Paratonnerre vivant : comment un arbre tropical élimine ses concurrents à coups d’éclairs

Insensible à la foudre, il gagne du terrain à chaque orage.

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| Pixabay
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Une étude révèle que certains arbres tropicaux, notamment l’arbre à fèves de tonka, semblent jouir d’une immunité naturelle face à la foudre. Non seulement ces géants végétaux en sortent indemnes, mais ils sembleraient avoir évolué pour tirer parti de cette force naturelle, utilisant les décharges électriques pour éliminer la concurrence. En d’autres termes, ces arbres auraient développé le rôle de paratonnerres vivants.

Chaque année, la foudre provoque la mort de centaines de millions d’arbres, représentant ainsi l’une des principales causes de mortalité naturelle dans les forêts tropicales. Les arbres les plus vieux et les plus imposants, véritables piliers de la biodiversité forestière, sont particulièrement vulnérables. Or, ces individus jouent un rôle important dans le maintien des écosystèmes et dans le stockage du carbone dans les sols.

Depuis longtemps, certains scientifiques soupçonnaient que certaines espèces d’arbres étaient capables de tolérer la foudre, mais les preuves manquaient. En 2022, une équipe du Cary Institute of Ecosystem Studies a pour la première fois mis en évidence la variabilité des capacités de survie selon les espèces. Certaines survivent aux impacts électriques, d’autres non.

Dans une nouvelle étude parue dans la revue New Phytologist, cette même équipe va plus loin : certains arbres ne se contenteraient pas de survivre à la foudre, ils en tireraient profit. L’arbre à fèves de tonka (Dipteryx oleifera), en particulier, manifeste une résilience exceptionnelle face aux éclairs. « Ces données apportent la première preuve que certains arbres bénéficient de la foudre », soulignent les chercheurs.

Une capacité étonnante à survivre à la foudre

Pour mener à bien leur enquête, les scientifiques ont déployé un dispositif inédit de détection de la foudre combinant capteurs de champ électrique et caméras. Ce système a permis d’enregistrer près de 100 épisodes orageux dans la réserve naturelle de Barro Colorado, au cœur du Panama, et d’en étudier les effets sur 93 arbres. Des antennes réparties dans la zone ont capté les ondes radio émises par les éclairs, permettant une cartographie précise des impacts.

Ces données ont été croisées avec des images captées par drones, permettant d’identifier les zones touchées et de suivre l’état sanitaire des arbres au fil du temps. L’analyse s’est concentrée sur 9 individus de D. oleifera et 84 spécimens d’autres espèces également frappés.

feve tonka foudre
Également connu sous les noms d’éboé, de choibá, de fève tonka ou d’almendro, le Dipteryx oleifera (l’arbre en fleur au premier plan) est originaire du Honduras, du Nicaragua, du Costa Rica, du Panama, de Colombie et d’Équateur. Espèce clé des forêts panaméennes, ses fruits et ses graines constituent une source de nourriture essentielle pour les mammifères de la forêt tropicale, comme l’agouti, pendant la saison sèche. © Evan Gora/Cary Institute of Ecosystem Studies

Résultat : tous les D. oleifera observés ont survécu, ne subissant que des dommages mineurs. « Voir des arbres survivre à la foudre avec si peu de dommages était époustouflant », a commenté Evan Gora, coauteur principal, dans un communiqué. En revanche, les autres espèces étudiées ont souffert bien davantage : elles ont perdu en moyenne 5,7 fois plus de feuillage et 64 % d’entre elles sont mortes dans les deux ans suivant l’impact.

Un avantage compétitif pour l’accès aux nutriments et à la lumière

Plus surprenant encore, D. oleifera semble tirer profit de la foudre pour évincer ses concurrents. Lorsqu’un éclair le frappe, environ 9,2 arbres voisins en moyenne succombent, tandis que lui perdure. De plus, 78 % des lianes parasites accrochées à son tronc périssent également, libérant ainsi davantage de lumière et de nutriments.

L’analyse des données sur quatre décennies révèle que les arbres avoisinant un D. oleifera sont 48 % plus susceptibles de mourir que les autres. Selon les chercheurs, l’arbre agirait comme un attracteur naturel d’éclairs, canalisant l’électricité vers les espèces environnantes. Cette faculté pourrait être liée à sa conductivité interne élevée, qui permettrait à la décharge électrique de le traverser sans accumulation de chaleur destructrice — à l’image d’un fil bien isolé.

Pour appuyer ces observations, les chercheurs ont réalisé une modélisation en 3D de la canopée à partir des images captées par drone. Leurs simulations indiquent que les D. oleifera dépassent en moyenne leurs voisins de 4 mètres, ce qui pourrait refléter un avantage compétitif.

feve tonka foudroye
Un arbre de Dipteryx oleifera juste après avoir été frappé par la foudre en 2019 (à gauche) et deux ans plus tard (à droite). L’arbre a survécu à la foudre avec des dégâts minimes et a bénéficié de l’élimination de ses lianes parasites et de ses voisins concurrents. © Evan Gora/ Cary Institute of Ecosystem Studies

Selon les estimations de l’équipe, un D. oleifera frappé par la foudre verrait sa production de fèves multipliée par 14 au cours de sa vie. Ces arbres, qui peuvent atteindre 40 mètres de haut et vivre plusieurs siècles, subiraient en moyenne cinq impacts après avoir atteint leur maturité, chaque épisode contribuant à réduire la concurrence.

Comprendre ce phénomène pourrait éclairer le rôle de la foudre dans la dynamique des écosystèmes forestiers et leur capacité de résilience face au changement climatique. Avec l’augmentation attendue de la fréquence des orages, la foudre pourrait devenir un facteur plus déterminant dans le renouvellement des forêts tropicales.

Enfin, cette capacité singulière pourrait ne pas se limiter à D. oleifera. « Nous savons depuis longtemps que certains arbres peuvent survivre à plusieurs coups de foudre », expliquait Gregory Moore, de l’Université de Melbourne, au site Live Science. Des espèces résistant aux feux de brousse en Australie pourraient elles aussi faire l’objet de mécanismes similaires. L’équipe d’Evan Gora prévoit d’élargir ses recherches aux forêts d’Afrique et d’Asie du Sud-Est.

Source : New Phytologist

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