Tardigrade : premier organisme multicellulaire à faire l’objet d’une intrication quantique

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C’est une expérience presque incroyable que viennent de réussir des chercheurs de l’université technologique de Nanyang à Singapour : l’intrication quantique d’un tardigrade avec un qubit supraconducteur ! Cet exploit marque la première fois qu’un organisme multicellulaire fait l’objet d’un tel phénomène quantique. Dans la dernière expérience, l’animal a même survécu aux conditions extrêmes qui lui ont été imposées. Oui, le choix du tardigrade pour cette étude n’est bien entendu pas hasardeux.

L’intrication quantique (ou enchevêtrement quantique) est un phénomène de la mécanique quantique encore partiellement incompris à ce jour dans lequel deux particules (ou groupes de particules) forment un système lié. Ainsi, quelle que soit la distance qui les sépare, leurs états quantiques (1, 0 ou les deux en même temps) sont liés. Dans cet état dit « intriqué », il existe des corrélations entre les propriétés physiques des deux particules.

Les tardigrades quant à eux ne sont plus à présenter, mais un petit rappel peut toujours être utile… Ces créatures fascinantes, appelées aussi « oursons d’eau » en raison de leur apparence amusante, sont surtout connues pour leur résilience incroyable, capables de survivre à des températures et pressions extrêmes, et même au vide spatial. Pour toutes ces raisons, ces animaux microscopiques pourraient bien être les premiers voyageurs interstellaires.

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L’un des secrets de cette résistance à toute épreuve des tardigrades est leur capacité à entrer dans un état d’anhydrobiose extrême, appelée parfois « hibernation », qu’ils préparent en se desséchant presque entièrement (en éliminant jusqu’à 95% de leur eau). Dans cet état nommé « tun », ils ressemblent à de petits tonnelets, d’où le nom choisi. Le fait que ces créatures puissent tolérer des conditions aussi extrêmes suggère que leur résistance est le résultat de l’arrêt complet de leurs processus métaboliques. De ce fait, les tardigrades constituaient, selon Rainer Dumke (auteur principal de l’étude) et ses collègues, les candidats idéaux pour potentiellement devenir les premiers organismes multicellulaires à supporter une intrication quantique.

Intrication quantique du vivant : un défi qui dépasse notre compréhension

Pour l’expérience, les chercheurs ont placé un tardigrade (de l’espèce Ramazzottius varieornatus) en état de tun entre deux qubits (l’équivalent du bit en informatique classique) supraconducteurs. L’animal était lié par une jonction supraconductrice à un qubit de charge (Qubit B). Le deuxième qubit (Qubit A) n’était lié que par une capacité (un condensateur) au qubit B.

Une fois les éléments de l’expérience parfaitement en place, ils ont abaissé la pression et la température jusqu’à obtenir un vide presque parfait et un zéro presque absolu (−273,15 °C étant la température du zéro absolu, soit 0 K), réduisant ainsi toute influence extérieure (excitation) sur les qubits et le tardigrade. Cet état chimiquement « figé » a permis de décrire et traiter l’ensemble du système en matière de physique, sans devoir considérer l’aspect biologique du tardigrade.

Pour déterminer si l’état d’intrication avait été atteint entre le tardigrade et le qubit, les chercheurs ont mesuré la fréquence à laquelle la combinaison tardigrade-qubit vibrait. Résultat : les calculs (basés sur les mesures) n’avaient de sens que si les deux objets étaient considérés en état d’intrication quantique. En effet, l’on peut dire que deux particules sont enchevêtrées lorsque l’une ne peut être parfaitement décrite sans que des informations sur l’autre soient incluses, ce qui était le cas ici.

Les chercheurs ont donc pu confirmer que l’état d’intrication avait été atteint, liant dans une certaine mesure les propriétés physiques d’un bit quantique et d’un organisme multicellulaire, pour la toute première fois au monde. Les détails de l’expérience ont été publiés sur le serveur de prépublication arXiv.

schema experience intrication tardigrade
Schéma de l’expérience. a) Un tardigrade à l’état tun est positionné entre les plaques d’un condensateur shunt, légèrement décalé de la jonction supraconductrice du qubit B transmon (un type de qubit de charge). Le qubit A se trouve sur la face inférieure et est couplé capacitivement au qubit B. La puce complète est placée dans une cavité 3D en cuivre montée à l’intérieur d’un réfrigérateur à dilution et connectée à une électronique micro-ondes standard pour le sondage. b) Schéma du circuit des deux qubits et de la connection au tardigrade. c) Agrandissement du tardigrade réanimé sur le qubit transmon. Le tardigrade à l’état de tun est placé dans la même position tout en restant attaché à un petit morceau de papier filtre. © R. Dumke et al. (2021)

Après avoir effectué leurs mesures, les chercheurs ont lentement dépressurisé et réchauffé le tardigrade, le faisant sortir de son état de relaxation et le ramenant à la vie. Mais les records établis par ce super tardigrade ne s’arrêtent pas là : la température en question (qui était à peine 0,01 °C au-dessus du zéro absolu) est la plus basse à laquelle un tardigrade ait jamais survécu ! Il faut tout de même préciser que ce tardigrade était le troisième candidat à subir l’expérience, les deux premiers n’ayant pas survécu en raison d’un réchauffement trop rapide.

Selon les chercheurs de la nouvelle étude, cette expérience démontre que l’animal était bel et bien dans un état amétabolique, car un quelconque processus chimique actif n’aurait pas permis l’intrication quantique. Cependant, cet arrêt du métabolisme des tardigrades est toujours discuté au sein de la communauté scientifique spécialisée, certains avançant qu’une activité métabolique moindre subsiste toujours dans l’état de tun.

Si le tardigrade était certainement vivant avant et après l’enchevêtrement, un point de discorde est de savoir s’il était vivant pendant, et comment il a été intriqué exactement. Sans compter que selon les chercheurs, dans ce type d’expérience, on ne sait jamais quelle est la partie de l’organisme qui participe réellement à l’enchevêtrement. Malgré ces obstacles techniques, Dumke et son équipe espèrent intriquer d’autres formes de vie à l’avenir.

Qu’est-ce que tout cela signifie pour la recherche, concrètement ? D’abord, il faut préciser que le fait de maintenir un état quantique cohérent avec les degrés de liberté d’un système biologique multicellulaire aussi grand qu’un tardigrade relève de l’exploit… Et il ne s’agit ici que d’une première étape pour étudier comment ces phénomènes quantiques, que nous commençons à peine à comprendre d’un point de vue microscopique, agissent et interagissent à plus grande échelle, et notamment sur et avec les êtres vivants.

Source : arXiv

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