Des vestiges de Théia se trouveraient au plus profond de la Terre

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Vue d’artiste de l’impact géant à l’origine de la formation de la Lune. | NASA/JPL-Caltech
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Il est désormais admis que notre lune est le fruit de l’impact entre une protoplanète de la taille de Mars, nommée Théia, et notre planète à l’aube de sa vie. Une équipe de chercheurs avance aujourd’hui que des restes de Théia se trouveraient profondément enfouis dans le manteau terrestre, sous forme de deux couches de roche dense, de la taille d’un continent.

Ces couches rocheuses, localisées sous l’Afrique de l’Ouest et l’océan Pacifique, intriguent les sismologues depuis des décennies. Épaisses de 1000 kilomètres et larges de plusieurs milliers de kilomètres, « elles constituent les éléments les plus grands du manteau terrestre », précise Qian Yuan, spécialiste en géodynamique à l’Arizona State University (ASU). Lorsque les ondes sismiques traversent ces couches, elles ralentissent brusquement, ce qui suggère qu’elles sont plus denses et chimiquement différentes de la roche du manteau environnante.

Ces superpanaches, ou « grandes provinces à faible vitesse de cisaillement » (ou encore large low-shear-velocity province, soit LLSVP en anglais), pourraient être le fruit d’une cristallisation du magma, si dense et riche en fer qu’il aurait coulé vers le fond du manteau liquide, alors que la Terre achevait sa formation. Il peut également s’agir de fragments denses de roches primitives du manteau, stigmates de l’impact qui a donné naissance à la Lune. Mais de nouvelles recherches conduisent Yuan et son équipe à penser que ces LLSVP sont des restes de l’impacteur extraterrestre lui-même.

Une invitation à rêver, prête à être portée.

Un impacteur presque aussi grand que la Terre

« Une idée folle, mais possible », affirme le spécialiste. Les chercheurs ont en effet rassemblé plusieurs preuves en faveur de cette hypothèse, qui selon Edward Garnero, sismologue à l’ASU qui n’a pas participé à cette nouvelle étude, est complètement recevable. Une étude menée en 2012 par le géochimiste Sujoy Mukhopadhyay apportait déjà des preuves que les LLSVP existent depuis l’époque de l’impact de la formation de la Lune, il y a environ 4,5 milliards d’années.

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L’impacteur qui a donné naissance à la Lune aurait laissé des traces au plus profond du manteau terrestre… © Q. Yuan et al.

L’imagerie sismique a permis de tracer les panaches de magma qui alimentent les volcans d’Islande et des îles Samoa jusqu’aux LLSVP. Au cours de la dernière décennie, Mukhopadhyay et d’autres ont par ailleurs découvert que les laves qui s’écoulent de ces îles contiennent un enregistrement isotopique d’éléments radioactifs qui ne se sont formés que lors des 100 premiers millions d’années de l’histoire de la Terre. De plus, une nouvelle modélisation de l’impacteur qui a formé la Lune suggère que ce dernier aurait pu déposer une cargaison de roches denses au plus profond de la Terre.

La théorie de l’impact géant a été développée dans les années 1970 et demeure la plus probable pour expliquer la formation de la Lune ; elle explique notamment pourquoi il n’y a pas d’eau sur la Lune et pourquoi son noyau est pauvre en fer. En effet, un impact cataclysmique pourrait expliquer que des composés volatils comme l’eau se soient vaporisés, et que des fragments de roche peu denses éjectés dans l’espace se soient agglomérés pour former notre satellite naturel.

Selon cette théorie, l’impacteur aurait été de la taille de Mars ou, selon des variantes plus récentes, beaucoup plus petit. Des travaux menés en 2019 par un collaborateur de Yuan, l’astrophysicien Steven Desch de l’ASU, suggèrent cependant que Theia était presque aussi grande que la Terre.

Ce sont les rapports d’hydrogène et de deutérium mesurés dans les roches lunaires (rapportées par la mission Apollo), qui ont mené Desch et son équipe à cette conclusion. Ils ont en effet découvert que l’hydrogène était beaucoup plus abondant dans certains des échantillons de la Lune que dans les roches terrestres. Or, pour capturer et conserver autant d’hydrogène, les scientifiques estiment que Théia devait être nécessairement massive. Elle devait également être dépourvue d’eau : dans le cas contraire, les niveaux de deutérium mesuré dans les roches lunaires auraient été plus élevés, car l’eau est naturellement enrichie en deutérium lorsqu’elle se forme dans l’espace interstellaire. Une telle protoplanète, sèche et massive, se serait alors séparée en couches avec un noyau appauvri en fer et un manteau riche en fer, environ 2% à 3,5% plus denses que la Terre actuelle.

Une hypothèse à confirmer lors des futures missions lunaires

La modélisation réalisée par Yuan a montré qu’après la collision, le noyau de Théia aurait rapidement fusionné avec celui de la Terre. Il a également étudié le sort du manteau de l’impacteur, en faisant varier sa taille et sa densité ; ceci dans le but de déterminer quelles étaient les conditions qui auraient permis au matériau de persister, au lieu de se désagréger et de couler à la base du manteau.

Ces simulations ont révélé que les roches du manteau qui étaient de 1,5 à 3,5 % plus denses que celles de la Terre résistaient et finissaient par s’empiler près du noyau. Un résultat qui vient corroborer ceux obtenus par Desch. Une Théia massive expliquerait également l’échelle des LLSVP, qui contiennent au total six fois plus de masse que la Lune ! Si ces superpanaches sont extraterrestres, explique Yuan, seul un impacteur aussi grand aurait pu les apporter.

Quelques incertitudes demeurent cependant, notamment concernant la structure interne des LLSVP. Une étude publiée l’année dernière suggère en effet que leur épaisseur — qui peut atteindre 1000 kilomètres selon les premières estimations — ne serait finalement que de quelques centaines de kilomètres, avant que ces couches rocheuses ne se dispersent en panaches ramifiés. Une telle structure, moins monolithique que ce qui était envisagé jusqu’alors, serait en outre cohérente avec une autre analyse révélant que les LLSVP sont plus denses en profondeur. Or, des LLSVP moins massifs ne sont pas compatibles avec l’hypothèse selon laquelle Théia avait presque la taille d’une proto-Terre.

Pour appuyer leur théorie, Desch et Yuan pensent qu’il pourrait être intéressant de rechercher des similitudes géochimiques entre les laves insulaires et les roches du manteau lunaire. Aucun des échantillons rapportés par Apollo ne conserve des traces du manteau inaltéré ; de telles roches sont cependant susceptibles d’être exhumées du plus gros cratère d’impact de la Lune, situé au pôle Sud. Ce sera l’un des objectifs des futures missions de la NASA et de la Chine.

Par ailleurs, si des restes de Théia se trouvent dans le manteau terrestre, ils ne sont peut-être pas seuls. En effet, les sismologues observent de plus en plus de petites poches de matière ultradense dans le manteau profond, de seulement quelques centaines de kilomètres de diamètre, souvent à proximité des LLSVP. Peut-être les restes engloutis de noyaux riches en fer d’autres planètes miniatures qui ont frappé la Terre primitive…

Source : 52nd Lunar and Planetary Science Conference 2021, Q. Yuan et al.

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