L’histoire d’un porte-avions américain assailli par le nouveau coronavirus révèle la rapidité avec laquelle le SARS-CoV-2 se propage dans des quartiers étroits, et comment les procédures typiques échouent en période de pandémie. À présent, sur le porte-avions USS Theodore Roosevelt, au moins 585 marins ont été infectés par le nouveau coronavirus, et l’un d’entre eux est décédé (dont ni l’identité ni l’âge n’ont été dévoilés jusqu’à présent).
Une nouvelle analyse sur le cas du porte-avions USS Theodore Roosevelt (CVN-71), avec près de 5000 membres d’équipage à bord, met en lumière la rapidité avec laquelle la maladie s’est propagée, dépassant la capacité de la hiérarchie navale à réagir.
L’ancien capitaine du navire, Brett E. Crozier, a été démis de ses fonctions par le secrétaire par intérim de la Marine, Thomas B. Modly, après avoir écrit une lettre de plusieurs pages à sa hiérarchie, demandant l’évacuation immédiate du porte-avions contaminé par le coronavirus. « Nous ne sommes pas en guerre. Il n’y a aucune raison que des marins meurent », expliquait le commandant Crozier.
Plusieurs vidéos ont commencé à circuler en ligne, notamment celles qui montraient des acclamations touchantes de la part de l’équipage à leur capitaine, Crozier. Ainsi que d’autres vidéos montrant Modly (qui s’est rendu au navire), effectuant un discours et qualifiant Crozier de « stupide» et « naïf». Un comportement qui a conduit Modly lui-même à remettre sa démission quelques jours plus tard (ce dernier s’est ensuite excusé quant à ses propos).
Watch this video of the send off of Captain Crozier, commander of the aircraft carrier USS Roosevelt who was fired yesterday for sounding the alarm to protect his sailors. Tells you everything you need to know about the type of #leader he is. pic.twitter.com/z9q3pTJpgZ
— Amber Smith (@AmberSmithUSA) April 3, 2020
Le départ du capitaine Brett Crozier, qui a été relevé de ses fonctions après avoir sonné l’alarme sur la propagation du coronavirus à bord de l’USS Theodore Roosevelt :
The sendoff for Captain Brett Crozier, who was relieved of command after raising alarm about the spread of coronavirus on the USS Theodore Roosevelt pic.twitter.com/68HNMFEHMb
— ian bremmer (@ianbremmer) April 3, 2020
Entre-temps, le Roosevelt a été débarrassé de son équipage. Crozier a été testé positif pour le coronavirus et reste actuellement à Guam, combattant le COVID-19. 585 autres marins du Roosevelt ont également été testés positifs, et un est décédé. Le marin, dont ni l’identité ni l’âge n’ont été divulgués, avait été trouvé inconscient vendredi matin lors d’un contrôle médical régulier dans les installations mises à disposition de l’équipage. Il avait été transféré dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital de Guam, a précisé l’US Navy dans un communiqué. Le marin avait été testé positif au Covid-19 le 30 mars, trois jours après l’arrivée à Guam du Theodore Roosevelt. Il avait été évacué du navire et placé en isolation sur la base navale de Guam avec quatre autres marins du porte-avions. Des médecins militaires effectuaient des visites deux fois par jour pour vérifier leur état de santé.
Le virus est probablement arrivé à bord du navire à Da Nang, au Vietnam, où le Roosevelt a fait escale le 5 mars. Certains marins ont passé une nuit dans un hôtel, où sont également restés deux ressortissants britanniques qui ont ensuite été testés positifs pour le coronavirus. Il y a également eu des vols militaires provenant des bases du Pacifique pour effectuer des ravitaillements sur le navire dans les semaines suivantes, ce qui est une autre source potentielle de transmission virale.
Le 24 mars, le navire est entré en confinement, après que trois membres d’équipage ont été testés positifs au SARS-CoV-2. Ces membres d’équipage ont été transportés par avion à Guam. Le navire a suivi, amarrant près de Guam deux jours plus tard, le 26 mars.
La lettre de Crozier, envoyée le 30 mars, explique clairement pourquoi les navires sont si dangereux pendant la pandémie de coronavirus : les marins à bord du Roosevelt dorment dans des couchettes très proches les unes des autres, mangent dans des salles communes et partagent les salles de bain. La distanciation sociale n’est tout simplement pas possible. Voici ce que Crozier décrit : « La seule méthode efficace pour préserver la santé d’un individu est l’isolement total pendant plus de 14 jours, conformément au NAVADMIN [message administratif naval, de l’anglais Naval Administrative Message] (c’est-à-dire des chambres individuelles dans des hôtels/casernes avec des salles de bain séparées). En raison des limites inhérentes de l’espace sur un navire de guerre, nous ne le faisons pas. La propagation de la maladie est continue et s’accélère ».
La situation annoncée par le capitaine rappelle celle du Diamond Princess, le navire de croisière qui a été mis en quarantaine près de Yokohama au Japon en février, après que le coronavirus a sévi parmi l’équipage et les passagers. Selon les CDC, sur les 3711 passagers et membres d’équipage à bord, 712 ont été testés positifs pour le coronavirus. Les experts estiment que 17,9% de ces personnes étaient asymptomatiques, mettant en évidence un autre défi du coronavirus en mer : il est impossible de dire par les symptômes seuls qui est malade, qui ne l’est pas et qui propage la maladie.
En plus de cela, des recherches préliminaires ont suggéré que les personnes atteintes du virus pourraient être plus infectieuses lorsqu’elles ne présentent que des symptômes bénins.
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Une étude de la dynamique de transmission du virus sur le Diamond Princess, publiée le 29 février, suggère que chaque personne porteuse du coronavirus aurait pu infecter environ sept personnes (et jusqu’à 11), juste avant la mise en quarantaine dans les chambres. Cette estimation était plus élevée que celles basées sur la terre ferme, notamment à Wuhan, où ce nombre était de 5,7 avant que la ville ne soit mise en quarantaine. Cela signifie qu’à un moment donné, chaque personne contaminée infectait à son tour environ 5,7 autres personnes avec le virus.
Sur le Diamond Princess, les membres d’équipage travaillant dans les services alimentaires semblent avoir été un moyen de propagation efficace du virus, qui s’est poursuivi après la mise en quarantaine des passagers dans leurs cabines : en effet, les passagers ont continué d’avoir des contacts (bien que minimes) avec l’équipage qui livrait leur nourriture, ce qui leur a permis de transmettre le virus à l’équipage, et vice versa.
Mais à bord du Roosevelt, les marins n’ont pas le luxe d’avoir des cabines privées…
À présent, des marins de trois autres transporteurs américains, le Ronald Reagan, le Carl Vinson et le Nimitz, ont été testés positifs pour le coronavirus.