Ce que votre grand-mère mangeait il y a très longtemps pourrait avoir affecté votre système nerveux

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Une étude vient de dévoiler un lien entre le régime alimentaire des mères et la santé neuronale des petits-enfants. Cette recherche identifie la molécule sphingosine-1-phosphate (S1P) comme un acteur clé dans cette transmission intergénérationnelle. Les implications sont vastes, suggérant que nos choix alimentaires peuvent fortement influencer la santé des générations futures, bien au-delà de nos propres vies.

L’alimentation est un pilier fondamental de notre bien-être, son rôle sur notre santé immédiate étant bien connu. Cependant, son influence sur les générations à venir reste un terrain largement inexploré. Une étude récente menée par l’Université Monash (Australie) s’est penchée sur cette question, mettant en avant le lien entre le régime alimentaire des mères et la santé neuronale de leurs descendants.

En se focalisant sur des molécules spécifiques, cette recherche apporte un éclairage inédit sur la transmission intergénérationnelle de traits physiologiques. Les résultats sont publiés dans la revue Nature Cell Biology.

Le rôle des sphingolipides

Au cœur de cette découverte se trouve une molécule appelée sphingosine-1-phosphate (S1P). Localisée dans l’intestin, elle joue un rôle crucial dans la transmission d’informations génétiques aux ovules. En d’autres termes, elle est capable d’influencer le métabolisme des sphingolipides, des composants essentiels des membranes cellulaires, pour les générations à venir.

Pour étudier ce phénomène en profondeur, les chercheurs ont choisi le ver Caenorhabditis elegans comme modèle. Ce choix n’est pas anodin. En effet, C. elegans est un organisme modèle largement utilisé en biologie en raison de sa simplicité, de sa courte durée de vie et de sa transparence, ce qui facilite l’observation sous microscope. De plus, bien que simple, il partage de nombreux processus biologiques avec les êtres humains, ce qui rend ses réactions pertinentes pour une extrapolation plus large.

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Série d’expériences liées à la molécule S1P. En a, structure chimique de la S1P. En b, une exposition continue à cette molécule réduit les ruptures d’axones PLM chez une souche spécifique de vers. En c, il est montré que cette réduction des ruptures d’axones se produit lorsque les mères (et non les larves) sont exposées à la S1P pendant 16 heures. En d, les chercheurs ont décrit le schéma expérimental pour étudier l’héritage intergénérationnel, où les animaux de la génération P0 sont traités avec la S1P. En e, les résultats montrent que l’exposition des mères à la S1P réduit les ruptures d’axones chez leurs descendants pendant deux générations. En f, on observe la présence de S1P marquée par fluorescence dans les ovocytes après 16 heures d’exposition. En g, la réduction des ruptures d’axones induite par la S1P est supprimée lorsque l’expression du gène rme-2 est réduite. © W. Wang et al., 2023

En utilisant ce modèle, les scientifiques ont pu observer comment la S1P agit pour protéger les neurones. Ils ont découvert que cette molécule joue un rôle protecteur contre la fragilité des axones, les prolongements des neurones responsables de la transmission de l’information nerveuse. Cette découverte suggère que l’intégrité neuronale pourrait être influencée par des facteurs environnementaux et alimentaires transmis à travers les générations via la S1P.

L’importance de l’acide ursolique

Un autre élément clé de cette étude est l’acide ursolique (UA). C’est une molécule naturellement présente dans plusieurs plantes et fruits, notamment dans les pommes et les herbes (basilic, romarin, thym, origan et sauge). Elle est reconnue pour ses propriétés anti-inflammatoires et antioxydantes.

Lorsque l’UA est introduit pendant la phase de production d’ovules chez le ver C. elegans, il a été observé qu’il exerce un effet bénéfique sur le transport axonal. Le transport axonal est un processus essentiel qui permet le déplacement des molécules, des organites et des vésicules le long des axones. Une perturbation de ce mécanisme peut entraîner des maladies neurodégénératives.

Grâce à l’UA, non seulement le transport axonal est favorisé, mais la fragilité des axones est également réduite. Cela signifie que les axones sont moins susceptibles de se rompre ou de subir des dommages, assurant ainsi une meilleure transmission de l’information nerveuse.

Mais comment l’UA parvient-il à exercer cet effet protecteur ? La réponse réside dans son interaction avec les sphingolipides. L’UA stimule l’expression d’une enzyme spécifique dans l’intestin, responsable de la biosynthèse des sphingolipides. Ces lipides jouent un rôle crucial dans la structure et la fonction des membranes cellulaires, notamment dans le système nerveux.

effet ua
Schémas et images de fluorescence en a et b, anatomie d’une partie spécifique du ver, le PLML, chez deux types d’animaux : un type sauvage et un autre avec des mutations génétiques spécifiques. En b, une rupture typique de l’axone PLM est indiquée par une ligne rouge. Le c montre la structure chimique de l’acide ursolique (UA). En d, il est démontré que l’exposition à l’UA réduit les ruptures d’axones chez les animaux mutants. Le e présente le calendrier d’exposition à l’UA, tandis que le f montre que l’exposition continue à l’UA réduit les ruptures d’axones, surtout si cette exposition commence à un stade larvaire spécifique. Le g décrit le protocole expérimental pour étudier l’héritage intergénérationnel, et le h révèle que l’exposition à l’UA réduit les ruptures d’axones sur deux générations. © W. Wang et al., 2023

Le lien entre l’intestin et la neuroprotection est établi par le transport de la S1P du tube digestif à l’ovule. Ce mécanisme est essentiel pour assurer la transmission des bénéfices neuroprotecteurs à la génération suivante. En d’autres termes, l’UA, en modulant le métabolisme des sphingolipides dans l’intestin, permet à la S1P de jouer son rôle protecteur, garantissant ainsi la santé neuronale des générations futures.

Une nouvelle perspective sur la santé neuronale

Les récentes découvertes renforcent l’idée que la nutrition est un élément clé de la santé globale, avec des implications qui s’étendent bien au-delà de la génération actuelle. En effet, la mise en évidence du rôle de la S1P et de l’UA dans la protection neuronale intergénérationnelle met en lumière la profonde influence que peuvent avoir les facteurs environnementaux et alimentaires sur la transmission de traits biologiques spécifiques.

Cependant, bien que ces découvertes soient prometteuses, il convient de les aborder avec prudence. Le ver C. elegans, bien qu’utile comme modèle biologique, présente des différences significatives avec les mammifères. Il est donc crucial de poursuivre les recherches pour explorer si ces mécanismes observés chez le ver sont également présents chez d’autres espèces.

L’auteur principal, le professeur Roger Pocock, conclut dans un communiqué : « Le régime alimentaire d’une mère peut affecter non seulement le cerveau de sa progéniture, mais potentiellement les générations suivantes. Notre travail soutient une alimentation saine pendant la grossesse ».

Source : Nature Cell Biology

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