Des chercheurs découvrent un immense cycle d’hydrocarbures dans les océans

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Cyanobactéries Prochlorococcus marinus. | L. Thompson, Chisholm Lab/N. Watson, MIT
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Des scientifiques de l’Université de Californie à Santa Barbara (UCSB) ont découvert un tout nouveau cycle naturel d’émissions et de recyclage d’hydrocarbures, mis en œuvre par toute une gamme de micro-organismes. Ce cycle, jamais mis en évidence jusqu’alors, pourrait permettre de mieux comprendre comment certaines bactéries pourraient contribuer de façon non négligeable au nettoyage des océans en cas de marée noire.

Des hydrocarbures sont rejetés dans l’océan par des suintements naturels de pétrole et des déversements industriels associés à l’extraction, au transport et à la consommation de pétrole ; le tout représente environ 1,3 mégatonne par an. Les cyanobactéries marines produisent également des hydrocarbures à partir d’acides gras, mais jusqu’à présent, les scientifiques en savaient peu sur la contribution de ce cycle d’hydrocarbures cyanobactériens.

Une nouvelle étude a permis de mieux cerner le phénomène : les chercheurs ont notamment découvert que certaines bactéries étaient capables de produire dans l’océan jusqu’à 500 fois plus d’hydrocarbures que toutes les autres sources réunies (qu’il s’agisse de suintements naturels ou de déversements accidentels). Il apparaît par ailleurs que le processus ne s’effectue pas à sens unique.

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Des bactéries mangeuses d’hydrocarbures

Les scientifiques ont mené leurs recherches en 2017 dans la mer des Sargasses, une zone de l’Atlantique Nord connue pour être pauvre en nutriments, où les genres Prochlorococcus et Synechococcus de cyanobactéries productrices d’hydrocarbures dominent ; ces bactéries produisent principalement du pentadécane (un alcane contenant 15 atomes de carbone), dont se régalent d’autres micro-organismes. Elles produisent collectivement 300 à 600 millions de tonnes métriques de pentadécane par an, une quantité qui éclipse complètement les 1,3 million de tonnes métriques d’hydrocarbures rejetés par toutes les autres sources.

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Des quantités importantes de pentadécane sont produites et consommées dans les couches supérieures de l’océan. © David Valentine/WHOI

Cependant, le cycle de production/consommation du pentadécane — qui concerne au moins 40% de la surface de la Terre — est tel que seules deux millions de tonnes métriques d’hydrocarbures d’origine bactérienne sont en réalité présentes dans l’eau à chaque instant. « Tous les deux jours [ndlr : soit la durée de vie estimée des cellules cyanobactériennes] est produit et consommé tout le pentadécane de l’océan », résume Connor Love, spécialiste en sciences marines à l’UCSB. Si ce cycle d’hydrocarbures n’a jamais été découvert jusqu’à présent, c’est parce qu’il a vraisemblablement été masqué par les traces d’hydrocarbures inhérentes à l’activité humaine. En effet, ces composés sont aujourd’hui largement utilisés dans nos produits de consommation (carburants, plastiques, solvants, cosmétiques, textiles, etc.), c’est pourquoi ils se retrouvent dans l’environnement, y compris dans les océans.

L’identification de cet important cycle naturel d’hydrocarbures n’a pas été facile. Love et ses collègues ont choisi d’explorer une zone éloignée de toute source humaine d’hydrocarbures, dans les eaux subtropicales de l’Atlantique Nord ; en outre, ils ont pris soin de positionner leur bateau de façon à ce que leur propre carburant — qui contient aussi du pentadécane — ne contamine pas les sites de prélèvement. Aucun membre de l’équipage n’était autorisé à cuisiner, fumer ou peindre sur le pont pendant les collectes. De retour à terre, une analyse par chromatographie en phase gazeuse a permis de confirmer que le pentadécane contenu dans les échantillons d’eau de mer était bel et bien d’origine biologique.

De possibles « nettoyeurs » d’océans ?

L’équipe a constaté que les concentrations de pentadécane augmentaient lorsque les cellules de cyanobactéries étaient abondantes. De plus, la distribution géographique et verticale de l’hydrocarbure était conforme à l’écologie de ces micro-organismes : il apparaît en effet que le cycle du pentadécane dans l’océan suit le cycle quotidien de ces cyanobactéries, marqué notamment par leur migration verticale dans l’eau en réponse aux changements d’intensité lumineuse au cours de la journée.

Les cyanobactéries Prochlorococcus et Synechococcus sont responsables d’environ un quart de la conversion de l’énergie solaire de l’océan mondial en matière organique. Des cultures réalisées en laboratoire ont par ailleurs révélé qu’elles produisaient du pentadécane durant le processus. David Valentine, du département des sciences de la Terre et de l’Institut des sciences marines de l’UCSB, qui est à l’origine de cette expérience, explique que cette biosynthèse a sans aucun doute un rôle biologique fondamental. Il suggère ainsi que les cyanobactéries utilisent probablement le pentadécane pour renforcer leurs membranes cellulaires et/ou leurs vésicules lipidiques.

Sur la base de ces observations et des prélèvements effectués par Love et son équipe, il semble que les cyanobactéries soient bien la source du pentadécane biologique ; celui-ci est alors consommé par d’autres micro-organismes — des bactéries et des archées — qui produisent à leur tour du dioxyde de carbone que les cyanobactéries utilisent pour continuer le cycle. L’ajout de pentadécane dans les échantillons prélevés a entraîné l’apparition de douzaines de bactéries et d’archées de surface, ce qui soutient leur hypothèse.

Par la suite, ils ont souhaité vérifier si ces microbes mangeurs d’hydrocarbures étaient aussi capables de décomposer le pétrole. En d’autres termes, ces micro-organismes pouvaient-ils être un atout en cas d’accident pétrolier ? Pour le savoir, ils ont ajouté du pentane — un hydrocarbure de pétrole similaire au pentadécane — à de l’eau de mer provenant d’endroits plus ou moins proches de suintements naturels de pétrole dans le golfe du Mexique. Si le cycle du pentadécane incitait réellement les microbes à consommer également d’autres hydrocarbures, tous les échantillons étaient supposés afficher des taux de prolifération similaires.

Malheureusement, ce n’est pas ce qui a été observé : seuls les échantillons prélevés près des suintements de pétrole présentaient une importante prolifération de microbes et ce, une semaine seulement après l’ajout de pentane. À mesure que les échantillons s’éloignaient des suintements, la prolifération se faisait beaucoup plus lente, prenant parfois plusieurs mois. « Nous avons démontré qu’il existe un cycle d’hydrocarbures massif et rapide qui se produit dans l’océan, et qu’il est distinct de la capacité de l’océan à répondre aux intrants pétroliers », conclut Valentine.

Des tests ADN ont par ailleurs montré que les gènes censés coder pour des protéines capables de dégrader les hydrocarbures différaient selon les microbes ; la différence était d’autant plus grande entre ceux qui consomment des hydrocarbures d’origine biologique et ceux qui consomment les hydrocarbures d’origine pétrolière. Ainsi, les espèces microbiennes capables de consommer du pentadécane ne sont pas nécessairement capables de consommer d’autres hydrocarbures ; surtout compte tenu du fait que le pétrole comprend des dizaines de milliers d’hydrocarbures différents ! C’est en quelque sorte comme si chaque type de microbe avait développé une affinité spécifique à l’hydrocarbure présent dans sa région d’origine, un phénomène que les scientifiques désignent par « amorçage biogéographique ».

À présent, l’équipe se livre au séquençage des génomes des microbes trouvés dans leurs échantillons pour mieux comprendre l’écologie et la physiologie de ces micro-organismes qui semblent jouer un rôle fondamental dans le cycle naturel des hydrocarbures.

Source : Nature microbiology, C. Love et al.

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