La plus ancienne phrase lisible connue, écrite avec le tout premier alphabet, concerne les poux

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Ce peigne à poux en ivoire aurait été fabriqué vers 1700 av. J.-C. | Dafna Gazit/Israel Antiquities Authority
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La phrase en question est gravée sur un peigne en ivoire, découvert il y a quelques années à Lakish, une ancienne cité cananéenne du deuxième millénaire avant notre ère — la deuxième ville la plus importante du royaume de Juda, après Jérusalem — située dans les contreforts du centre d’Israël. Selon les experts, cette inscription daterait d’environ 1700 avant J.-C, et le sujet principal n’est autre que… les poux.

Le peigne, d’environ 3,5 cm sur 2,5 cm, a été découvert sur le site de Lakish en 2016, mais les gravures à sa surface n’ont été repérées que récemment, en décembre 2021. « Que cette défense extirpe les poux des cheveux et de la barbe », c’est la phrase déchiffrée par les experts, désormais considérée comme la plus ancienne phrase écrite dans l’alphabet le plus ancien connu. Il semblerait que les préoccupations de l’époque n’étaient pas si différentes de celles de nombreux parents d’aujourd’hui…

Les peignes anciens étaient fabriqués en bois, en os ou en ivoire ; l’ivoire était un matériau très cher et l’objet a probablement été importé. Il apparaît ainsi que les infestations de poux n’épargnaient personne, pas même les individus les plus aisés. « L’inscription est très humaine. […] De nos jours, nous avons tous ces sprays, ces médicaments modernes et ces poisons. Dans le passé, ils n’avaient pas ça », a déclaré au Guardian le professeur Yosef Garfinkel, archéologue à l’Université hébraïque de Jérusalem, qui a aidé à diriger les fouilles de Lakish. L’analyse des marques a confirmé que l’écriture était cananéenne, le plus ancien alphabet, inventé il y a environ 3800 ans.

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L’ancêtre de la plupart des langages modernes

Les premiers systèmes d’écriture du monde sont apparus en Mésopotamie et en Égypte vers 3200 av. J.-C., mais ils n’étaient pas alphabétiques ; les mots, parfois les syllabes, étaient représentés par des centaines de signes différents. L’écriture cananéenne, inventée vers 1800 av. J.-C. (aussi connue sous le nom d’alphabet phénicien) est le premier exemple connu d’alphabet non pictographique.

Pendant des centaines d’années, il aurait été adapté et adopté par les cultures du monde entier. Standardisé par les Phéniciens, dans une région correspondant au Liban actuel, cet alphabet a ensuite constitué les bases du grec ancien, du latin et de la plupart des langues modernes utilisées en Europe et dans le monde aujourd’hui.

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Restes d’une nymphe de pou de tête, observés entre les dents du peigne. © Vainstub et al.

La datation au carbone 14 n’a pas permis de déterminer l’âge du peigne, mais sur la base d’autres artefacts précédemment trouvés dans la même région, les chercheurs pensent qu’il a été fabriqué vers 1700 avant notre ère. Ses deux séries de dents, plus ou moins larges et espacées, suggèrent que l’objet avait une double fonction : démêler les cheveux et éliminer les poux et leurs lentes. Cette fonction — tout comme le sens de la phrase — a été confirmée par un examen attentif du peigne au microscope, qui a révélé la présence de membranes externes de poux de tête au stade de nymphe.

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Les inscriptions gravées sur le peigne découvert en 2017 sur le site de Lakish. © Daniel Vainstub

Les 17 lettres identifiées sur le peigne, qui mesurent un à trois millimètres de large, forment sept mots distincts, constituant la première phrase écrite en caractères cananéens entièrement déchiffrée — une phrase qui prouve que les poux constituent un problème de longue date dans l’histoire de l’humanité.

Un jalon dans l’histoire de l’écriture

De par un manque de preuves archéologiques, les spécialistes ne peuvent déterminer précisément la date à laquelle le tout premier alphabet a été inventé. Il est communément admis que l’alphabet est apparu pour la première fois en Égypte il y a environ 3800 ans, lorsqu’une vingtaine de hiéroglyphes égyptiens ont été réutilisés en tant que lettres, pour écrire des mots. Certaines preuves suggèrent toutefois qu’il était déjà utilisé 500 ans auparavant.

Par ailleurs, la façon dont l’alphabet était utilisé à ses débuts reste peu claire, car les textes les plus anciens retrouvés jusqu’à présent sont plutôt concis ou trop difficiles à déchiffrer ; il ne s’agit parfois que du nom d’une personne ou d’un objet. Des inscriptions plus longues existent, mais sorties de leur contexte, il est particulièrement difficile d’en saisir le sens. « Il y a des Cananéens à Ougarit en Syrie, mais ils écrivent dans une écriture différente, pas l’alphabet qui est utilisé jusqu’à aujourd’hui », ajoute le professeur Garfinkel.

La découverte de cette nouvelle inscription est donc très importante pour les experts, car elle constitue une preuve directe de l’utilisation de l’alphabet dans les activités quotidiennes il y a quelque 3700 ans. « Il s’agit d’un jalon dans l’histoire de la capacité humaine à écrire », commente le spécialiste, qui souligne par ailleurs l’habileté dont a fait preuve le graveur pour écrire des lettres aussi minuscules. La phrase la plus ancienne connue jusqu’alors était environ 400 ans plus récente que celle du peigne.

À ce jour, 10 inscriptions cananéennes ont été découvertes à Lakish — soit plus que sur tout autre site en Israël. La ville a été le principal centre d’utilisation et de préservation de l’alphabet pendant quelque 600 ans, de 1800 à 1150 av. J.-C. Cette nouvelle phrase, permet aux chercheurs de combler certaines lacunes concernant la culture cananéenne de l’âge du Bronze. Non seulement elle reflète un aspect de la vie quotidienne de l’époque, mais cette phrase est le premier exemple d’inscription décrivant la fonction de l’objet sur laquelle elle a été gravée — et non pas le nom de son propriétaire, comme cela a déjà été observé.

Source : D. Vainstub et al., Jerusalem Journal of Archaeology

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