Des artistes réalisent un « portrait acoustique » de Pando, l’un des plus vieux et plus grands organismes vivants au monde

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Alors que le majestueux et colossal organisme connu sous le nom de Pando — l’un des plus vastes et plus anciens êtres vivants de notre planète — se languit, nous n’avons que timidement commencé à dévoiler ses mystères. Un collectif d’artistes a récemment rendu hommage à ce géant en créant un « portrait acoustique » exceptionnel, une symphonie inspirée par les murmures émanant des profondeurs de son système racinaire. Loin d’être une simple fantaisie artistique, ce portrait s’avère être une précieuse source d’informations pour comprendre le fonctionnement complexe du système hydraulique dissimulé en son sein.

Établi au cœur de l’Utah et s’étendant sur une superficie de 40 hectares, Pando (qui signifie « Je me suis étendu » en latin) est une forêt de peupliers faux-trembles (Populus tremuloides). Mais ne vous y trompez pas, les 47 000 arbres de cette forêt, de même patrimoine génétique, ne sont en réalité que les extensions (ou tiges) d’un seul et même peuplier colossal pesant 5897 tonnes. C’est l’équivalent du poids de 35 baleines bleues ou 1000 éléphants, condensé en un seul organisme !

Ces arbres (ou tiges), atteignant une hauteur maximale de 24 mètres, auraient commencé à se développer il y a près de 9000 ans, faisant de Pando l’un des êtres vivants les plus vastes et les plus anciens au monde. Chaque tige vit entre 85 et 130 ans, et dès qu’une tige meurt, une nouvelle prend le relais, assurant ainsi la perpétuation de ce géant.

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Cette créature singulière remet en question notre conception traditionnelle de l’individualité, tout en conservant de nombreux mystères dont nous n’avons jusqu’à présent effleuré que la surface. « Pando défie notre compréhension fondamentale du monde », proclame l’artiste sonore Jeff Rice, qui fait partie d’un groupe dévoué à percer les secrets de ce peuplier géant, pour lequel il a créé un portrait acoustique unique en son genre. Ce portrait, intitulé « Sous l’arbre : les sons d’un géant tremblant », a été présenté lors de la 184e réunion de l’Acoustical Society of America, le 10 du mois en cours, à Chicago.

« Les sons sont beaux et intéressants, mais d’un point de vue pratique, les sons naturels peuvent être utilisés pour documenter la santé d’un environnement », explique Rice. Selon lui, ces sons fourniraient de précieux renseignements sur la biodiversité locale et serviraient de référence pour étudier les évolutions environnementales autour de Pando.

Des sons voyageant à travers le réseau racinaire

Pour réaliser ce portrait unique, Rice a placé un hydrophone dans une cavité à la base d’une des tiges de Pando, un point stratégique entre la tige et la racine. D’après lui, les hydrophones ne sont pas uniquement destinés à être utilisés sous l’eau, ils sont également capables de détecter les vibrations à la surface, comme celles émises par les racines.

Ce que Rice a entendu a dépassé ses attentes et l’a profondément fasciné. Selon lui, les sons enregistrés seraient le résultat du frottement entre les milliards de feuilles de l’arbre. Ces frottements produisent des ondes qui font vibrer l’arbre, se propageant à travers les milliers de tiges pour atteindre les profondeurs du sol à travers les racines. Lors d’un orage, ces sons sont amplifiés pour se transformer en un étrange grondement grave. Rice suggère que ces grondements pourraient émaner du vaste réseau racinaire de Pando, qui plonge jusqu’à 27 mètres de profondeur.

Bien que cette hypothèse soit pour l’instant impossible à vérifier, des expériences ont montré comment le son peut se propager d’une branche à l’autre via un système racinaire interconnecté. L’une de ces expériences consistait à tapoter légèrement sur une branche et à déterminer si le son résultant pouvait être entendu à travers une autre branche, située à une trentaine de mètres de distance. À cette distance, le son produit par le tapotement n’est pas audible dans l’air. Cependant, Rice et son équipe ont perçu un bruit sourd émanant de l’une des branches, similaire aux tapotements effectués sur la première branche.

L’hypothèse des chercheurs est que les sons se propagent à travers l’arbre à la manière d’un téléphone à ficelle — ce jeu d’enfance bien connu où deux boîtes de conserve sont reliées par une ficelle pour communiquer à distance. Dans le cas de Pando, les racines seraient les « ficelles » par lesquelles les « conversations » se propagent, et chaque branche serait l’une des boîtes de conserve, servant de terminaux.

Cette découverte souligne l’interconnexion du vaste réseau racinaire de Pando et ouvre de larges perspectives pour de futures études scientifiques. « Le vent, converti en vibrations (son) et circulant à travers le système racinaire, pourrait également révéler le fonctionnement interne du vaste système hydraulique caché de Pando de manière non invasive », suggère Lance Oditt, le fondateur de Friends of Pando, une association à but non lucratif dédiée à l’arbre.

L’association envisage bientôt d’utiliser les données acoustiques pour cartographier le réseau racinaire de l’arbre. Cela permettra d’étudier la dynamique hydraulique au sein de l’organisme, les connexions entre les branches et les colonies d’insectes vivant à l’intérieur et autour de ce peuplier géant.

Un géant en péril

Les découvertes scientifiques sur Pando pourraient contribuer à sa préservation, car ce géant est actuellement confronté à des menaces de plus en plus sérieuses. En effet, bien que les peupliers faux-tremble puissent produire des graines, celles-ci germent rarement. En effet, la pollinisation est rare, car ces arbres sont généralement unisexués. Ainsi, les nouvelles générations sont des clones et partagent pour la plupart un même système racinaire.

Dans le cas de Pando, il s’agit d’un peuplier faux-tremble mâle qui n’a jamais été pollinisé. Ce mode de reproduction limite grandement la dispersion de l’espèce. De plus, Pando est d’un âge très avancé et les nouvelles générations ont du mal à survivre. La régénération de Pando est menacée par l’expansion des activités humaines et la diminution des prédateurs, qui sont censés réguler les populations d’herbivores qui se nourrissent des jeunes pousses.

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