Une sonde spatiale pour mesurer les effets de la matière noire dans notre système solaire

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Vue d’artiste de la sonde Voyager 1, qui se trouve actuellement dans l’espace interstellaire, au-delà des orbites des planètes extérieures du Système solaire (tracées ici en orange). | NASA, ESA, et G. Bacon (STScI)
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La matière noire est l’un des plus grands mystères de notre temps. Cette matière hypothétique, qui constituerait près de 27% de la densité d’énergie totale de l’Univers, n’a encore jamais pu être détectée ni mesurée expérimentalement. On ne sait même pas de quoi elle se compose exactement. Les scientifiques estiment toutefois que la quasi-totalité de la masse de notre galaxie est constituée de matière noire. Et la force gravitationnelle qu’elle génère pourrait largement influer sur les mouvements d’un objet qui se déplacerait loin de notre soleil. Des chercheurs suggèrent ainsi d’envoyer une sonde spatiale, à quelque 100 unités astronomiques, afin de mesurer cette force.

C’est grâce à la matière noire que les galaxies, y compris la nôtre, demeurent sous forme d’un ensemble compact. En effet, sans le supplément de force gravitationnelle apportée par la matière noire, la gravité produite par la matière standard contenue dans les galaxies aurait entraîné leur désagrégation. Sur Terre, nous subissons la force gravitationnelle de notre planète, mais aussi celle du Soleil, qui permet à la Terre de rester sur son orbite. Un vaisseau spatial se trouvant suffisamment éloigné du Soleil, ne serait en revanche plus sous l’emprise de sa gravité.

Ce vaisseau serait dès lors soumis uniquement à la force gravitationnelle résultante de notre galaxie, qui est principalement générée par la matière noire. Dans un article paru dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Edward Belbruno et James Green, respectivement astrophysicien à l’Université de Princeton et conseiller du Bureau du scientifique en chef de la NASA, expliquent comment calculer cette force et suggèrent une expérience visant à observer directement l’influence de cette matière noire dans notre système solaire.

Une invitation à rêver, prête à être portée.

Une force qui induit une très faible déviation des objets

Pour comprendre l’influence de la matière noire dans le système solaire, Edward Belbruno, a entrepris de calculer la « force galactique », qui désigne la force gravitationnelle globale de la matière standard combinée à celle de la matière noire de toute la galaxie. Il a découvert que dans le système solaire, environ 45% de cette force provient de la matière noire et 55% provient de la matière standard (ou baryonique), ce qui suggère une répartition à peu près égale entre les masses des deux types de matière.

Dans un communiqué de la NASA, le scientifique se dit surpris par ce résultat, qui montre que la contribution de la matière noire est relativement faible. Mais il y a pourtant une explication simple à ce phénomène : « Cela s’explique par le fait que la majeure partie de la matière noire se trouve dans les parties extérieures de notre galaxie, loin de notre système solaire », précise l’astrophysicien. En effet, un grand halo de matière noire encercle notre Voie lactée ; dans cette région, il n’y a que très peu, voire pas du tout, de matière baryonique. Ainsi, si nous nous trouvions plus loin du centre galactique, il se pourrait que l’on ressente davantage les effets de la matière noire.

Les deux scientifiques expliquent que la matière noire a sans doute déjà interagi avec les sondes spatiales envoyées par la NASA pour explorer l’espace lointain. Il s’agit notamment des sondes Pioneer 10 et 11, lancées en 1972 et 1973 respectivement pour explorer Jupiter et Saturne, des sondes Voyager 1 et 2, lancées en 1977 pour explorer les quatre planètes extérieures et leurs satellites — Voyager 1 se trouvant désormais dans l’espace interstellaire — ou encore du vaisseau New Horizons, lancé en 2006, qui a survolé Pluton et Arrokoth dans la ceinture de Kuiper. Tous auraient présenté de très légères déviations de leur trajectoire (de l’ordre du mètre sur une distance de plusieurs milliards de kilomètres). « Ils ressentent la force de la matière noire, mais elle est si faible que nous ne pouvons pas la mesurer », souligne Green. Belbruno et lui suggèrent ainsi d’envoyer une sonde à une distance beaucoup plus importante.

En effet, à une distance suffisamment éloignée du Soleil, la force galactique prend le dessus. Les deux scientifiques ont estimé que cela se produisait à une distance d’environ 30 000 unités astronomiques (UA) — soit 30 000 fois la distance Terre-Soleil. C’est là qu’est localisé le nuage d’Oort, un essaim de millions de comètes qui s’étend bien au-delà de l’orbite des planètes et de la ceinture de Kuiper, jusqu’à plus de 100 000 UA.

Une expérience à tenter lors d’une future mission

Green et Belbruno mentionnent dans leur étude des objets tels que la mystérieuse Planète 9 ou bien l’objet baptisé ‘Oumuamua, qui a traversé notre système solaire en 2017, qui sont tous deux également susceptibles d’avoir subi l’influence de la matière noire.

La localisation supposée de la Planète 9 est telle que la force gravitationnelle de la matière noire peut avoir un effet substantiel sur son mouvement au fil du temps, voire l’éloigner de la zone où elle est actuellement recherchée, expliquent les chercheurs. Quant à ‘Oumuamua, qui provient d’un autre système stellaire, il est entré dans notre système solaire à des vitesses particulièrement élevées (jusqu’à 87 km/s au plus proche du Soleil), qui pourraient s’expliquer par l’influence de la matière noire, dont la gravité l’aurait « attiré » pendant des millions d’années.

Un voyage à 30 000 UA est malheureusement peu envisageable. Mais les deux scientifiques estiment qu’une distance de 100 UA serait suffisante pour mesurer les effets gravitationnels de la matière noire. Ils indiquent que cette mission pourrait être accomplie par un vaisseau équipé d’un générateur thermoélectrique à radioisotope (à l’instar des précédentes sondes d’exploration des planètes extérieures).

Un tel engin spatial pourrait transporter une balle réfléchissante, puis la larguer à une distance appropriée. Cette balle ne ressentirait alors que la force galactique, tandis que le vaisseau subirait, en plus, la force thermique due à la désintégration de l’élément radioactif de son système de propulsion. En soustrayant la force thermique, les chercheurs pourraient alors établir le lien entre la force galactique et les déviations des trajectoires respectives de la balle et du vaisseau spatial, détaille le communiqué de la NASA.

L’agence américaine étudie actuellement la faisabilité d’une nouvelle mission d’exploration de l’héliosphère extérieure et du milieu interstellaire, appelée Interstellar Probe. Les objectifs scientifiques de cette mission incluent le survol d’un objet de la ceinture de Kuiper, l’étude du milieu interstellaire et la capture des premières images externes de la lumière de fond extragalactique. La sonde devrait être capable de parcourir plus de deux fois la distance parcourue par Voyager (avec un objectif d’environ 1000 UA). Ce serait donc l’occasion de tenter cette expérience inédite.

Source : E. Belbruno et J. Green, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society

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