Des exemples de géométrie appliquée identifiés sur une tablette vieille de 3700 ans !

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| UNSW Sydney
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Cette tablette de la période babylonienne (entre 1900 et 1600 av. J.-C.), dénommée Si.427, a été découverte à la fin du 19e siècle, dans une région qui correspond aujourd’hui à la province de Bagdad, en Irak. Elle était conservée au Musée archéologique d’Istanbul, jusqu’à ce qu’un mathématicien australien parte à sa recherche pour pouvoir analyser les motifs gravés à sa surface : il se trouve que cette tablette comporte des triplets pythagoriciens, alors qu’elle date d’au moins 1000 ans avant Pythagore !

Ce n’est pas la première fois que le mathématicien Daniel Mansfield, de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud en Australie, découvre des traces anciennes de calculs géométriques. En 2017, son collègue Norman Wildberger et lui rapportaient dans Historia Mathematica la découverte d’une tablette d’argile de la même époque, dénommée Plimpton 322, contenant une partie d’une table proto-trigonométrique. Cette tablette, dont la fabrication est datée entre 1822 et 1762 av. J.-C., était jusqu’à présent considérée comme l’artefact scientifique le plus avancé du monde antique et la première table trigonométrique de l’histoire.

Plimpton 322 prouvait surtout que les Babyloniens ont découvert la trigonométrie sexagésimale exacte au moins 1500 ans avant que les Grecs anciens ne découvrent la trigonométrie. Motivé par cette découverte, Daniel Mansfield a entrepris de dénicher d’autres tablettes d’argile de la même période ; c’est comme cela qu’il a retrouvé Si.427, « seul exemple connu d’un document cadastral de la période babylonienne », précise-t-il dans un communiqué.

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Le plus ancien exemple de géométrie appliquée au monde

La tablette Si.427 nouvellement découverte a en effet servi de support à un plan de terrain ; elle comporte le schéma d’un champ, divisé en plusieurs parties, dont l’une a vraisemblablement fait l’objet d’une vente. Comme le note le spécialiste, les lignes qui délimitent les différentes parties du terrain sont incroyablement précises, surtout pour l’époque. Ce qui suggère que les géomètres de cette période avaient conçu un moyen de créer des lignes perpendiculaires plus précisément qu’auparavant.

schéma champ tablette
Les lignes de démarcation des terrains ont été tracées grâce à des triplets pythagoriciens. © UNSW Sydney

En effet, pour délimiter les terres, l’arpenteur babylonien a utilisé des triplets pythagoriciens — soit des triplets de nombres entiers qui vérifient le théorème de Pythagore — pour tracer précisément les angles droits. « La découverte et l’analyse de la tablette ont des implications importantes pour l’histoire des mathématiques », explique le Dr Mansfield. Et pour cause : l’objet date de plus de mille ans avant la naissance de Pythagore ! « Une fois que vous comprenez ce que sont les triplets de Pythagore, votre société a atteint un niveau particulier de sophistication mathématique », ajoute le spécialiste.

Pour tracer les angles droits, les arpenteurs du monde antique avaient pour habitude de tracer un rectangle de côtés 3 et 4 unités, et de diagonale 5 unités — soit un triplet de Pythagore classique (32 +42 = 52). Mais les arpenteurs qui ont tenu la tablette Si.427 en main sont allés encore plus loin : « ils ont utilisé une variété de triplets pythagoriciens différents, à la fois sous forme de rectangles et de triangles rectangles, pour construire des angles droits précis », explique Mansfield. Si.427 contient trois triplets pythagoriciens : 3, 4, 5 ; 8, 15, 17 ; et 5, 12, 13.

Si cela paraît tellement impressionnant, c’est parce que les Babyloniens utilisaient un système sexagésimal — soit un système de numération utilisant la base 60. Or, dans ce système numérique, il est particulièrement difficile de travailler avec des nombres premiers supérieurs à 5. « Leur système de numérotation unique en base 60 signifie que seules certaines formes pythagoriciennes peuvent être utilisées », souligne Mansfield.

Des mathématiques nées de problèmes pratiques

Comme le rappelle le Dr Mansfield, il est généralement admis que la trigonométrie a été développée par les Grecs anciens, grâce à l’observation du ciel nocturne, au 2e siècle av. J.-C. Mais la découverte de la tablette Plimpton 322, en 2017, a remis cette hypothèse en question. Et les premières analyses suggèrent que la tablette Si.427 est encore plus ancienne ; il semblerait que l’auteur de Plimpton 322 se soit inspiré de Si.427 pour ne retenir que les formes pythagoriciennes les plus utiles.

tablette plimpton 322 géométrie
La tablette Plimpton 322, découverte en 2017, pourrait être inspirée des travaux effectués via Si.427, encore plus ancienne. Les 15 rangées de la tablette décrivent une séquence de 15 triangles rectangles dont l’inclinaison diminue régulièrement. © UNSW Sydney

En 2017, les chercheurs soupçonnaient déjà que Plimpton 322 avait un objectif pratique, tel que la construction d’un bâtiment ou l’arpentage de champs. La découverte de Si.427 confirme que les Babyloniens s’intéressaient à la géométrie pour délimiter précisément des terrains, à une période où la terre commençait à être privatisée.

« Les Babyloniens ont développé leur propre « proto-trigonométrie » pour résoudre les problèmes de mesure du sol, pas du ciel », résume Mansfield. Déjà à l’époque, la précision des mesures était importante pour résoudre les litiges entre voisins, comme en attestent les problématiques évoquées sur certaines tablettes. « Personne ne s’attendait à ce que les Babyloniens utilisaient des triplets pythagoriciens de cette manière. Cela s’apparente plus à des mathématiques pures, inspirées par les problèmes pratiques de l’époque », souligne l’expert.

Au verso de la tablette Si.427 se trouve du texte, gravé en écriture cunéiforme, l’un des premiers systèmes d’écriture (établi entre 3400 et 3300 av. J.-C.). Ce texte semble être une description du schéma réalisé au recto ; il précise notamment la taille du champ. Mansfield et ses collègues ont également remarqué la présence de nombres gravés au bas du texte : « 25, 29 », en gros caractères ; mais ils ne sont pas parvenus à leur trouver une explication. « Je n’arrive pas à comprendre ce que signifient ces chiffres – c’est une énigme absolue. Je suis impatient de discuter de toute piste avec des historiens ou des mathématiciens qui pourraient avoir une intuition sur ce que ces chiffres essaient de nous dire ! », conclut le mathématicien.

Sources : UNSW Sydney et Foundations of Science, D. Mansfield

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