Un fossile d’homininé d’il y a 8,7 millions d’années remet en question nos origines africaines

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Les parties fossilisées du crâne d'Anadoluvius turkae. | Ayla Sevim-Erol et al.
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Un crâne fossilisé récemment découvert en Turquie datant d’il y a 8,7 millions d’années suggère que les homininés pourraient être d’origine européenne. En rupture avec la théorie conventionnelle, cette hypothèse implique que nos ancêtres n’auraient migré vers l’Afrique qu’il y a 7 à 9 millions d’années. Bien que controversée, il s’agirait de la preuve la plus solide à ce jour concernant une origine non africaine de la lignée que nous partageons avec les grands singes.

Un débat de longue date persiste sur la question de la véritable origine des homininés, la branche des hominidés incluant les chimpanzés, les bonobos et le genre Homo. L’hypothèse la plus acceptée évoque une ascendance africaine, car les homininés non humains existants y résident. Cependant, de récentes analyses phylogénétiques de singes du Miocène supérieur, découverts en Europe et en Anatolie centrale (les provinces centrales de la Turquie), semblent suggérer une origine non africaine.

Les plus anciens homininés retrouvés en Europe

Au cours des deux dernières décennies, plusieurs taxons d’homininés ont été découverts en Turquie, bien qu’initialement non catégorisés comme appartenant à cette lignée. Des analyses ont confirmé qu’il s’agit bel et bien d’homininés et ont révélé une diversité régionale plus importante qu’on ne le pensait. Ces taxons auraient évolué en Méditerranée orientale pendant au moins 5 millions d’années et représentent les plus anciens fossiles d’homininés connus. Baptisé Anadoluvius turkae, le fossile nouvellement découvert et décrit dans la revue Communications Biology, appartient à cette ancienne lignée d’homininés européens.

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On pourrait penser que ces homininés se sont dispersés en Europe à partir d’ancêtres africains, pour ensuite disparaître (selon les preuves archéologiques disponibles). Cependant, les chercheurs de la nouvelle étude, de l’Université d’Ankara et de Toronto, estiment qu’il est plus probable qu’ils aient évolué en Europe sur une longue période pour ensuite se propager vers l’Afrique il y a 7 à 9 millions d’années. En effet, leurs analyses d’A. turkae ont révélé que le spécimen aurait co-évolué avec les singes des Balkans et d’Anatolie, à partir d’un ancêtre commun européen. Cette découverte est compatible avec le fait que les plus anciens homininés sont jusqu’ici exclusivement retrouvés en Europe.

Selon David Begun, coauteur principal de l’étude et paléoanthropologue à l’Université de Toronto, « les hominidés ont non seulement évolué en Europe occidentale et centrale, mais ont passé plus de cinq millions d’années à y évoluer et à se propager à la Méditerranée orientale avant de finalement se disperser en Afrique ». La migration a probablement été enclenchée pour des raisons environnementales, telles que la diminution des ressources, des températures moins clémentes, etc.

À noter que les chercheurs se sont focalisés sur l’ancêtre commun des homininés, et non uniquement sur la lignée humaine ayant divergé parallèlement aux autres primates comme les chimpanzés. Après cette divergence, l’évolution humaine se serait majoritairement opérée en Afrique. En outre, « il est également très probable que les lignées des chimpanzés et des humains aient divergé les unes des autres en Afrique », estime Begun.

Une hypothèse controversée

Le fossile d’A. turkae comprend un crâne partiel, découvert sur le site de fouilles de Çorakyerler en 2015. La majeure partie de la structure faciale et de la boîte crânienne ont été bien conservées, et suggèrent un cerveau relativement volumineux. D’après les paléoanthropologues, le spécimen pesait entre 50 et 60 kilogrammes, soit environ le poids d’un grand chimpanzé mâle. Sa puissante mâchoire recouverte de grandes dents épaisses et émaillées suggère qu’il se nourrissait d’aliments durs, tels que des racines et des rhizomes, ce qui indique qu’il passait probablement beaucoup de temps au sol.

À proximité du fossile ont été trouvés des ossements d’animaux, associés aux anciennes prairies et savanes africaines et aux forêts sèches actuelles : notamment des girafes, des phacochères, des rhinocéros, diverses antilopes, des zèbres, des éléphants, des porcs-épics, des hyènes et des carnivores ressemblant à des lions. Malgré l’absence de membres, les experts en ont conclu qu’il vivait probablement dans des zones ouvertes, contrairement aux autres grands singes préférant les forêts. « Cela ressemble plus à ce que nous pensions être l’environnement des premiers humains en Afrique », indique Ayla Sevim-Erol, auteur principal de l’étude et également chercheur à l’Université d’Ankara.

Des recherches antérieures ont démontré que les animaux susmentionnés se seraient dispersés en Afrique en migrant il y a environ 8 millions d’années depuis la Méditerranée orientale. L’équipe d’Ankara suggère que les homininés auraient aussi pu faire partie de ces migrants. À la fin du Miocène, les conditions propices auraient apparemment été réunies en faveur d’un déplacement vers l’Afrique, plutôt que vers l’Asie.

Toutefois, la controverse subsiste, car d’autres récentes analyses sur de grands singes et des homininés primitifs soutiennent davantage une origine africaine. Se basant à la fois sur des protocoles modernes et sur des clades plus diversifiés (fossiles et vivants), ces recherches suggèrent que de nombreux grands singes européens ont divergé avant les orangs-outans. Cela signifie que les homininés européens sont probablement des parents éloignés des grands singes africains et des humains.

En outre, des examens plus complets indiquent qu’il est possible que les homininés d’Europe comme A. turkae soient des immigrants venus d’Afrique pour atteindre la Méditerranée, plutôt que l’inverse. En effet, la non-découverte sur le continent africain de fossiles d’homininés proches de celui de l’étude, ne signifie pas nécessairement qu’il n’y en a pas. D’un autre côté, cette absence de preuve peut aussi argumenter en faveur de l’hypothèse de l’origine européenne de notre lignée. « Les homininés peuvent être originaires d’Eurasie à la fin du Miocène, ou ils peuvent s’être dispersés en Eurasie à partir d’un ancêtre africain inconnu. La diversité des hominidés en Eurasie suggère une origine in situ, mais n’exclut pas une hypothèse de dispersion », écrivent les chercheurs dans leur rapport. Davantage de recherches et de preuves sur le terrain sont essentielles pour définitivement clore le débat.

Source : Communications Biology

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