Renommé pour ses nombreuses vertus, le régime méditerranéen est souvent cité comme l’un des secrets de la longévité exceptionnelle des centenaires de Sardaigne, en Italie. Toutefois, les processus biochimiques qui sous-tendent ces bénéfices restaient jusqu’ici un mystère. Pour la première fois, des chercheurs ont réussi à observer au niveau cellulaire les mécanismes par lesquels le régime méditerranéen peut favoriser la longévité, notamment par une action protectrice sur les cellules.
De multiples études ont démontré que ceux qui adoptent un régime méditerranéen semblent vivre plus longtemps et jouir d’une meilleure santé. Ce régime se caractérise par une haute teneur en graisses mono-insaturées (fruits oléagineux, huile d’olive, noix, céréales complètes, poissons gras, etc.) et offre une protection contre une variété de maladies, y compris le cancer, le diabète, les maladies cardiovasculaires et certaines maladies neurodégénératives dont Alzheimer. Ce régime est l’un des secrets de longévité en Sardaigne, répertoriant un nombre exceptionnel de centenaires.
La dualité des régimes riches en graisses
Il est essentiel de distinguer les « bonnes » et les « mauvaises » graisses, souvent mal identifiées et généralement considérées comme nuisibles à la santé. Elles se présentent sous diverses formes et peuvent prêter à confusion : les graisses et les huiles sont composées d’acides gras, alors que les lipides englobent toutes les graisses, les huiles, les acides gras et le cholestérol.
Selon Anne Brunet, professeure de génétique à Stanford et coauteure de la nouvelle étude, « les graisses sont généralement considérées comme néfastes pour la santé, mais certaines études ont montré que des types spécifiques de graisses, ou lipides, peuvent être bénéfiques ».
Parmi ces « bonnes » graisses, les graisses mono-insaturées que l’on trouve dans l’avocat, les olives ou les noix — largement consommées dans le cadre d’un régime méditerranéen — sont majoritairement bénéfiques pour la santé. En revanche, les graisses saturées ou trans peuvent avoir un impact négatif sur la santé. Pour identifier ces dernières, sachez qu’elles coagulent ou se solidifient à température ambiante et que leur nom est généralement précédé du préfixe « trans ».
De surcroît, les régimes hypocaloriques (pauvres en graisses) sont également considérés comme étant bénéfiques pour la santé. Cependant, des expériences menées sur des souris ont révélé que celles qui étaient plus corpulentes vivaient plus longtemps que celles suivant un régime hypocalorique. « Cela suggère que la graisse a une double facette. Certaines sont très négatives, tandis que d’autres peuvent être positives », fait remarquer Brunet.
La nouvelle étude, publiée dans la revue Nature Cell Biology, met en évidence les effets induits par les graisses mono-insaturées au niveau cellulaire, une interaction directe observée pour la première fois. Les chercheurs de Stanford ont centré leur attention sur l’acide oléique, l’acide gras mono-insaturé le plus répandu dans la nature, particulièrement présent dans l’huile d’olive (50-80%) et les noix.
Un effet protecteur contre l’oxydation cellulaire
L’équipe de Stanford a testé les effets de l’acide oléique sur le Caenorhabditis elegans, un nématode d’environ un millimètre qui vit dans le sol et se nourrit de bactéries présentes dans les matières végétales en décomposition. Avec une durée de vie de 18 à 20 jours et une reproduction rapide, il est facile à entretenir et possède un génome et un système nerveux entièrement cartographiés. Ce spécimen est largement utilisé comme modèle de laboratoire dans les recherches sur la biologie du vieillissement.
Les effets de l’acide oléique ont été comparés à ceux de l’acide élaïdique, un acide gras trans mono-insaturé présent dans la margarine et les produits laitiers. Les experts ont découvert que les vers nourris avec des bactéries riches en acide oléique présentaient une nette augmentation de deux organites cellulaires clés : les gouttelettes lipidiques et les peroxysomes. La longévité de ces vers a augmenté de 35%, tandis que ceux nourris à l’acide élaïdique n’ont constaté aucune amélioration de leur durée de vie.
Le nombre de gouttelettes lipidiques serait un indicateur précis de la durée de vie de l’animal. Ces dernières sont des réservoirs de graisses essentiels au métabolisme énergétique des cellules. « Le nombre de gouttelettes lipidiques chez les vers individuels donne une indication de la durée de vie restante de l’animal », explique Katharina Papsdorf, chercheuse au même département que Brunet et coauteure de l’étude. Confirmant cette hypothèse, les vers génétiquement modifiés pour ne pas produire de gouttelettes lipidiques ont vu leur longévité revenir à un niveau normal (c’est-à-dire à celui avant l’introduction d’un régime riche en acide oléique).
Les expériences ont également montré que le nombre de gouttelettes lipidiques et de peroxysomes diminue avec l’âge et peut varier d’un individu à l’autre. Parmi les jeunes vers nourris avec un régime standard (c’est-à-dire sans apport supplémentaire d’acide oléique), ceux qui avaient un grand nombre de gouttelettes lipidiques vivaient plus longtemps que ceux qui en avaient moins, malgré un âge similaire. Cet effet était encore plus notable chez les nématodes plus âgés, qui vivaient en moyenne 33% plus longtemps grâce à l’abondance de gouttelettes lipidiques.
L’augmentation du nombre de peroxysomes dans le tissu intestinal des vers ayant reçu de l’acide oléique a été spécifiquement associée à un effet antioxydant. Ces organites sécrètent en effet des enzymes impliquées dans l’oxydation des lipides au niveau cellulaire. La nouvelle recherche suggère que les gouttelettes lipidiques et les peroxysomes sont co-régulés par une voie biochimique influencée par la présence d’acides gras mono-insaturés.
Alors que l’abondance de lipides dans les tissus est souvent associée à certaines maladies comme l’obésité, paradoxalement, la recherche suggère qu’il pourrait exister une stratégie basée sur la graisse pour promouvoir une bonne santé et une meilleure longévité. La prochaine étape de l’étude consistera à transposer l’expérience à l’Homme et à observer les effets du régime méditerranéen sur son métabolisme cellulaire.