La fonte des glaciers entraîne la disparition soudaine des rivières

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| Dan Shugar et Michael Loso
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Alors que les glaciers du monde entier reculent rapidement en raison du réchauffement climatique, certaines communautés sont confrontées à un nouveau problème : la disparition soudaine de leurs rivières. Le phénomène, que l’on appelle une capture en hydrographie, se produit lorsqu’un cours d’eau est détourné de son tracé initial par un autre plus actif. Plusieurs causes peuvent expliquer les captures, y compris la fonte massive des glaciers.

À mesure que la fonte des glaces s’accélère, les terres autrefois couvertes de glace pendant des siècles seront à l’air libre, ce qui entraînera la redirection de nombreuses rivières dans les zones de haute montagne. Si ces redirections seront sans conséquence dans la plupart des cas, dans certaines régions où les populations dépendent des rivières et de leur débit, l’impact pourrait être bien plus important.

Le premier cas connu de capture a été identifié en 2016 par Dan Shugar, géoscientifique à l’Université de Calgary. Au printemps 2016, le plus grand glacier du Canada, le glacier Kaskawulsh, a fondu si rapidement qu’il a provoqué le détournement de la rivière Slims — une grande rivière qui s’étendait jusqu’à 150 mètres de large en certains points — réduisant considérablement le niveau d’eau d’un lac qu’il alimentait. Le phénomène semble cette fois concerner la baie des Glaciers, en Alaska.

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Un fort impact sur l’activité humaine

Dans un article paru le mois dernier dans la revue Geomorphology, Michael Loso, géologue du National Park Service s’inquiète de la fonte massive de la baie des glaciers. Le glacier du Grand Plateau, dans le sud de l’Alaska, mesure environ 350 mètres d’épaisseur et a longtemps servi de barrière à la rivière Alsek. Cette voie navigable prend sa source dans la chaîne de montagnes St Elias au Canada et rejoint l’océan Pacifique à Dry Bay, dans le golfe d’Alaska, une région connue pour la pêche et le rafting. Le recul du glacier pourrait faire changer le cours d’une puissante rivière qu’il alimente, et ainsi, bouleverser les écosystèmes et les populations qui en ont besoin.

Loso et ses collègues prédisent qu’au cours des trois prochaines décennies, l’Alsek abandonnera son chenal actuel à Dry Bay au profit d’une sortie plus raide, située à 28 km au sud-est, une voie libérée par le glacier du Grand Plateau, qui s’amincit et recule extrêmement vite (il perd jusqu’à 10 mètres par an). Les sondages radar ont en effet confirmé que le lit du glacier est désormais en dessous du niveau des lacs qui se trouvent de chaque côté ; la jonction imminente de ces lacs redirigera l’embouchure de l’Alsek. Les deux lacs ont déjà plus que doublé de taille depuis 1958, d’après les scientifiques.

Problème : ces prévisions situent le nouveau débouché de la rivière dans la zone sauvage du parc national, qui par définition, est une zone plus strictement réglementée où de nombreuses activités, y compris les activités commerciales, sont interdites. L’exploitation de la rivière s’en trouvera nécessairement bouleversée.

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Vue d’ensemble de la zone d’étude de la rivière Alsek et du glacier du Grand Plateau (noté GPG). Sur la carte principale, la ligne jaune en pointillés représente la possible nouvelle trajectoire de la rivière Alsek. Les lignes rouges montrent l’étendue des lobes d’Alsek et du Grand Plateau en 1958. © M. G. Loso et al.

« S’il s’agissait d’espèces en voie de disparition dont tout le monde s’inquiétait, vous pourriez dire : « Bien, elles migrent vers une zone plus protégée. Tant mieux! » Mais la rivière n’est pas une espèce en voie de disparition. C’est une ressource qui fonctionne très bien. Cela va impacter tous les humains qui en dépendent », explique Loso. Les poissons anadromes (comme les saumons) et leurs prédateurs du bas Alsek devront eux aussi s’adapter à ce changement. Il est difficile pour le moment d’imaginer l’impact réel de l’événement. Les scientifiques se sont donc penchés sur des phénomènes similaires, qui se sont déroulés dans le passé.

Des captures de plus en plus courantes à l’avenir

Suite à la capture observée en 2016, Carmen Wong, écologiste à l’agence Parcs Canada, a déclaré avoir été témoin d’un changement massif de paysage en quelques jours seulement. « Cela a asséché une rivière et une autre a pu récupérer son eau et se diriger vers un océan entièrement différent », a-t-elle précisé. Résultat : le lac Kluane, la plus grande étendue d’eau du Yukon, s’est retrouvé avec des niveaux d’eau inférieurs à la normale de 1,7 mètre. La spécialiste ajoute par ailleurs qu’il reste beaucoup d’inconnues, y compris l’impact de cette capture sur les truites et le frai des saumons, habitués à remonter la rivière.

En outre, la Première nation de Kluane — un groupe autochtone nomade installé le long du lac Kluane à Burwash Landing, à une soixantaine de kilomètres de la rivière Ä’äy Chù — est toujours aux prises avec les conséquences de cette disparition soudaine. Le chef du groupe, Bob Dickson, a déclaré qu’une centaine de résidents vivant le long du lac ont pour habitude de compléter leur alimentation avec du saumon et de l’orignal, provenant respectivement du lac et des terrains de chasse accessibles en traversant le lac en bateau. Mais la baisse du niveau du lac rend évidemment plus difficiles la pêche et la navigation.

En étudiant à l’avance la nouvelle capture à venir en Alaska, Loso et son équipe du National Park Service espèrent ainsi limiter son impact sur les pêcheurs, les chasseurs et les autres utilisateurs locaux. Il s’agira notamment de faire pression sur le Congrès pour « déclasser » certaines zones sauvages du parc naturel. « Ça va être compliqué. Cela impliquera une combinaison de personnes qui devront revoir leurs attentes, leurs plans et leurs comportements pour s’adapter à l’absence de la rivière », souligne Loso.

Shugar et Loso prévoient que des événements comme celui-ci deviendront malheureusement de plus en plus courants dans les zones montagneuses glaciaires, partout dans le monde. L’Islande est elle aussi particulièrement touchée par la fonte des glaciers : le cas le plus frappant a eu lieu en 2009, lorsqu’un glacier alimentant la rivière Skeiðará s’est retiré, laissant le plus long pont d’Islande (900 mètres de long) sans eau à ses pieds. Loso précise toutefois qu’il ne s’inquiète pas pour les écosystèmes locaux, car les conséquences seront selon lui essentiellement humaines : « Le monde qui est diminué par la perte de ses glaciers est amélioré par l’ajout de tout ce qui les remplace. La rivière ira bien, mais les gens vont être incommodés — ou plus », avertit le scientifique.

Source : Geomorphology, M. G. Loso et al.

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