De mystérieux filaments pointent vers le trou noir situé au cœur de la Voie lactée

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Deux populations de filaments : longs et perpendiculaires au plan galactique, puis courts et s’étendant horizontalement par rapport au plan. | Farhad Yusef-Zadeh
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Au début des années 1980, Farhad Yusef-Zadeh, expert en radioastronomie de l’Université Northwestern, a découvert de gigantesques filaments unidimensionnels se balançant verticalement près de Sagittarius A*, le trou noir supermassif situé au centre de notre galaxie. Aujourd’hui, son équipe et lui ont découvert une nouvelle population de filaments, bien plus courts et qui diffèrent sur de nombreux autres aspects, mais qui semblent eux aussi liés à l’activité du trou noir. Leur orientation est toutefois très inhabituelle.

Dans une étude publiée en 1984, Yusef-Zadeh et deux collaborateurs rapportaient la découverte — grâce au télescope Very Large Array, situé au Nouveau-Mexique — de filaments radio magnétisés, hautement organisés, près du centre galactique. Ils ont observé que ces structures, présentes par centaines, sont orientées perpendiculairement au plan du disque galactique et s’étendent sur près de 150 années-lumière, en direction de Sagittarius A* — le trou noir supermassif du centre de la Voie lactée. Leur origine est néanmoins inconnue. Les scientifiques étaient tellement focalisés sur ces filaments verticaux, qu’une autre population de filaments est restée inaperçue pendant des années.

Grâce aux progrès de la radioastronomie, et en particulier au télescope MeerKAT de l’Observatoire sud-africain de radioastronomie, Yusef-Zadeh et ses collègues ont découvert des centaines d’étranges filaments cosmiques, pointant directement vers Sagittarius A* et présentant des caractéristiques complètement différentes. « Les progrès technologiques et le temps d’observation dédié nous ont permis d’obtenir de nouvelles informations. Il s’agit d’une véritable prouesse technique de la part des radioastronomes », a souligné le spécialiste.

Une invitation à rêver, prête à être portée.

Des filaments courts, à rayonnement thermique

Pour repérer ces nouveaux filaments, l’équipe de Yusef-Zadeh a utilisé une technique permettant de supprimer l’arrière-plan et de lisser le bruit des images de MeerKAT, afin d’isoler les filaments des structures environnantes.

image filaments voie lactée meerkat filtrée
En haut : image mosaïque MeerKAT du centre galactique (Heywood et al. 2022). En bas : la même image, filtrée. Les restes de supernova et les régions H II sont identifiées par des cercles rouges et sont exclus de l’analyse. © F. Yusef-Zadeh et al.

Ils ont ainsi découvert que ces filaments s’avèrent beaucoup plus courts que leurs prédécesseurs, de l’ordre de 5 à 10 années-lumière ; leur orientation est elle aussi très différente : ils sont horizontaux, s’étendant le long du plan galactique depuis le centre, comme les rayons fragmentés d’une roue de vélo. En outre, contrairement aux filaments verticaux qui balayent l’ensemble de la galaxie, ces filaments horizontaux sont concentrés sur un seul côté du trou noir.

« J’ai été surpris de découvrir soudainement une nouvelle population de structures qui semblent pointer dans la direction du trou noir. J’ai été stupéfait lorsque j’ai vu ces structures », confie Yusef-Zadeh, qui ne s’attendait pas à observer des filaments le long du plan galactique. Les chercheurs pensent que la disposition de ces filaments est loin d’être aléatoire et qu’ils sont étroitement liés à l’activité du trou noir — à l’instar des filaments verticaux découverts il y a des décennies. Cependant, ces deux populations de filaments ont sans doute des origines différentes, car ils diffèrent sur de nombreux aspects.

angles position filaments courts
Angles de position codés par couleur pour tous les filaments courts (L < 66 ») identifiés dans l’image mosaïque (voir plus haut). © F. Yusef-Zadeh et al.

Outre leur grande différence de taille et d’orientation par rapport au plan galactique, les groupes de filaments se distinguent par leur nombre : les chercheurs ont recensé plusieurs centaines de filaments verticaux et seulement quelques centaines de filaments horizontaux. De plus, les filaments verticaux sont magnétiques et relativistes, comprenant des particules se déplaçant à des vitesses proches de celle de la lumière, tandis que les filaments horizontaux semblent émettre un rayonnement thermique.

Enfin, les filaments verticaux sont disposés tout autour du noyau galactique, de part et d’autre du plan, alors que les filaments horizontaux semblent s’étendre d’un seul côté, pointant vers le trou noir.

Des filaments nés d’une explosion de matière du trou noir ?

Cette nouvelle découverte est pleine d’inconnues, à commencer par l’origine de cette population de filaments atypiques. « Nous pensons qu’ils doivent provenir d’une sorte de flux sortant d’une activité qui s’est déroulée il y a quelques millions d’années », a déclaré Yusef-Zadeh. Plus précisément, l’équipe pense qu’une explosion de matière du trou noir, survenue il y a environ 6 millions d’années, a percuté les étoiles et les nuages ​​​​de gaz environnants, créant des traînées de plasma chaud pointant vers le trou noir. D’autres observations seront nécessaires pour confirmer cette hypothèse.

Farhad Yusef-Zadeh a consacré sa carrière à l’étude des processus physiques qui se produisent au centre de la Voie lactée. Des années après avoir découvert les filaments verticaux, ses collaborateurs et lui ont mis au jour, en 2019, une paire de gigantesques bulles radio-émettrices près de Sagittarius A*, s’étendant de part et d’autre du plan galactique sur plusieurs centaines d’années-lumière de hauteur. Ces bulles, âgées de plusieurs millions d’années, résultent probablement d’une explosion d’énergie phénoménale qui a éclaté près du trou noir.

Plus récemment, grâce au MeerKAT, les chercheurs ont rapporté la découverte de près d’un millier de filaments verticaux disposés en paires ou en grappes, empilés à égale distance les uns des autres (environ la distance de la Terre au Soleil). Ces filaments étaient vraisemblablement liés aux bulles radio-émettrices découvertes auparavant. L’équipe a non seulement confirmé que ces filaments sont hautement magnétisés, mais que les champs magnétiques sont amplifiés le long de ces structures.

Ces nouveaux résultats renferment des indices supplémentaires permettant d’éclairer les mystères qui entourent le centre de notre galaxie. En étudiant ces filaments horizontaux de manière plus approfondie, les chercheurs espèrent en apprendre davantage sur la rotation du trou noir Sagittarius A* et sur son disque d’accrétion. « Notre travail n’est jamais terminé. Nous devons toujours faire de nouvelles observations, remettre en question nos idées et affiner notre analyse », conclut Yusef-Zadeh.

Source : F. Yusef-Zadeh et al., The Astrophysical Journal Letters

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