Des formes de vie éteintes depuis des millions d’années ont été retrouvées au fond de l’océan

symbiose ancienne corail crinoide
| Zapalski et al., Palaeogeogr. Palaeoclimatol. Palaeoecol., 2021.
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Une équipe de scientifiques a découvert au fond de l’océan Pacifique, au large des côtes de Honshu et Shikoku, au Japon, des formes de vie qui avaient disparu à la fin du permien, il y a environ 270 millions d’années. Il s’agit de coraux non squelettiques poussant sur des tiges de crinoïdes, les deux organismes vivant en parfaite symbiose.

Les crinoïdes appartiennent à l’embranchement des échinodermes ; ils ont l’apparence d’une plante (ce qui leur vaut le surnom de « lys de mer »), mais possèdent un squelette calcaire articulé. Les archives fossiles des fonds marins montrent qu’à l’ère paléozoïque, les crinoïdes et les coraux entretenaient déjà une relation symbiotique ; les coraux envahissaient les tiges de crinoïdes pour mieux accéder aux ressources alimentaires, le plancton, que les crinoïdes piégeaient dans leurs longs bras flexibles.

Toutefois, ces deux espèces ont disparu des archives il y a environ 273 millions d’années. D’autres espèces de crinoïdes et de coraux sont ensuite apparues à l’ère mésozoïque — après l’extinction massive du Permien-Trias, qui a entraîné la disparition de 95% des espèces marines. Mais elles ne semblaient pas avoir la même relation étroite que par le passé…

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Une relation propice à une meilleure alimentation des coraux

Alors qu’ils exploraient les fonds marins, une équipe de biologistes a eu la surprise de retrouver des spécimens des deux espèces vivant en totale symbiose, comme leurs ancêtres. « Ces spécimens représentent les premiers enregistrements et examens détaillés d’une association syn vivo récente d’un crinoïde (hôte) et d’un hexacoral (épibionte) », écrivent les chercheurs dans leur article. Ils ajoutent que les analyses de ces associations peuvent apporter un éclairage nouveau sur notre compréhension de ces associations paléozoïques communes.

Ces nouvelles analyses sont basées sur des spécimens de crinoïde pédonculé, Metacrinus rotundus, et des spécimens de deux espèces d’hexacoraux, collectés en 2019 au large de la baie de Suruga (au sud de l’île Honshū), à des profondeurs comprises entre 108 et 146 mètres. L’équipe, dirigée par le paléontologue Mikołaj Zapalski de l’Université de Varsovie, a tout d’abord utilisé la microscopie stéréoscopique pour observer et photographier les différents spécimens. Les chercheurs ont ensuite effectué une analyse microtomographique à rayons X sur l’un des spécimens de M. rotundus et ses coraux, afin d’examiner la structure interne et révéler les potentielles modifications squelettiques de l’hôte.

polypes coraux crinoïdes
A – Un polype (indiqué par la flèche) de Metridioidea sp. indet. attaché à la tige d’un crinoïde. B – Image en gros plan d’un polype fermé. C – Image en gros plan d’un polype ouvert. Barres d’échelle: 10 mm. © S. Amemiya/M. K. Zapalski et al.

Ils ont également réalisé le séquençage de l’ADN des spécimens pour identification. Le crinoïde Metacrinus rotundus est une espèce relativement commune de la baie de Suruga. Elle est connue pour modifier les courants environnants afin de bénéficier d’une alimentation plus efficace (elle filtre l’eau pour en extraire le plancton) ; il est donc possible qu’elle puisse s’adapter à une gamme plus large de vitesses de courant d’alimentation que ses ancêtres paléozoïques.

Les scientifiques ont par ailleurs identifié deux espèces différentes de corail : des hexacoraux du genre Abyssoanthus sp., particulièrement rares, et des spécimens du genre Metridioidea sp. indet., une sorte d’anémone de mer. Ils ont constaté que les coraux, qui se fixaient sous « l’éventail d’alimentation » des crinoïdes, ne rivalisaient probablement pas avec leurs hôtes pour la nourriture. De plus, étant non squelettiques, ils ne semblent pas affecter la flexibilité des tiges de crinoïdes.

schéma positions polypes coraux
Schéma montrant deux positions potentielles de coraux épizoïques : sous l’éventail d’alimentation de l’hôte (polype vert) ou au sein même de l’éventail du crinoïde (polype rouge), cette dernière position appauvrissant potentiellement le flux d’alimentation du crinoïde. Notez que le nombre de particules de nourriture est plus faible près du fond marin, car les vitesses du courant y sont plus faibles. © M. K. Zapalski et al.

Une étroite relation qui pourrait remonter au Paléozoïque

Quel(s) avantage(s) les crinoïdes tirent-ils d’une telle association avec le corail ? Pour le moment, les scientifiques ne le savent pas, mais ils ont néanmoins découvert un élément intéressant : contrairement aux coraux du Paléozoïque, ces nouveaux spécimens n’ont pas modifié la structure du squelette des crinoïdes. Or, selon les chercheurs, ceci pourrait expliquer l’écart observé dans les archives fossiles.

Les fossiles paléozoïques de coraux et de crinoïdes symbiotiques impliquent des coraux qui possèdent un squelette de calcite, tels que ceux de l’ordre des Rugosa ou des Tabulata — ces deux groupes ayant disparu lors de l’extinction du Permien. Les fossiles d’organismes à corps mou, tels que les coraux non squelettiques, sont quant à eux plus rares. Les Zoantharia, comme Abyssoanthus, n’ont aucun enregistrement fossile confirmé, et les fossiles d’actiniaires comme Metridioidea sont également extrêmement limités.

Ainsi, si ces coraux ne modifient pas leur hôte et ne laissent aucune trace fossile, peut-être qu’ils ont eu une relation avec les crinoïdes qui n’a tout simplement pas été enregistrée ! Cela signifie que la relation moderne entre le corail et le crinoïde pourrait contenir des indices sur leurs interactions au Paléozoïque. Il existe d’ores et déjà des preuves suggérant que les Zoantharia et les coraux rugueux partagent un ancêtre commun.

« Comme les Actiniaria et Zoantharia ont des racines phylogénétiques profondes dans le Paléozoïque et que les associations corail-crinoïdes étaient courantes parmi les coraux paléozoïques de l’ordre des Tabulata et des Rugosa, nous pouvons supposer que les coraux non squelettiques du Paléozoïque auraient également développé cette stratégie de fixation sur les crinoïdes » concluent les chercheurs dans leur article. Le nombre de spécimens récupérés à ce jour est faible, mais maintenant que leur existence est connue, davantage de recherches pourront être menées pour retracer l’histoire de cette étonnante symbiose.

Source : Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology, M. K. Zapalski et al.

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