Maladies du sang : des patients traités par édition de gènes CRISPR toujours en rémission après 3 ans

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La drépanocytose et la b-thalassémie dépendante des transfusions sont des maladies génétiques fréquentes, qui touchent les globules rouges. Elles constituent donc un problème de santé publique majeur, car aucun traitement curatif n’existe — excepté pour la b-thalassémie, qui requiert la transplantation de moelle osseuse d’un donneur compatible. Néanmoins, ces deux pathologies sont classiquement traitées par transfusions sanguines. Récemment, des chercheurs américains ont dévoilé les résultats prometteurs d’une thérapie génique basée sur l’outil d’édition de gènes CRISPR, appelée exagamglogene autotemcel (exa-cel), à l’efficacité significative et durable. Elle permettrait de « guérir » les patients en augmentant leur production naturelle de globules rouges sains. Ces résultats offrent une nouvelle perspective de traitements curatifs.

La drépanocytose et la b-thalassémie dépendante des transfusions sont deux anémies chroniques, dues à des mutations du gène codant la chaîne beta (b) de l’hémoglobine adulte (HbA). L’hémoglobine est une protéine riche en fer qui se trouve dans les globules rouges et qui donne au sang sa couleur rouge. L’hémoglobine transporte l’oxygène et extrait le dioxyde de carbone des organes et des tissus.

La b-thalassémie dépendante des transfusions (TDT) se caractérise par une absence ou une forte réduction de la synthèse de chaînes b-globine, responsable d’une fabrication inefficace des globules rouges et d’une anémie hémolytique chronique et sévère, requérant des transfusions de globules rouges tout au long de la vie. Environ 20 000 patients atteints de la forme sévère de bêta-thalassémie vivent actuellement en Europe, et l’incidence mondiale est estimée à 1 naissance pour 100 000 par an.

La drépanocytose, ou anémie falciforme, est le résultat d’une configuration anormale des globules rouges (forme de faucille) causée par une anomalie au niveau de la chaine beta de l’hémoglobine. Les globules rouges deviennent fragiles et rigides. Ces anomalies favorisent l’anémie, des crises vaso-occlusives douloureuses (vaisseaux sanguins obstrués) et un risque accru d’infections. Elle est très répandue et concerne environ 300 000 naissances par an dans le monde. En France, il s’agit de la maladie génétique la plus fréquente.

Ces maladies représentent donc un enjeu majeur pour la santé publique. Effectivement, comme pour la quasi-totalité des maladies génétiques impactant les globules rouges, la seule option curative consiste à greffer des cellules souches hématopoïétiques — qui produisent des cellules sanguines —, via un donneur HLA-compatible. Malheureusement, un pourcentage limité des patients peut bénéficier de ce traitement (<20%). Dans ce contexte, une équipe de chercheurs de l’entreprise pharmaceutique Vertex et CRISPR Therapeutics ont présenté, lors du Congrès de l’Association européenne d’hématologie de juin 2022, les dernières données du premier essai clinique de thérapie génique CRISPR pour traiter, de manière définitive, ces deux pathologies. Les données n’ont pas encore été publiées dans une revue révisée par les pairs, mais les résultats précédents de l’étude en cours ont été publiés dans le New England Journal of Medicine en 2021.

Thérapie génique en phase 3

Projet lancé en 2019, il s’agit donc de tester une thérapie expérimentale de la béta-thalassémie et de la drépanocytose, l’exagamglogene autotemcel (exa-cel, anciennement nommée CTX001). Cette thérapie utilise des techniques d’édition de gènes CRISPR-Cas9 pour modifier, ex vivo (à l’extérieur du corps), les propres cellules d’un patient, afin de produire des niveaux élevés d’hémoglobine fœtale dans les globules rouges. Son but est d’alléger les besoins de transfusions pour les patients. La modification porte sur le gène BCL11A. Les cellules souches « éditées » sont ensuite réinjectées dans le patient. Cette hémoglobine fœtale remplace aisément l’hémoglobine adulte saine faisant défaut.

Lors de la réunion et de l’exposition annuelles de l’ASH en 2020, les chercheurs ont rapporté l’innocuité et l’efficacité d’exa-cel chez les 10 premiers patients des essais, de phase 1/phase 2, qui avaient au moins 3 mois de suivi après le traitement. Pour l’analyse actuelle, Locatelli et ses collègues ont rapporté les données des 75 premiers patients qui ont reçu un traitement de thérapie génique. 44 souffraient de b-thalassémie dépendante des transfusions (TDT) et 31 de drépanocytose.

En premier lieu, 42 des 44 patients atteints de TDT n’ont pas eu besoin de transfusion lors du suivi allant de 1,2 à 37,2 mois après la perfusion d’exa-cel. Deux patients nécessitaient encore des transfusions mais avec des volumes réduits de 75% et 89%. Globalement, les 44 patients ont présenté des augmentations de l’hémoglobine fœtale et des augmentations correspondantes de l’hémoglobine totale moyenne 3 mois après le traitement, et maintenues par la suite.

En second lieu, les 31 patients drépanocytaires, caractérisés par des crises vaso-occlusives récurrentes (près de 4 par an), en étaient exempts après la perfusion d’exa-cel pendant toute la durée du suivi (de 2 à 32,3 mois). Ils ont présenté un taux d’hémoglobine fœtale augmenté d’environ 40% 4 mois après le traitement, et maintenu par la suite.

Haydar Frangoul, directeur médical de l’hématologie et de l’oncologie pédiatriques à l’Institut de recherche Sarah Cannon, HCA Healthcare’s The Children’s Hôpital du TriStar Centennial Medical Center et co-chercheur, explique dans un communiqué : « En réactivant un processus de développement naturel, exa-cel restaure la production d’hémoglobine fœtale et peut ainsi améliorer l’évolution de ces maladies ».

Alternative encourageante pour un traitement curatif

La thérapie génique, grâce à la transplantation des cellules souches provenant du patient même, génétiquement modifiées, est une alternative prometteuse aux transfusions classiques et dont l’efficacité curative semble s’édifier de plus en plus, à travers les recherches médicales. Sans compter que cette technique comporte de faibles risques de toxicité immunologique étant donné qu’aucun traitement immunosuppresseur n’est requis. Elle peut être mise en place pour chaque patient qui en a besoin, le patient étant son propre donneur.

Carmen Bozic, directrice médicale chez Vertex, déclare : « Ces données solides provenant de 75 patients, dont 33 ont un an ou plus de suivi après une perfusion d’exa-cel, démontrent davantage le potentiel de cette thérapie expérimentale en tant que traitement fonctionnel ponctuel pour les patients atteints de bêta-thalassémie dépendante des transfusions ou de drépanocytose grave ».

Par conséquent, compte tenu de l’urgence de développer des thérapies hautement efficaces et curatives pour les patients atteints d’hémoglobinopathies, cette technique génique basée sur CRISPR représente une réelle perspective de traitement et un espoir pour nombre de patients dans l’impasse d’une greffe de moelle osseuse.

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