En effectuant des analyses génomiques détaillées sur Hypsibius henanensis, une espèce de tardigrade découverte récemment, des chercheurs ont mis au jour trois mécanismes moléculaires clés impliqués dans leur résistance aux radiations extrêmes. Ces mécanismes induiraient des processus de protection contre les radicaux libres et de réparation accélérée de l’ADN, contribuant probablement à leur remarquable capacité d’adaptation évolutive.
Les tardigrades, également appelés oursons d’eau, sont de minuscules ecdysozoaires (invertébrés microscopiques) regroupant près de 1 500 espèces, réputés pour leur résistance à des conditions environnementales extrêmes. Découverts pour la première fois en 1773, ils peuvent vivre jusqu’à 60 ans dans des conditions optimales et survivre jusqu’à 30 ans sans eau ni nourriture. Ils supportent une large gamme de températures, allant de -272 °C à 150 °C et peuvent survivre pendant plusieurs décennies à -20 °C.
Ils sont ainsi présents dans des environnements aussi extrêmes que diversifiés, tels que l’Antarctique et la fosse des Mariannes (où la pression avoisine les 1 200 atmosphères). Des expériences ont montré qu’ils peuvent aussi survivre au vide spatial et résister à des radiations gamma ionisantes allant jusqu’à 5 000 grays, soit 1 000 fois supérieures à la dose létale pour l’Homme.
Depuis des décennies, les scientifiques s’efforcent de décrypter les mécanismes biologiques sous-tendant cette résistance aux conditions extrêmes. Cependant, ceux responsables de la tolérance aux radiations restent largement méconnus. Des chercheurs de l’Université de Qingdao, en Chine, jettent un nouvel éclairage sur les mécanismes de radiotolérance par le biais d’analyses moléculaires détaillées sur H. henanensis, une espèce récemment découverte. « La résistance environnementale extrême des extrêmophiles tels que les tardigrades est un trésor de mécanismes moléculaires inexplorés de résistance au stress », écrivent-ils dans leur étude, publiée dans la revue Science.
Trois mécanismes moléculaires clés
L’équipe a effectué des analyses multi-omiques pour identifier les mécanismes moléculaires impliqués dans la radiotolérance chez H. henenesis. La multi-omique est une discipline relativement récente incluant à la fois la génomique (l’analyse de l’ensemble des gènes), la transcriptomique (l’analyse de l’ensemble des ARN) et la protéomique (l’analyse de l’ensemble des protéines). « La stratégie d’exploration de données multi-omiques recèle un potentiel immense pour élucider les mécanismes de tolérance environnementale extrême chez les tardigrades », expliquent les chercheurs.
Ces analyses ont permis d’évaluer en détail les changements dans le profil moléculaire de l’animal suite à l’exposition aux radiations ioniques lourdes. Les chercheurs ont constaté qu’après l’exposition, 285 gènes liés au stress sont régulés à la hausse. Des analyses approfondies ont permis d’identifier trois mécanismes moléculaires qui semblent directement liés à la radiotolérance. La première implique le gène bactérien DOPA dioxygénase 1 (DODA1), dont l’activation améliorerait la radiotolérance par le biais de la biosynthèse de bétalaïne, un pigment aux puissantes propriétés anti-radicaux libres et que l’on trouve généralement dans les plantes et certains champignons et bactéries.
Le second mécanisme potentiellement lié à la radiotolérance de H. henensis implique la TRID1, une protéine spécifique aux tardigrades accélérant la réparation de l’ADN en cas de dommage. Le troisième inclut des gènes non spécifiques aux tardigrades et impliqués dans le métabolisme énergétique des mitochondries, notamment les gènes BCS1 et NDUFB8. Ces gènes seraient apparus progressivement au cours de l’évolution des tardigrades. Leur expression augmente fortement en réponse à l’exposition aux radiations, ce qui induit la régénération du NAD+ (essentiel à la fonction mitochondriale) ainsi que la réparation des dommages à l’ADN.
Bien que certains de ces processus aient précédemment été étudiés, leur exploration chez H. henensis améliore notre compréhension de la survie des cellules biologiques en milieux extrêmes. Cela pourrait en outre ouvrir la voie à des applications potentielles concernant la santé humaine, par exemple pour la protection des astronautes lors de missions spatiales de longue durée.
« Les recherches fonctionnelles sur ces mécanismes de radiotolérance élargiront encore notre compréhension de la survie cellulaire dans des conditions extrêmes et pourraient servir d’inspiration pour promouvoir la santé humaine et lutter contre les maladies », suggèrent les experts. La prochaine étape de la recherche consistera à évaluer si ces mécanismes de protection contre les radiations sont présents chez toutes les espèces de tardigrades.