Nous avons déjà évoqué les quelques aspects positifs de la pandémie : le retour des animaux dans des zones habituellement surpeuplées d’humains, et une réduction importante de la pollution atmosphérique au-dessus des grandes villes, qui permet au ciel de retrouver toute sa clarté, dévoilant des panoramas depuis longtemps oubliés… Une étude qui vient d’être publiée dans la revue Nature Climate Change confirme cet impact très positif du coronavirus sur le climat : au mois d’avril, les émissions mondiales quotidiennes de carbone étaient de 17% inférieures aux émissions moyennes de l’année dernière.
Les mesures prises pour limiter la propagation du virus sont à l’origine de cette baisse drastique : le confinement massif des populations et le télétravail mis en place dans la plupart des pays du monde ont entraîné une forte baisse des trajets aériens et automobiles. Et les émissions de carbone ont considérablement chuté…
Le transport terrestre : principal responsable des émissions de carbone
17 millions de tonnes de carbone par jour en moins par rapport à la moyenne enregistrée en 2019 ! Le niveau d’émissions observé est quasiment identique à celui de 2006. Les auteurs de l’étude estiment que cette année enregistrera certainement la plus forte baisse sur un an depuis la Seconde Guerre mondiale : « Nous verrons les émissions mondiales de carbone baisser d’au moins 4 % cette année et peut-être 7 % ou 8 % », prédit Robert Jackson, président du Global Carbon Project et co-auteur de l’étude. Créé en 2001, le Global Carbon Project est une organisation qui cherche à quantifier les émissions mondiales de gaz à effet de serre – dioxyde de carbone, méthane et oxyde nitreux – et leurs causes.
Dans le cadre de leur étude, les chercheurs ont analysé les émissions causées par près de 70 pays, représentant 85 % de la population mondiale et 97 % des émissions mondiales de CO2. Ils ont constaté que les pays soumis aux restrictions les plus sévères – ayant mis en place le confinement obligatoire de toute la population hormis les travailleurs « indispensables » et l’interdiction de rassemblements – ont connu une diminution importante des transports quotidiens : en moyenne, une baisse de 50 % de trajets terrestres et 75 % de trajets aériens ! Les activités industrielles et le secteur public ont, quant à eux, enregistré respectivement une baisse d’activité de 35 % et de 33 %.
Début avril, les émissions issues du transport routier affichaient une chute de 36 %, représentant à elles seules 43 % de la diminution totale des émissions par rapport à 2019. Car c’est bien le transport routier qui est à l’origine de la plupart des émissions nocives : d’après les données du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), 72 % des émissions mondiales du transport proviennent des véhicules routiers (en tête : les États-Unis, les pays de l’Union européenne et la Chine). Le transport aérien (international et domestique) ne contribue « que » à un peu plus de 10 % des émissions annuelles. Les émissions provenant des secteurs industriels et énergétiques ont respectivement chuté de 19 % et 7,4 %. Ces trois secteurs – transport routier, industrie et énergie – représentent à eux trois 86 % de la diminution globale des émissions de CO2.
Au total, les chercheurs ont estimé que les émissions sur quatre mois (de janvier à avril) avaient baissé de 1048 millions de tonnes, soit une réduction de 8,6 % par rapport à la même période l’an dernier. Les baisses les plus importantes ont été observées – sans trop de surprise – en Chine (-242 MtCO2 en moyenne sur la période), aux États-Unis (-207 MtCO2) et en Europe (-123 MtCO2). Au plus fort du confinement mondial, les émissions ont chuté en moyenne de 26 % dans chaque pays.
Cette baisse de 17 % des émissions quotidiennes de CO2 est « extrême et probablement jamais vue auparavant », selon les auteurs de l’étude. Pourtant, nous nous retrouvons au niveau d’émissions de 2006 : quatorze années d’augmentation progressive des émissions de gaz à effet de serre dans le monde… De quoi se remettre en question.
Une crise qui pourrait changer les mentalités
Au cours de la dernière décennie, les émissions mondiales de carbone ont augmenté d’environ 1 % par an. Les mesures de confinement vont clairement inverser la tendance cette année, quel que soit le moment où chaque nation lèvera les interdictions. Les chercheurs estiment en effet que si les conditions reviennent « à la normale » à la mi-juin (réouverture de toutes les entreprises, reprise du trafic aérien et automobile à un niveau standard), les émissions mondiales annuelles de carbone pourraient afficher une baisse de 4 %. Mieux : si certaines mesures de confinement et restrictions de voyage persistent jusqu’à la fin de l’année, la baisse pourrait atteindre les 7,5 % !
Selon Robert Jackson, cela correspond au niveau de réduction des émissions de gaz nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques fixés par l’Accord de Paris sur le climat, qui vise à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Mais bien entendu, le confinement des populations ne peut pas être envisagé comme une solution durable pour sauver la planète…
Corinne Le Quéré, auteure principale de l’étude, avertit que « ces baisses extrêmes sont susceptibles d’être temporaires, car elles ne reflètent pas les changements structurels dans les secteurs économiques, du transport ou énergétiques ». Aujourd’hui, pour les dirigeants mondiaux, c’est le moment ou jamais d’intégrer les objectifs du changement climatique dans leurs efforts de reconstruction économique, en investissant dans l’énergie verte, par exemple.
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À la manière dont la crise bancaire mondiale de 2018 avait permis de relancer la production éolienne et solaire, les chercheurs espèrent que la pandémie sera une nouvelle opportunité de repenser nos modes de vie au niveau mondial : « Aujourd’hui, le COVID-19 et les fonds de relance peuvent catalyser la mobilité personnelle et les véhicules électriques, couplés à l’énergie renouvelable », a déclaré Jackson. Il a ajouté que les mesures de confinement pourraient changer les mentalités, notamment la façon dont les gens pensent à se déplacer : « Nous pourrions avoir un ciel bleu tous les jours, sans rester à la maison, en marchant, en faisant du vélo et en conduisant des véhicules électriques propres ».