Un composant de l’ARN découvert sur l’astéroïde Ryugu

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Image conceptuelle de l'échantillonnage de matériaux contenant de l'uracile et de la niacine sur l'astéroïde Ryugu par la sonde Hayabusa 2. | NASA Goddard/JAXA/Dan Gallagher
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De récentes analyses des échantillons de l’astéroïde Ryugu collectés par la sonde Hayabusa 2 de l’Agence spatiale japonaise ont révélé la présence d’uracile — l’une des bases nucléiques qui composent l’ARN. Les chercheurs ont également détecté la présence de vitamine B3 (ou niacine). Ces découvertes soutiennent l’hypothèse selon laquelle d’importants éléments constitutifs de la vie sont créés dans l’espace et pourraient avoir été livrés sur Terre par des météorites.

La mission japonaise Hayabusa 2 a rejoint l’astéroïde Ryugu en juin 2018. La sonde est parvenue à rapporter 5,4 grammes de poudre et de particules d’astéroïde sur Terre en décembre 2020. Les premières analyses ont montré que cette roche était similaire aux chondrites carbonées et ont révélé la présence de plusieurs composés organiques tels que des acides aminés racémiques, des alkylamines, des acides carboxyliques, des hydrocarbures aromatiques polycycliques et des molécules hétérocycliques azotées.

Grâce à une nouvelle méthode analytique permettant la détection et l’identification à petite échelle des nucléobases à des niveaux de concentration extrêmement faibles — de parties par milliard (ppb) à parties par billion (ppt) — une équipe internationale de scientifiques a entrepris de rechercher des nucléobases et d’autres classes de molécules azotées au sein des échantillons de l’astéroïde Ryugu. La méthode, testée sur des extraits aqueux de la météorite de Murchison, s’était déjà avérée concluante : l’équipe avait détecté avec succès les cinq nucléobases (adénine, guanine, cytosine, thymine, uracile) à des concentrations allant de 4 à 72 ppb.

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Une nouvelle preuve de l’origine des premières briques de la vie terrestre

Pour l’analyse, les échantillons de Ryugu (10 mg environ) ont été soumis à une extraction à l’eau chaude à 105 °C pendant 20 heures, suivie d’une hydrolyse acide. Les analyses élémentaires et isotopiques ont montré de « très bonnes similitudes » avec les chondrites carbonées de type CI, rapportent les chercheurs dans Nature Communications. Les spectres de réflectance infrarouge des échantillons ont mis en évidence des signaux caractéristiques des groupes fonctionnels -OH, -NH et -CH.

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Photographies des échantillons A0106 et C0107, correspondant aux deux prélèvements effectués sur l’astéroïde Ryugu, en 2019. © Oba et al.

L’équipe a analysé les échantillons en utilisant la chromatographie liquide à haute performance, couplée à la spectrométrie de masse haute résolution à ionisation par électrospray. Les chromatogrammes de masse ont révélé la présence d’uracile (C4H4N2O2) — une base nucléique de l’acide ribonucléique (ARN) — dans les hydrolysats acides des deux échantillons ; l’équipe rapporte une concentration d’environ 11 et 32 ppb dans les échantillons A0106 et C0107, respectivement. L’hydrolyse acide a toutefois sans doute contribué à augmenter la quantité d’uracile, précisent les chercheurs, qui estiment que la concentration initiale (avant l’hydrolyse) devait être d’environ 7 et 21 ppb respectivement.

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Comparaison des profils élémentaires des échantillons A0106 (1er site de prélèvement) et C0107 (2e site de prélèvement) de Ryugu pour le carbone, l’azote et l’hydrogène, avec ceux des chondrites carbonées de référence (CI, CM, CO, CR, et CV). Les abondances élémentaires (C, N, H) de A0106 et de C0107 étaient similaires. © Oba et al.

Ils ont également identifié les isomères structuraux de l’uracile, mais n’ont pas détecté la présence d’autres nucléobases d’ADN ou d’ARN — ce qui peut signifier qu’elles sont soit totalement absentes, soit présentes en quantités inférieures à la limite de détection.

Des composés qui dérivent probablement de molécules plus simples

Les chercheurs rapportent avoir également détecté des espèces à base de pyridine dans l’hydrolysat acide des échantillons de Ryugu. Les chromatogrammes ont révélé en particulier la présence de l’ion protoné de l’acide nicotinique (C6H5NO2) — un acide connu sous le nom de niacine ou vitamine B3 — et son isomère structurel, l’acide isonicotinique. À savoir que la vitamine B3 joue un rôle majeur en tant que cofacteur du métabolisme des glucides, des lipides et des protéines. L’équipe rapporte une concentration en vitamine B3 de l’ordre de 49 à 99 ppb.

« Les scientifiques ont déjà trouvé des nucléobases et des vitamines dans certaines météorites riches en carbone, mais il y avait toujours la question de la contamination par exposition à l’environnement terrestre », a expliqué le professeur Yasuhiro Oba de l’Université d’Hokkaido, premier auteur de l’étude rapportant la découverte.

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Chromatogrammes de masse révélant la présence d’acide nicotinique et d’acide isonicotinique dans l’hydrolysat acide des extraits d’eau chaude des échantillons A0106 et C0107 (et dans les échantillons de la météorite d’Orgueil, pour comparaison). © Oba et al.

Des homologues alkylés de l’uracile, ainsi que ceux d’autres molécules N-hétérocycliques (telles que la pyrimidine et l’acide nicotinique) dotées d’un grand nombre d’atomes de carbone ont par ailleurs été détectés dans les extraits de méthanol des échantillons. La présence de ces molécules, associée au fait que les échantillons ont fait l’objet de contrôles minutieux pour éviter toute contamination, suggère qu’elles ne se sont pas formées sous le contrôle de la biologie terrestre, mais « à travers une série de processus abiotiques dans des environnements extraterrestres », conclut l’équipe.

Bien que les prélèvements aient été effectués sur le même astéroïde, les échantillons présentent des concentrations différentes de chaque espèce. Les chercheurs pensent que cette différence est probablement due à l’altération (plus ou moins prononcée) induite par des particules énergétiques telles que les photons ultraviolets et les rayons cosmiques. « Les molécules organiques des matériaux de surface auraient subi des processus énergétiques plus importants que celles des matériaux de sous-surface », écrivent-ils.

Concernant les mécanismes de formation de ces composés azotés, ils ont émis l’hypothèse qu’ils proviennent, au moins en partie, de molécules plus simples telles que l’ammoniac, le formaldéhyde et le cyanure d’hydrogène. Bien que ces trois molécules n’aient pas été détectées jusqu’à présent dans les échantillons de Ryugu, elles ont déjà été identifiées dans les glaces cométaires ; or, Ryugu pourrait provenir d’une comète ou d’un autre corps parent qui aurait été présent dans des environnements à basse température.

Cette étude renforce les théories actuelles concernant la source des nucléobases dans la Terre primitive. À présent, les chercheurs ont hâte d’effectuer une analyse comparative à partir des échantillons de l’astéroïde Bennu que la mission OSIRIS-REx de la NASA a prélevés avec succès en octobre 2020 ; le retour de ces échantillons est prévu pour le mois de septembre.

Source : Y. Oba et al., Nature Communications

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