Une future station spatiale massive à gravité artificielle, lancée en une seule fois

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Vue d'artiste des structures spatiales à l'échelle kilométrique construites à partir d'un seul lancement. | Zac Manchester
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La présence humaine soutenue dans l’espace est un objectif central de la NASA depuis des décennies, que ce soit pour l’exploration de la Lune ou de Mars. Néanmoins, le corps humain doit surmonter de multiples obstacles, de nature différente, pour voyager dans l’espace sur le long terme. Afin de résoudre ces problèmes, l’agence spatiale américaine a institué le programme Innovative Advanced Concepts (NIAC) pour financer des projets sur de nouvelles technologies aérospatiales. C’est ainsi que l’une d’elles a reçu un nouveau financement pour passer en phase II. Elle permettrait de simuler une gravité au sein d’une station spatiale mesurant plus d’un kilomètre. De plus, par sa conception inédite, elle ne nécessiterait qu’un seul lancement par une fusée Falcon Heavy de SpaceX, pour un déploiement jusqu’à 150 fois sa taille d’origine.

La NASA a pour objectif l’exploration et le développement lunaires soutenus, l’exploration humaine à long terme de l’espace cislunaire (l’espace sphérique se trouvant autour de la Terre jusqu’à la limite de l’orbite de la Lune), ainsi que l’exploration de Mars. D’ailleurs, Artemis est un programme spatial habité de la NASA dont l’objectif est d’amener un équipage sur le sol lunaire d’ici 2025.

Les vols spatiaux de longue durée posent cependant de sérieux défis au corps humain, notamment l’atrophie musculaire, la perte osseuse (en moyenne une perte de 1 à 1,5% de densité minérale par mois), la dégradation de la vue (due au déplacement des fluides vers la tête) et l’immunosuppression. Beaucoup de ces effets sont liés à un manque de gravité.

Une invitation à rêver, prête à être portée.

Bien que des progrès significatifs aient été réalisés pour atténuer les symptômes individuels associés à une exposition à zéro g (absence de gravité) ou à la microgravité à long terme, la capacité de générer une gravité artificielle éliminerait la cause profonde de nombreux problèmes et pourrait grandement améliorer la santé de l’équipage lors de missions de longue durée.

Ici, il ne s’agit pas de gravité artificielle à proprement parler, qui reste dans le domaine de la science-fiction. En effet, ce serait plutôt une gravité « simulée », en utilisant une structure en rotation pour créer une force centrifuge qui aurait le même effet sur le corps que la gravité. Reste à savoir si cela résoudrait ou non complètement les problèmes causés par l’absence de gravité. C’est pourquoi la NASA a débloqué une subvention de phase II de 600 000 dollars pour une équipe de l’Université Carnegie Mellon (CMU) et de l’Université de Washington (UW) cherchant à développer une structure simulant la pleine gravité terrestre et pouvant être lancée dans une seule fusée. Cette phase II permettra aux chercheurs de poursuivre leurs travaux antérieurs, débutés en février 2021 au cours de la phase I, pour laquelle ils avaient obtenu une subvention de 175 000 dollars du programme Innovative Advanced Concepts (NIAC).

Une conception inédite pour une gravité simulée

Il existe deux options pour atteindre la gravité terrestre, à 1 g, en utilisant la force centrifuge. La première est de faire tourner une petite structure très rapidement, et la seconde de faire tourner une structure sur un grand axe de rotation (à l’échelle kilométrique dans le cas présent) à une vitesse beaucoup plus faible. Néanmoins, nous ressentirions de l’inconfort et le mal des transports à des vitesses de rotation supérieures à 1 ou 2 tours par minute, sur une longue période.

Avec de petites structures, de telles vitesses sont cependant toujours insuffisantes pour générer une gravité terrestre. Pour contourner cela, c’est-à-dire réduire la vitesse de rotation nécessaire, il faut construire de très grandes structures, ou des structures disposées d’un bout à l’autre d’un très grand axe. Là encore, un autre ensemble d’obstacles s’érige : nous devrions envoyer d’innombrables missions jusqu’à ce que la structure soit assemblée.

Ainsi, le projet co-dirigé par le professeur adjoint de l’UW ME, Jeffrey Lipton, et le professeur adjoint de l’Université Carnegie Mellon, Zachary Manchester, dans le cadre du programme NASA Innovative Advanced Concepts (NIAC), intitulé « Structures spatiales à l’échelle kilométrique à partir d’un seul lancement », a pour objectif de résoudre ces problèmes. Effectivement, il examinera de près s’il est possible d’étendre une structure, suffisamment petite pour tenir à l’intérieur d’un carénage de fusée Falcon Heavy, jusqu’à la taille nécessaire pour créer une gravité artificielle de type terrestre par la rotation, et ce sans donner le mal des transports à ses occupants.

L’étude s’appuie sur les progrès récents des métamatériaux mécaniques, notamment sur les HERDS (« structure déployable à taux d’expansion élevé ») liant deux innovations mécaniques : les auxétiques de cisaillement et les mécanismes de ciseaux ramifiés. D’une part, les auxétiques de cisaillement sont un nouveau type de métamatériau qui se dilate lorsqu’il est tiré dans un motif chiral (non superposable à son image dans un miroir). Le niveau de chiralité peut également contrôler la rigidité du matériau. D’autre part, les mécanismes de ciseaux ramifiés sont un autre moyen de déployer une structure plus grande à partir d’une structure compacte. Développés à l’origine par l’artiste Henry Segerman, les mécanismes de ciseaux ramifiés s’enclenchent dans des structures beaucoup plus grandes à partir de structures plus compactes.

Manchester et Lipton et leur équipe pensent pouvoir utiliser ces technologies pour créer des structures tubulaires capables de s’étendre jusqu’à 150 fois leur taille initiale (emballées dans un carénage de fusée).

Leur étude NIAC de phase I a démontré la viabilité de cette approche et pointé plusieurs problèmes techniques qui doivent être résolus dans la phase II, à travers quatre axes spécifiques. Dans un premier temps, ils devront modéliser et comprendre en détail la dynamique de déploiement complexe de la structure en expansion. Dans un second temps, ils tenteront d’atténuer les blocages lors du déploiement — dus à des erreurs de fabrication ou à des perturbations externes, à l’aide de simulations et d’optimisations. Ensuite, ils effectueront un prototypage rapide pour calibrer les modèles. Enfin, ils arriveront à la phase de validation expérimentale de prototypes à l’échelle du mètre.

D’autres projets en cours

Ce n’est cependant pas le premier projet NIAC à aborder l’idée de grandes structures dans l’espace. Jim Reuter, administrateur associé de la direction des missions de technologie spatiale (STMD) de l’agence au siège à Washington, déclare : « La mission de la NASA d’explorer l’univers nécessite de nouvelles technologies et de nouvelles façons de faire. L’étude de ces idées créatives est la première étape pour transformer la science-fiction en réalité scientifique ». C’est ainsi que ce mois de mars 2022 marque l’arrivée de nouveaux boursiers NIAC. Parmi les projets sélectionnés, 12 sont de nouvelles propositions d’études de phase I, ainsi que cinq bourses de phase II qui permettront aux chercheurs de poursuivre leurs travaux antérieurs sur des concepts novateurs.

Au sein des nouveaux projets de la phase I, on peut citer la conception nouvelle d’un vaisseau spatial habité qui offre plus de radioprotection sur les longs voyages que les modules d’équipage conventionnels. Il y a aussi une conception pour un avion électrique complètement silencieux et une idée pour un vaisseau spatial qui pourrait exploiter la chaleur du soleil pour se propulser hors du système solaire.

Michael LaPointe, directeur par intérim du programme NIAC au siège de la NASA, déclare : « Comme les années passées, notre nouveau groupe de boursiers NIAC met en valeur la créativité et la vision de la communauté spatiale au sens large ».

Néanmoins, la NASA n’est pas la seule à vouloir déployer des structures spatiales de grande envergure. La Fondation nationale des sciences de Chine a soutenu les efforts visant à développer une structure d’un kilomètre de long, à hauteur de 2,3 millions de dollars. Selon les grandes lignes du projet publiées par la fondation chinoise — et citées par le South China Daily Mail —, les éléments du vaisseau spatial seront construits sur Terre puis lancés individuellement en orbite pour être assemblés dans l’espace. Mais il y a beaucoup de scepticisme à propos de cette proposition. À titre de comparaison, la Station spatiale internationale (ISS) est la plus grande structure artificielle jamais assemblée en orbite. Pourtant, il a fallu des dizaines de lancements et de nombreuses années pour l’assembler.

Le projet de Lipton et Manchester aura un impact immédiat et à long terme sur les objectifs de la NASA. À court terme, une telle structure rendrait possible une habitation humaine durable dans l’espace cislunaire, par exemple, dans le cadre de la passerelle lunaire. À moyen et à long terme, de telles structures seront essentielles au maintien des humains dans l’espace lointain. Enfin, les grandes structures feront également progresser l’astronomie en supportant des réseaux de télescopes à grande échelle.

Source : NASA

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