Ne pas avoir conscience des conséquences de ses choix peut conduire à des comportements autodestructeurs. Selon une nouvelle étude, une forme d’incompréhension profonde du lien entre les actions et leurs conséquences, qui sont parfois indirectes, serait fortement impliquée dans la difficulté à renoncer aux habitudes nocives.
En règle générale, les comportements autodestructeurs sont les symptômes d’autres problèmes psychologiques sous-jacents (tels que des traumatismes). Les personnes adoptant ces habitudes vivent parfois une réalité douloureuse, créant un profond déséquilibre émotionnel interne. Ce chaos émotionnel est si intense qu’elles ont besoin de « canaliser » l’anxiété qui en découle, notamment vers d’autres comportements nocifs et dangereux pour elles-mêmes.
Ces habitudes confèrent à ces personnes un certain soulagement, car elles procurent une impression de contrôle sur leur chaos interne. Cependant, ce soulagement ne se manifeste que sur le court terme et les personnes autodestructrices se retrouvent enfermées dans un cercle vicieux, où elles doivent en quelque sorte recommencer à se faire du mal pour être soulagées. Ces habitudes peuvent parfois se traduire par l’addiction aux substances nocives, à la poursuite des relations toxiques, à l’automutilation, etc.
La plupart des psychologues proposent deux voies pour l’origine des habitudes autodestructrices : motivationnelle et comportementale. L’une est notamment basée sur un défaut d’évaluation de la récompense et l’autre sur le lien entre les mécanismes autonomes de stimulation et leurs réponses. La nouvelle recherche, parue dans la revue PNAS, met en avant un mécanisme cognitif qui serait à l’origine des comportements autodestructeurs.
Les personnes qui persistent à maintenir un comportement autodestructeur ne seraient pas réticentes à adopter un comportement qui leur est bénéfique. Le problème viendrait davantage d’un déficit dans l’apprentissage, où ces personnes créent inconsciemment des explications qui leur semblent logiques sur leur comportement, mais qui sont finalement erronées. D’après les chercheurs de l’Université de la Nouvelle-Galles-du-Sud (à Sydney), il y aurait une incompréhension du lien entre les choix ou les actions et leurs conséquences : ce qui conduit à la récurrence des habitudes nocives et à la difficulté de s’en défaire.
Une incapacité à comprendre le côté nocif des actions
Pour en venir à leurs résultats, les chercheurs ont recruté un ensemble de jeunes adultes, puis leur ont demandé de jouer à un jeu vidéo de commerce spatial intergalactique. Le jeu consistait à choisir parmi deux planètes pour gagner des points. Sans que les participants ne le sachent, l’une d’entre elles faisait apparaître un vaisseau pirate qui rafle une grande partie des gains du joueur, lorsque celui-ci cliquait dessus. En revanche, le choix de la deuxième planète conduisait à l’apparition de vaisseaux « amis », qui laissent les gains des joueurs intacts.
Les joueurs ayant gagné le plus de points en choisissant la bonne planète ont été qualifiés de « sensibles », car ils ont correctement fait le lien entre le choix de la mauvaise planète et l’apparition du vaisseau pirate. Ils ont en effet ajusté leur comportement en tenant compte des conséquences de leur choix et en évitant ainsi de choisir cette planète lors de nouvelles tentatives. Toutefois, après plusieurs tours de jeu, une grande partie des joueurs n’avait pas encore fait le lien entre le choix de la mauvaise planète et l’apparition du vaisseau pirate. « Nous savons déjà, grâce à des études antérieures utilisant le même jeu vidéo, que de nombreuses personnes — dites ‘inconscientes’ — ne réalisent pas bien comment leurs actions conduisent à des résultats négatifs », indique dans un communiqué Philip Jean-Richard-dit-Bressel, auteur principal de la nouvelle étude et chercheur en psychologique à l’Université de la Nouvelle-Galles-du-Sud.
Lorsque les chercheurs ont décidé de révéler les conséquences « punitives » engendrées par ce choix, la plupart des participants « inconscients » ont ajusté leur comportement afin de ne pas perdre leurs gains. Cependant, certains joueurs ont étonnamment continué à choisir la mauvaise planète, malgré la mise en garde. Ce sous-ensemble de participants a été nommé « compulsifs ».
Bien que cette expérience n’explique pas entièrement pourquoi les « compulsifs » ont continué à faire le mauvais choix malgré la mise en garde, les chercheurs de Sydney mettent en lumière de nouvelles idées de mécanismes cognitifs sous-jacents. « Ce que nous montrons, c’est qu’il existe une voie cognitive qui émerge non pas des différences de valeur ou de conscience, mais de l’incapacité à comprendre ou à apprécier correctement que leurs propres actions les conduisent à se nuire. Les compulsifs apprennent, mais de la mauvaise manière », explique Gavan McNally, neuroscientifique du comportement à l’Université de la Nouvelle-Galles du Sud et co-auteur de la nouvelle étude.
Les chercheurs suggèrent également une explication à la récurrence des habitudes autodestructrices. Ils ont notamment comparé les conséquences des choix autodestructeurs à des punitions, dont la rareté conduirait les personnes concernées à continuer leurs comportements nocifs. « Lorsque les conséquences négatives de certains comportements sont rares, nous avons une grande partie des gens qui ne changent pas leur comportement, même lorsque vous leur montrez le lien », explique le professeur Mc Nally.
Au cours de l’expérience du jeu vidéo, les chercheurs ont fait apparaître le vaisseau pirate 10%, 20% et 40% du temps, lorsque les joueurs sélectionnaient la mauvaise planète. Les joueurs ont évité de choisir cette planète exactement et respectivement aux mêmes fréquences, pour éviter la punition (perte des gains). Dans la vie réelle, l’on pourrait par exemple transposer l’expérience au cas de l’abus d’alcool. Si l’on tombait gravement malade à chaque fois que nous buvions plutôt que très rarement, nous serions beaucoup plus susceptibles d’ajuster notre comportement en réduisant notre consommation ou en y renonçant complètement.
De plus, les chercheurs ont remarqué que tous les joueurs ont déclaré ne pas vouloir perdre dans le jeu, qu’ils soient sensibles, inconscients ou compulsifs. Les problèmes de comportements autodestructeurs ne dépendraient ainsi pas forcément de l’impulsivité ou de manque de contrôle comportemental. « Le problème semble vraiment être la capacité de former cognitivement une idée précise de la façon dont vos actions mènent à certains résultats non voulus », conclut Jean-Richard-dit-Bressel.