Les oméga-3 ont très bonne réputation dans le monde médical. Constituants naturels de certaines graisses, on les dit poly-insaturés de par leur structure chimique, et essentiels car le corps humain ne peut les produire. Ils proviennent donc exclusivement de l’alimentation, comme certains minéraux et vitamines. Depuis des décennies, ils font l’objet d’études révélant leurs nombreux rôles dans le maintien de notre santé. Récemment, des chercheurs américains ont démontré que les personnes ayant un niveau élevé de DHA (un type d’oméga-3) dans le sang, sont 49% moins susceptibles de développer la maladie d’Alzheimer que celles ayant des niveaux inférieurs. Cette découverte pourrait révolutionner les politiques de santé publique, par une prévention précoce du risque d’Alzheimer et faire économiser, potentiellement, des milliards en soins de santé.
Les oméga-3 entrent dans la composition de certaines huiles végétales et de certains poissons dits « gras », mais ces sources ne sont pas équivalentes. Les produits végétaux fournissent des oméga-3 acide-alpha-linolénique (ALA). De leur côté, les poissons « gras » (sardines, truites, maquereaux, saumons, etc.) apportent des oméga-3 EPA (eïcosapentaènoïque) et DHA (acide docosahexaénoïque). Théoriquement, nous pourrions seulement fournir des ALA à l’organisme, censé les convertir en EPA et DHA. Cependant, le taux de conversion de l’ALA en DHA étant trop faible pour couvrir nos besoins quotidiens, le DHA est considéré comme essentiel, il doit être apporté par l’alimentation.
Les preuves que les facteurs alimentaires peuvent influencer le risque de maladie d’Alzheimer continuent de s’accumuler. Plus précisément, le DHA est enrichi en phospholipides membranaires du système nerveux central, et joue donc un rôle majeur pour les fonctions mentales et visuelles, surtout chez les bébés et les personnes âgées. C’est pourquoi les scientifiques suggèrent depuis longtemps qu’il possède un effet positif sur le maintien de la santé mentale (dépression, démence, dont la maladie d’Alzheimer).
Ainsi, récemment, une équipe du Fatty Acid Research Institute (FARI), menée par Aleix Sala-Vila, s’est intéressée à cet oméga-3 et à son lien avec la maladie d’Alzheimer. Les auteurs ont découvert que l’apport alimentaire supplémentaire d’oméga-3 DHA pourrait d’une part ralentir le développement de la maladie, et d’autre part réduire de près de la moitié le risque de la développer. Cette nouvelle étude est publiée dans la revue Nutrients.
Des poissons gras contre Alzheimer
Afin de tester leur hypothèse, les chercheurs ont mené une étude observationnelle prospective, au sein de la Framingham Offspring Cohort — comprenant 1490 participants sans démence, âgés de plus de 65 ans — pour une durée moyenne de 7 ans. Ils ont examiné l’association de l’acide docosahexaénoïque (DHA) des globules rouges avec la maladie d’Alzheimer incidente, tout en testant une interaction avec le l’allèle 4 du gène APOE — codant pour une protéine qui aide à transporter le cholestérol dans le sang.
Cette étude prend appui sur les précédents travaux d’Aleix Sala-Vila, publiés dans The American Journal of Clinical Nutrition, en 2021. En effet, ses collègues et lui ont découvert que les niveaux d’oméga-3 dans les érythrocytes sanguins (ou globules rouges) sont de très bons prédicteurs du risque de mortalité. Compte tenu de la synthèse marginale de novo de DHA, la mesure des taux circulants ou tissulaires de DHA est un biomarqueur valide de l’apport alimentaire en DHA, qui permet de contourner les incertitudes des données alimentaires autodéclarées.
De plus, Aleix Sala-Vila ajoute dans un communiqué : « Le fait d’avoir des niveaux plus élevés de ces acides dans le sang, à la suite de l’inclusion régulière de poissons gras dans l’alimentation, augmente l’espérance de vie de près de cinq ans ».
Dans la présente étude, l’équipe a constaté que le risque de développer la maladie d’Alzheimer, avec un taux sanguin élevé de DHA (6,1%) était inférieur de 49% par rapport à un taux inférieur (3,8%). Par ailleurs, les auteurs ont estimé qu’une augmentation du DHA érythrocytaire du premier au cinquième trimestre de l’étude a fourni environ 4,7 années de vie supplémentaires sans maladie d’Alzheimer. Cette dernière conclusion confirme celle de 2021.
Des oméga-3 contre les facteurs de risque génétiques
Par suite, les auteurs ont établi un lien certain entre un facteur génétique, le DHA et le risque de maladie d’Alzheimer. Il est important de préciser en premier lieu que la grande majorité des cas de maladie d’Alzheimer correspond à des patients pour lesquels il existe un déterminisme multifactoriel, y compris parmi les formes précoces. La part génétique de ce déterminisme est importante et est représentée par différents facteurs de risque. Le premier et principal de ces facteurs est l’allèle 4 du gène APOE (APOE4) codant pour l’apolipoprotéine E, aidant à transporter le cholestérol dans le sang.
Le gène APOE existe sous trois « formes » que l’on appelle allèles E2, E3 (le plus fréquent) et E4. Alors que les porteurs de l’allèle E2 ont moins de risques de développer la maladie d’Alzheimer, les porteurs d’au moins un allèle E4 ont un risque plus élevé. L’importance de ce facteur est donc majeure, à la fois de par la force du risque associé et par la fréquence importante. En effet, près de 10% des porteurs d’un allèle APOE4 ayant atteint l’âge de 75 ans développent la maladie, contre 33% pour les porteurs homozygotes — porteur du même allèle deux fois — APOE4/E4 du même âge. À l’âge de 85 ans, ces chiffres s’élèvent à près de 30% et 70%, respectivement, pour les hétérozygotes — porteurs de deux allèles différents — APOE3/E4 et pour les homozygotes APOE4/E4. Dans la population générale caucasienne de plus de 54 ans, la proportion de porteurs d’un allèle APOE4 est de 24%, et homozygote APOE4/E4 de 2%. L’importance de ce facteur de risque génétique pour les individus concernés, mais aussi au titre de la population générale, justifie les programmes de recherche, en prévention thérapeutique.
En conséquence, les chercheurs ont noté qu’une consommation accrue de DHA pourrait réduire le risque de développer la maladie d’Alzheimer, en particulier chez les personnes porteuses de l’allèle APOE4, ce qui suggère qu’elles pourraient bénéficier davantage de niveaux de DHA plus élevés que les non-porteurs.
Cette découverte, qui concorde avec une base de recherche expérimentale croissante, modifie les perspectives en termes de santé publique et de prévention, ainsi qu’en matière de frais de santé. Les auteurs concluent dans l’étude : « Étant donné que les dépenses de soins de santé estimés en 2021 pour tous les patients atteints de la maladie d’Alzheimer ou d’autres formes de démence s’élèvent à 355 milliards de dollars aux États-Unis (sans compter les soins prodigués par les membres de la famille et d’autres soignants non rémunérés), toute stratégie rentable pour retarder l’apparition de la maladie d’Alzheimer est d’un intérêt majeur pour la santé publique ». Ils ajoutent : « Retarder la maladie d’Alzheimer de 5 ans conduit à 2,7 années de vie supplémentaires et 4,8 années supplémentaires sans maladie d’Alzheimer, sachant qu’un individu qui aurait contracté la maladie d’Alzheimer coûte plus de 500 000 dollars en soins ».