La préservation des espèces en voie de disparition est aujourd’hui un enjeu environnemental majeur. L’augmentation du nombre d’espèces en danger d’extinction, confrontée à la diminution des ressources allouables à leur protection, a conduit certains scientifiques à proposer des stratégies visant à prioriser le sauvetage des espèces présentant les chances de survie les plus élevées.
Préserver le caribou des forêts (Rangifer tarandus) du Canada n’est pas une chose aisée. Plus de la moitié des troupeaux, trouvés dans les montagnes de l’ouest du Canada et dans les forêts boréales du nord du Canada, sont en déclin. Cela s’explique en partie par le fait que beaucoup d’animaux vivent dans des zones riches en gaz naturels ou en pétrole, attirant ainsi l’attention des populations et des industriels qui empiètent sur les territoires sauvages à des fins d’exploitation.
La situation critique des animaux a provoqué une série d’opérations de sauvetage coûteuses et complexes. Dans cette région, par exemple, les conservateurs de l’environnement ont dépensé près de 2 millions de dollars au cours des cinq dernières années pour capturer jusqu’à 20 femelles caribous du nord de la Colombie chaque hiver et les conduire dans une réserve de 9.4 hectares où une clôture électrique les protège des prédateurs. Les soigneurs libèrent les nouveau-nés dès qu’ils sont en âge de survivre à l’extérieur.
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Ces mesures n’ont eu toutefois que des résultats limités. Bien qu’elles aient aidé à stopper le déclin du troupeau, ce dernier stagne. Un tel constat conduit à poser une question complexe au sujet du caribou – une question qui s’applique également à plus de 26’000 autres espèces mondiales qui sont menacées d’extinction. L’Homme devrait-il essayer de sauver chaque espèce, ou en laisser certaines s’éteindre pour focaliser les ressources limitées sur celles ayant de meilleures chances de survie ?
Confrontés à une dichotomie entre le grand nombre d’espèces animales en danger et les ressources limitées à disposition, certains scientifiques préconisent d’opérer une sélection basée sur des critères pragmatiques. Ils conseillent notamment aux gouvernements de déplacer les ressources assignées aux espèces en danger « médiatiques » aux espèces en danger qui ne reçoivent pas assez d’attention et qui, pour certaines, ont pourtant de meilleures chances de survie.
Cela signifierait ne plus financer le sauvetage systématique d’espèces dont les probabilités de survie apparaissent très faibles, comme pour le vaquita, un petit marsouin qui compte maintenant moins de 30 survivants dans le golfe de Californie au Mexique. Cette idée controversée est critiquée par plusieurs scientifiques affirmant qu’une telle proposition ne ferait que rendre plus glissante la pente menant vers l’extinction de masse. Toutefois, les autorités publiques semblent y adhérer. La Nouvelle-Zélande et l’Australie ont déjà intégré l’approche dans leurs nouveaux budgets. Le Canada et les États-Unis envisagent également de faire de même.
Même Serrouya, qui travaille pour l’Université de l’Alberta à Edmonton, au Canada, et qui a passé une grande partie de sa carrière à étudier le caribou des forêts canadiennes, admet, avec douleur, qu’abandonner certains troupeaux mérite d’être envisagé.
Le terme « triage » — du verbe trier — est né sur les champs de bataille de l’Europe napoléonienne. Confrontés à un afflux de soldats blessés, les médecins militaires français ont conçu un système pour déterminer, sur la base de la probabilité de survivre, qui devait être soigné ou non.
L’idée a atteint la biologie conservative dès les années 1980. Ces dernières années, ce concept a attiré l’intérêt des gouvernements, en partie grâce au mathématicien et biologiste australien Hugh Possingham. Au milieu des années 1990, ce dernier officiait à l’Université d’Adélaïde en Australie, où il dispensait des cours sur l’utilisation des mathématiques pour optimiser les choix économiques. Ayant grandi en observant les oiseaux avec son père, Possingham se demandait si cette stratégie pouvait être appliquée aux espèces en danger.
Au cours de la décennie suivante, Possingham et d’autres ont travaillé à l’élaboration de formules indiquant le moyen le plus efficace de dépenser de l’argent pour la préservation des espèces. Ils ont tenté de quantifier les réponses à certaines questions clés : Quel est le coût des projets de restauration des espèces ? Quelle est leur probabilité de réussite ? Dans quelle mesure chaque espèce est-elle distincte et importante ? Quelles actions bénéficieront à de multiples espèces ou à des écosystèmes entiers, en apportant le meilleur rendement ?
Aujourd’hui, les dépenses de conservation sont influencées par un ensemble complexe de facteurs, y compris l’imminence de la disparition d’une espèce et la pression exercée par les poursuites judiciaires, le lobbying et la couverture médiatique. Selon Possingham et d’autres scientifiques, l’argent sert souvent à financer des projets de très longue durée ou des organismes médiatiques, alors que des espèces qui pourraient être sauvées relativement rapidement à bas coûts sont ignorées.
Il y a une douzaine d’années, la Nouvelle-Zélande est devenue la première nation à tester l’approche de Possingham. Un pays rempli d’espèces uniques, environ 3000 d’entre elles étant en danger ; le pays est ainsi souvent cité comme un exemple d’extinction massive imminente. Mais la Nouvelle-Zélande n’a pas fixé de priorités précises en matière de dépenses de conservation, rappelle Richard Maloney, biologiste au Département de la conservation de Christchurch
Dans ce but, les autorités ont demandé à Possingham d’aider à l’élaboration d’un plan de dépense d’environ 20 millions de dollars par an. Une liste de 100 espèces prioritaires a été proposée, élaborée à l’aide d’une formule équilibrant les coûts et avantages. En général, les espèces hautement menacées sont uniques en Nouvelle-Zélande et se sont retrouvées en tête de liste. Mais la liste comprend également des représentants de diverses espèces et tient compte du coût et de la probabilité de réussite du sauvetage.
Avant ce plan, le gouvernement œuvrait au sauvetage de 130 espèces. Maintenant, plus de 300 attirent l’attention, selon Possingham. En Australie, l’État de la Nouvelle-Galles du Sud a suivi le mouvement, et les défenseurs de cette stratégie ont déclaré qu’elle avait aidé à persuader les autorités locales à dépenser 100 millions de dollars supplémentaires sur cinq ans pour la conservation.
Le caribou des bois du Canada est un symbole de la culture canadienne. Mais quand l’Homme empiète sur les forêts, la situation s’aggrave pour les animaux. Les forêts défrichées pour l’exploitation forestière, le forage, l’exploitation minière ou les routes attirent des cerfs et des orignaux qui se nourrissent des broussailles qui repoussent. Ces proies, à leur tour, attirent les loups et les lions de montagne. Les caribous subissent ainsi des dommages collatéraux.
Pour protéger le troupeau, les défenseurs de l’environnement ont… (suite à la page suivante)