On a récemment pu constater à quel point les modèles de langage intelligents de dernière génération, tels que ChatGPT, étaient capables d’imiter à la perfection — voire de dépasser — les capacités humaines. Ces outils sont capables de générer des textes argumentés sur presque n’importe quel sujet. Quels peuvent être les effets de ces technologies sur l’économie ? Certains emplois sont-ils menacés ? Des chercheurs américains se sont penchés sur ces questions.
Par définition, l’intelligence artificielle est conçue pour modéliser les capacités cognitives humaines et ainsi, automatiser certaines tâches. Il est par conséquent légitime de se demander si certaines professions pourraient un jour être complètement remplacées par une IA. Les grands modèles de langage comme ChatGPT sont d’ores et déjà couramment utilisés dans le monde professionnel. Certaines entreprises utilisent ChatGPT comme outil d’aide à la décision, des agents immobiliers l’utilisent pour rédiger rapidement des annonces, tandis qu’il permet aux planificateurs financiers de créer rapidement des documents types.
Les enseignants ont eux aussi commencé à exploiter cet outil, avant tout pour encadrer l’utilisation qu’en font leurs élèves, mais aussi pour développer leur esprit critique vis-à-vis des résultats retournés par cette IA. Ainsi, selon les cas, cette technologie peut se substituer au travail ou compléter le travail effectué par les humains. L’effet de l’IA sur le travail variera aussi probablement selon les secteurs d’activité, notent les chercheurs. Dans leur étude, ils présentent une méthodologie permettant d’évaluer la mesure dans laquelle les professions et les industries sont exposées aux progrès des capacités de modélisation linguistique de l’IA.
Relier les grands domaines de l’IA aux capacités humaines
De récentes études ont montré que l’adoption de l’IA est relativement élevée dans certains secteurs comme les technologies de l’information et la finance, mais plus faible dans d’autres, comme les soins de santé et la construction.
En 2018, les chercheurs — Edward Felten, Manav Raj et Rob Seamans — s’étaient intéressés aux professions qui avaient le plus changé en raison des progrès de l’IA entre 2010 et 2015. Puis, ils ont approfondi leurs recherches en 2021 pour créer l’AIOE (pour AI Occupational Exposure) — un modèle permettant de mesurer l’exposition à l’IA au niveau de la profession, mais aussi au niveau de l’industrie et du secteur géographique.
« L’idée clé était de cartographier 10 domaines dans lesquels l’IA progressait (reconnaissance d’images, reconnaissance de la parole, modélisation du langage, jeux de stratégie abstraits, etc.) et de les relier à 52 capacités utilisées dans les professions », explique Rob Seamans sur son compte Twitter.
Ceci fait, ils ont recoupé ces informations avec la base de données de l’O*NET (le système américain d’information sur les professions) pour examiner l’importance et la prévalence de chaque capacité (telles que l’expression et la compréhension orales, la stabilité bras-main, etc.) dans plus de 800 professions. Après avoir déduit pour chacune « un score d’exposition professionnelle à l’IA », ils étaient en mesure d’analyser comment les progrès réalisés dans l’un ou l’autre domaine peuvent affecter les professions.
Dans cette nouvelle étude, ils ont examiné les implications des progrès récents réalisés en matière de modélisation linguistique. Il est intéressant de constater que le modèle AIOE initial montrait que les emplois les plus à risque nécessitaient un haut niveau d’études et étaient généralement bien rémunérés (conseillers en génétique, contrôleurs financiers, actuaires, juges et magistrats, etc.). Mais en tenant compte des avancées récentes en matière de modélisation linguistique, le modèle a retourné une liste très différente.
L’enseignement supérieur sur la sellette ?
Il ressort de l’étude que les travailleurs des centres d’appels sont les plus exposés. Ce résultat n’est guère surprenant étant donné que plusieurs entreprises utilisent déjà des chatbots à base d’IA pour occuper ce rôle.
Pourtant, comme le soulignent les chercheurs, les télévendeurs pourraient considérablement améliorer leur travail en utilisant la modélisation linguistique ; par exemple, les propos des clients pourraient être utilisés en temps réel par un modèle de langage pour fournir des réponses pertinentes et personnalisées au télévendeur. « On pourrait également imaginer que les télévendeurs humains soient remplacés par des robots utilisant la modélisation linguistique », ajoutent-ils. Ceci met en évidence le fait que l’effet de l’exposition à l’IA — l’amélioration du travail ou l’éviction de l’humain — dépendra essentiellement des spécificités d’une profession donnée.
Suivent divers enseignants de niveau postsecondaire : les professeurs de langue et de littérature anglaises, de langue et de littérature étrangères et d’histoire. Les enseignants en droit occupent quant à eux la cinquième place des professions les plus exposées. Les auteurs de l’étude relèvent que de nombreuses professions liées à l’éducation entrent dans le top 20 des professions les plus susceptibles d’être remplacées.
L’analyse conclut également que les trois principaux secteurs exposés aux progrès de la modélisation linguistique sont, dans cet ordre, les services juridiques, les contrats à terme et autres investissements et les activités d’assurance. En résumé, les enseignants et les acteurs des services financiers seront probablement les premiers à pâtir de l’utilisation massive de modèles de langage.
Ces tendances doivent néanmoins être considérées avec prudence. ChatGPT est connu pour éprouver quelques difficultés en mathématiques, notamment pour résoudre des équations complexes — même s’il a récemment bénéficié d’une mise à jour censée améliorer ses capacités. Une autre IA s’est avérée quant à elle peu adaptée à l’enseignement de l’histoire, réinventant complètement le profil de certaines personnalités historiques. Finalement, tout dépendra des améliorations à venir et, comme précisé plus haut, des spécificités propres à chaque profession.