L’entreprise de neurotechnologie Synchron a dévoilé sa dernière interface cerveau-ordinateur intégrant la technologie d’IA de Nvidia et l’Apple Vision Pro. Cette combinaison permettrait aux patients paralysés d’interagir de manière plus fluide avec leur environnement et d’effectuer plus de tâches que le simple contrôle d’un ordinateur ou d’un smartphone. L’intégration de l’IA à ce type de technologie soulève toutefois des questions quant au degré d’autonomie de l’utilisateur et de la capacité de l’algorithme à se conformer à ses besoins.
Les interfaces cerveau-ordinateur constituent un domaine de recherche en plein essor, en particulier depuis que de grands noms de la tech comme Elon Musk (via sa start-up Neuralink), Bill Gates et Jeff Bezos (tous deux figurant parmi les principaux investisseurs de Synchron) ont massivement investi dans le secteur. Bien qu’encore au stade expérimental, ces dispositifs semblent notamment prometteurs pour rétablir à terme les fonctions motrices chez les personnes paralysées.
Cependant, la plupart des dispositifs actuels n’ont montré que des fonctionnalités très spécifiques, telles que jouer à un jeu vidéo par la pensée, mettre un bras robotique en mouvement, piloter un drone, déplacer le curseur d’une souris, etc. Synchron ambitionne de permettre l’exécution d’une large variété de tâches à domicile par le biais de son dispositif, un aspect essentiel à l’autonomie des patients. Pour ce faire, l’entreprise a intégré l’IA Holoscan de Nvidia et l’Apple Vision Pro pour offrir un contrôle plus large, plus précis et plus fluide aux utilisateurs.
« Il fonctionne en temps réel, dans un environnement réel, 24 h/24 et 7 j/7, et réalise des prédictions là où le contexte est primordial », explique Tom Oxley, PDG de Synchron, à WIRED. À l’occasion d’une récente conférence de Nvidia à San Francisco, Synchron a effectué une démonstration de la manière dont le nouvel implant fonctionne chez Rodney Gorham, un patient australien paralysé et qui a perdu l’usage de sa voix suite à une sclérose latérale amyotrophique (SLA).
L’Apple Vision Pro lui permet de consulter un menu déroulant pour chaque appareil, tandis que l’interface lui permet de choisir l’action à exécuter (comme baisser la température de la climatisation, par exemple). L’implant décode ensuite les signaux cérébraux traduisant l’intention du patient et l’Holoscan améliore la vitesse et la précision du décodage. Autrement dit, l’IA permet de réduire le délai d’exécution du mouvement, tout en améliorant le contrôle.
L’IA « cognitive » : la prochaine étape de développement de l’IA ?
L’IA utilisée actuellement sur le dispositif de Synchron a été entraînée sur les données d’une seule personne. Cette dernière a par exemple été invitée à effectuer une tâche spécifique, telle que déplacer un curseur vers la gauche ou vers la droite.
Un réseau d’électrodes collecte ensuite l’activité neuronale correspondante, tandis que les chercheurs « étiquettent » ces données en parallèle. En d’autres termes, ils indiquent ce que le sujet faisait au moment où chaque signal cérébral a été enregistré. Les données ainsi étiquetées permettent à l’IA d’apprendre à relier chaque tâche spécifique à chaque activité cérébrale traduisant l’intention de l’utilisateur de l’implant.
Synchron prévoit cependant d’améliorer le dispositif en intégrant une « IA cognitive », un type d’algorithme intégrant de grandes quantités de données cérébrales et pouvant être adapté à un large éventail d’utilisations.
Ce type de modèle serait donc plus généralisable et ne nécessiterait pas de formation spécifique pour chaque nouvelle tâche. Oxley affirme que l’IA cognitive sera la prochaine grande étape de développement de l’IA, après l’IA agentique (agents IA) et l’IA physique (intégrée aux robots et autres systèmes physiques).
Un modèle généralisable adapté à l’exécution de nombreuses tâches
Pour développer l’IA cognitive, Synchron prévoit d’utiliser les données cérébrales des participants actuels aux essais cliniques et ceux recrutés prochainement. « Ce modèle serait plus généralisable, plus précis, et pourrait ensuite être peaufiné pour chaque sujet », explique Maryam Shanechi, chercheuse en interface cerveau-ordinateur à l’Université de Californie du Sud. « Comme cette IA aura été entraînée sur le cerveau de nombreuses personnes, elle aura appris à apprendre, à penser, et on obtient ainsi un système d’IA ‘quasi cérébral’ utilisable pour diverses tâches », indique-t-elle.
Cependant, les utilisateurs auront tout de même besoin d’être formés pour utiliser le dispositif. Il s’agira notamment d’apprendre à interpréter les suggestions de l’IA et à les ajuster en fonction de leurs intentions réelles. Synchron utilisera en outre les modèles d’IA Cosmos de Nvidia pour générer des simulations réalistes du corps de l’utilisateur, lui permettant d’observer un modèle de ses mouvements, puis de les répéter mentalement. En d’autres termes, l’IA prédit ou suggère les mouvements que l’utilisateur pourrait vouloir exécuter.
« À mesure que nous obtenons de plus en plus de données, ces modèles fondamentaux s’améliorent et deviennent plus généralisables », explique Shanechi. Toutefois, « le problème est qu’il faut beaucoup de données pour que ces modèles pré-fondamentaux deviennent réellement fondamentaux. C’est difficile à réaliser avec une technologie invasive à laquelle peu de personnes auront accès », précise-t-elle.
Néanmoins, le dispositif de Synchron est moins invasif que certains modèles concurrents. Plutôt que d’être implanté à l’intérieur ou à la surface du cerveau, il est inséré à la base du cou et passé à travers une veine pour atteindre le cortex moteur. Cette procédure est similaire à la pose d’un stent cardiaque (une procédure chirurgicale courante) et ne nécessite pas de chirurgie cérébrale.
D’un autre côté, l’intégration de l’IA soulève des questions quant au degré d’autonomie des utilisateurs. La technologie étant encore sujette à des erreurs, se conformera-t-elle aux intentions des utilisateurs ? N’aura-t-elle pas tendance à modifier leur perception ou leurs intentions ?
Pour les personnes disposant encore de l’usage de leurs membres, il est encore possible de corriger les erreurs dans les contenus générés par IA, mais qu’en sera-t-il des patients paralysés ? En réponse, Oxley reconnaît le besoin d’un moyen de contourner éventuellement les suggestions générées par IA : « il faudra toujours un coupe-circuit », conclut-il.