l’acquisition rapide de la résistance aux azoles chez Aspergillus aux Pays-Bas sert de récit édifiant : « Aspergillus n’est même pas un agent pathogène des plantes – il est simplement omniprésent dans le sol. Mais parce qu’il se trouvait dans l’environnement lorsque les cultures et les fleurs ont été pulvérisées avec de l’azole, l’agent pathogène a rapidement développé une résistance à celui-ci ».
Apprendre à cohabiter avec la biodiversité de notre planète devient un enjeu plus que vital et crucial face au changement climatique qui s’accélère, faisant peser encore plus lourdement la menace de nouvelles pandémies.