« Vacciner » contre la désinformation ? Un psychologue explique comment

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La désinformation consiste à propager de fausses informations par l’intermédiaire des médias, pour influencer l’opinion publique. Elle était à son summum pendant la pandémie de COVID-19, elle plane aujourd’hui sur la guerre en Ukraine et continue d’être alimentée par les climatosceptiques. Le fait est que sur presque tous les sujets, des « fake news » circulent aujourd’hui chaque jour, principalement sur le Web et les réseaux sociaux. Si cela semble inévitable, Sander van der Linden, psychologue social à l’Université de Cambridge, a toutefois trouvé un moyen d’endiguer le phénomène.

Un sondage Ipsos mené en 2019 a révélé que 86% des citoyens du monde en ligne pensent avoir été exposés à de fausses nouvelles. Parmi eux, près de neuf sur dix ont déclaré avoir d’abord cru que la nouvelle était vraie, au moins une fois. Les auteurs de l’enquête parlent d’« une véritable épidémie mondiale ». Ces fake news sont véhiculées essentiellement par les médias sociaux — Facebook en tête —, par les sites Web et YouTube, puis par la télévision.

Sander van der Linden étudie comment et pourquoi les gens partagent de telles informations et comment cela peut être arrêté. Auteur de l’ouvrage « Foolproof: Why Misinformation Infects Our Minds and How to Build Immunity », il s’est entretenu avec Daisy Yuhas, chargée de la chronique Mind Matters du Scientific American, pour expliquer comment mettre un terme à la propagation des fake news. Ses réflexions reposent sur une analogie : pour lui, la désinformation est similaire à un virus, car elle se propage de proche en proche. Par conséquent, comme pour un virus, un vaccin permettrait de mettre fin à « l’épidémie ».

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Mieux résister en alertant sur les techniques utilisées

« Un virus attaque en exploitant les points faibles de nos cellules et en détournant une partie de leur machinerie. Il en va de même pour l’esprit à bien des égards », souligne le spécialiste. En effet, la désinformation exploite certains biais cognitifs, qui vont influencer la prise de décision. On a pu le constater à maintes reprises : les fausses nouvelles peuvent jeter le doute dans les esprits, entraîner et accentuer la division entre les groupes, encourager les comportements malveillants, etc.

À titre d’exemple, le psychologue évoque « l’effet de vérité illusoire » (aussi connu comme « l’effet de validité »), qui désigne la tendance à croire qu’une information est vraie après une exposition répétée — et ce, même si l’on sait que c’est faux.

Pour se prémunir de ces effets, van der Linden suggère de recourir à une technique qu’il appelle le « pre-bunking », qui permet de rendre les gens plus « résistants » face à la désinformation. La technique comporte deux phases. La première est un avertissement : il s’agit simplement d’indiquer aux gens que la désinformation est partout et que quelqu’un pourrait vouloir les manipuler. Cet avertissement permet en quelque sorte d’activer leur « système immunitaire psychologique » et ainsi, d’accroître leur vigilance et leur scepticisme vis-à-vis des informations qu’ils lisent ou entendent.

La deuxième phase — que le spécialiste compare à une dose vaccinale — consiste à confronter les gens à une « faible dose » de fausses informations tout en leur donnant des conseils sur la manière de les réfuter — des « anticorps mentaux ».

Dans le cadre de ses recherches, le psychologue et deux collaborateurs ont testé cette technique du pre-bunking en 2020 via un jeu en ligne, nommé Bad News, spécialement conçu pour conférer une résistance psychologique contre les stratégies courantes de désinformation en ligne dans différentes cultures. Il ressort des résultats que les participants ont amélioré de 20 à 25% leur capacité à repérer toute une série d’informations non fiables. « Les entreprises de médias sociaux, les gouvernements et les établissements d’enseignement pourraient développer des “programmes de vaccination” à grande échelle similaires contre la désinformation », ont conclu les chercheurs.

Faux dilemme, manipulation émotionnelle et bouc émissaire parmi les stratégies les plus utilisées

Van der Linden explique avoir créé par ailleurs une série de vidéos, en partenariat avec Google, pour sensibiliser les gens aux techniques de manipulation sur YouTube. L’une des plus courantes est la « fausse dichotomie » (ou faux dilemme), une approche qui consiste à présenter deux solutions à un problème donné comme seules solutions possibles, alors qu’il en existe d’autres. Cette technique est présente dans les vidéos de radicalisation, mais elle est également très utilisée par les personnalités de la sphère politique, note l’expert.

L’an dernier, van der Linden et ses collègues ont publié dans Science Advances une étude visant à tester l’efficacité de cinq courtes vidéos spécialement créées pour sensibiliser les gens contre les techniques de manipulation couramment utilisées : manipulation émotionnelle, incohérence, fausse dichotomie, désignation d’un bouc émissaire et attaque ad hominem (qui consiste à mettre en contradiction les propos ou les idées d’une personne). Grâce à ces vidéos, les gens étaient plus à même de reconnaître les fake news auxquelles ils étaient exposés par la suite, tant en laboratoire que sur les médias sociaux — y compris via un test en direct sur YouTube incluant plus de 22 000 participants.

« Dans notre vidéo sur les fausses dichotomies, vous voyez une scène du film Star Wars, La Revanche des Sith, où Anakin Skywalker dit à Obi-Wan Kenobi : ‘Si tu n’es pas avec moi, alors tu es contre moi’, ce à quoi Obi-Wan répond : ‘Seuls les Siths sont aussi absolus’. La vidéo s’interrompt pour expliquer qu’Anakin vient d’utiliser une fausse dichotomie », explique le psychologue.

S’il est important de sensibiliser davantage les gens, c’est aussi parce que nombre d’entre nous se croient parfaitement « immunisés » contre la désinformation alors que cela n’est pas le cas. Une étude menée en 2017 pour Channel 4 dans le cadre de la Fake News Week, avait révélé que seuls 4% des personnes interrogées étaient réellement capables de repérer les fausses informations — alors que 49% d’entre elles avaient auparavant déclaré être assez ou très confiantes sur leur capacité à faire la différence. « Dans la plupart des environnements, les gens ne sont pas activement trompés, de sorte que notre état par défaut est d’accepter que les choses soient vraies. […] Mais si vous vous trouvez dans un environnement – comme les médias sociaux – où le taux de désinformation est beaucoup plus élevé, les choses peuvent mal tourner », souligne le spécialiste.

Dans ce flot permanent de fake news, il n’est pas toujours aisé de distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. Le pre-bunking peut être une bonne « première ligne de défense » ; mais le fact-cheking — qui consiste à vérifier les faits présentés et les affirmations déclarées — demeure incontournable. Il est d’ailleurs pratiqué systématiquement depuis quelques années par plusieurs médias, qui consacrent aujourd’hui des rubriques dédiées à ces vérifications.

Source : Scientific American

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