Comment l’Event Horizon Telescope peut-il imager l’horizon des événements d’un trou noir ?

trou noir voie lactee
| Ute Krauss/Axel Mellinger
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En 2019, la collaboration scientifique de l’Event Horizon Telescope devrait avoir fini d’analyser les 27 pétaoctets de données relatives aux deux trous noirs supermassifs situés au centre de la Voie lactée, et de M87. Une fois le processus terminé, nous devrions obtenir, pour la première fois, l’image de l’horizon des événements d’un trou noir. Mais comment l’EHT peut-il parvenir à une telle prouesse ?

Les trous noirs sont des objets assez faciles à détecter, une fois que l’on sait quels indices chercher. Cela peut sembler contre-intuitif, car ils n’émettent pas de lumière, mais ils possèdent trois signatures infaillibles qui nous permettent de savoir qu’ils sont là.

Les trous noirs génèrent une énorme gravité — une distorsion/courbure de l’espace — dans un très petit volume. Si il est possible d’observer les effets gravitationnels d’une masse volumineuse et compacte, on peut alors en déduire l’existence d’un trou noir et potentiellement mesurer sa masse.

Une invitation à rêver, prête à être portée.

Les trous noirs affectent fortement l’environnement qui les entoure. N’importe quelle matière à proximité subira non seulement des forces de marée intenses, mais également une accélération et un réchauffement responsables d’une émission de rayonnement électromagnétique au sein du disque d’accrétion.

Lorsque ce rayonnement est détecté, il est possible de l’analyser pour reconstruire l’objet source, qui est toujours un trou noir. Enfin, les trous noirs peuvent spiraler et fusionner, ce qui les amène à émettre des ondes gravitationnelles détectables pendant une brève période.

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Parmi les signatures révélant l’existence des trous noirs, se trouve leur impact gravitationnel sur les objets alentours. C’est particulièrement le cas des étoiles orbitant autour de Sagittarius A*, dont les trajectoires et les vitesses révèlent l’existence du trou noir supermassif. Crédits : S. Sakai/A. Ghez

Le télescope Event Horizon, cependant, vise à aller plus loin que n’importe laquelle de ces méthodes de détection. Au lieu de prendre des mesures permettant de déduire les propriétés d’un trou noir indirectement, il va au cœur du problème et envisage d’imager directement l’horizon des événements d’un trou noir.

La méthode pour le faire est simple et directe, mais cela n’a pas été possible du point de vue technologique, jusqu’à très récemment. La raison en est une combinaison de deux facteurs importants qui vont normalement de pair en astronomie : la résolution et la collecte de lumière.

Sur le même sujet : L’Event Horizon Telescope livre les premiers détails de la structure du trou noir Sagittarius A*

Parce que les trous noirs sont des objets très compacts, il faut atteindre une résolution extrêmement élevée. Mais parce que nous ne cherchons pas la lumière elle-même, mais l’absence de lumière, nous devons collecter de grandes quantités de lumière avec une extrême précision pour déterminer où se trouve réellement l’ombre de l’horizon des événements.

Classiquement, un télescope avec une meilleure résolution et un télescope avec un meilleur pouvoir de collecte de la lumière devraient constituer le même télescope. La résolution du télescope est définie entre autre par la plage de longueurs d’onde de la lumière pouvant être captée par son antenne. Par conséquent, les télescopes plus grands ont une résolution plus élevée. De la même manière, la quantité de lumière recueillie est déterminée par la surface du télescope. Sachant que tous les photons frappant le télescope seront collectés, plus la surface du télescope est large, plus la quantité de lumière capturée est grande.

Le principal facteur limitant de la technologie a toujours été son pouvoir de résolution. La taille (le rayon) d’un trou noir semble être  proportionnelle à sa masse, mais inversement proportionnelle à sa distance par rapport à nous. Pour voir le plus grand trou noir de notre perspective — Sagittaire A*, celui situé au centre de la Voie lactée — cela nécessite un télescope de la taille de la planète Terre.

alma reseau radiotelescopes
L’Atacama Large Millimeter/submillimeter Array, photographié avec les nuages ​​magellaniques au-dessus. Dans le cadre d’ALMA, un grand nombre d’antennes rapprochées permet de créer les images les plus détaillées dans les zones observées, tandis qu’un nombre plus restreint d’antennes plus distantes permet d’affiner les détails dans les endroits les plus lumineux. Crédits : ESO/C. Malin

Bien entendu, la construction d’un tel instrument n’est pas envisageable. Mais il existe une autre solution : construire un réseau de télescopes. Avec un grand nombre de télescopes, il est possible de sommer le pouvoir de collecte de lumière des télescopes individuels. Mais la résolution, si elle est bien calibrée, permet de voir des objets aussi fins que l’espacement entre les télescopes les plus éloignés.

En d’autres termes, la collecte de lumière est vraiment limitée par la taille du télescope. Mais la résolution, si la technique de l’interférométrie à longue base (ou sa cousine, l’interférométrie à très longue base) est utilisée, peut être considérablement améliorée en utilisant un réseau de télescopes avec un grand espace entre eux.

Cette vidéo présente le fonctionnement de l’Event Horizon Telescope :

L’Event Horizon Telescope est un réseau de 15 à 20 télescopes répartis sur de nombreux continents, du pôle Sud à l’Europe, en passant par l’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Amérique du Nord, l’Australie et plusieurs îles de l’océan Pacifique. Au total, jusqu’à 12’000 kilomètres séparent les télescopes les plus éloignés du réseau.

Cela se traduit par une résolution d’à peine 15 microarcsecondes (μas), ce qui correspond à la taille d’une mouche qui nous apparaîtrait ici sur Terre tout en étant située sur la Lune. Il existe dans l’Univers des trous noirs dont la taille angulaire est supérieure à 15 μas. Plus exactement, il y en a deux : Sagittarius A*, au centre de la Voie lactée, et le trou noir situé au centre de la galaxie M87.

Le trou noir au centre de M87 est situé à environ 50-60 millions d’années-lumière, mais représente plus de 6 milliards de masses solaires, ce qui le rend plus de 1000 fois plus grand que le trou noir géant de notre galaxie.

Le télescope Event Horizon fonctionne en utilisant cette énorme gamme de radiotélescopes et en observant ces trous noirs simultanément, ce qui nous permet de reconstruire une image à très haute résolution de tout ce que nous regardons, tant que la lumière collectée est suffisamment importante.

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Deux des modèles possibles pouvant correspondre aux données collectées par le télescope Event Horizon jusqu’à présent, montrent un horizon asymétrique excentré élargi par rapport au rayon de Schwarzschild, conformément aux prédictions de la relativité générale d’Einstein. Crédits : R.S. Lu et al. 2018

La clé du fonctionnement du télescope Event Horizon consiste donc à rassembler suffisamment de lumière pour voir l’ombre projetée par l’horizon des événements du trou noir, tout en imageant correctement la lumière venant d’autour et de derrière lui.

Les trous noirs accélèrent la matière, et l’accélération des particules chargées crée à la fois des champs magnétiques et — si des particules chargées accélèrent en présence de champs magnétiques — l’émission de radiations.

Le plus sûr est de regarder dans la partie radio du spectre, qui est la zone la moins énergétique. Tous les trous noirs qui accélèrent la matière sont supposés émettre des ondes radio, que nous avons détectées depuis les trous noirs supermassifs situés au centre de la Voie lactée et de M87. La différence est que, à ces nouvelles résolutions plus élevées, nous devrions être capables de repérer le  « vide » où se situe l’horizon des événements.

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