Des chercheurs découvrent un œuf de tortue fossilisé datant du Crétacé contenant un embryon

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Vue d’artiste d’un nid de Nanhsiungchelyidés. | Masato Mattori
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Du fait de leur extrême fragilité, les œufs de tortues du crétacé sont extrêmement rares dans les archives fossiles. Les œufs intacts, contenant encore un embryon, le sont encore plus. Par chance, un agriculteur de la province chinoise du Henan a par hasard mis au jour l’un de ces précieux vestiges du passé. L’équipe qui s’est rendue sur place a confirmé qu’il s’agissait d’un œuf de tortue, daté d’environ 90 millions d’années.

Le spécimen ressemblait à une roche sphérique noire, légèrement teintée de bleu, de la taille d’une balle de tennis. Les chercheurs ont cru tout d’abord avoir affaire à un œuf de dinosaure, mais ils se sont rapidement aperçus qu’il s’agissait en réalité d’un œuf de tortue géante. De nos jours, les plus gros œufs de tortue ne mesurent que quelques centimètres et leur coquille est extrêmement fine — ce qui permet aux bébés tortues de s’en extraire relativement facilement. Mais cet œuf fossilisé est très différent.

Les paléontologues ont conclu que cet œuf appartenait aux Nanhsiungchelyidés, un groupe aujourd’hui éteint de tortues terrestres qui vivaient aux côtés des dinosaures, il y a 145 à 66 millions d’années, pendant la période du crétacé. « C’est en fait la première fois que des œufs de tortue [fossilisés] ou un nid peuvent vraiment être attribués à une tortue en particulier », souligne Darla Zelenitsky, professeure agrégée de paléontologie à l’Université de Calgary et co-auteure de l’étude.

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Des tortues de la taille d’un être humain

Des milliers d’œufs de dinosaures ont été retrouvés dans la province de Henan au cours des trente dernières années. Cet œuf fossilisé de tortue a été découvert en 2018 ; Darla Zelenitsky et ses collègues canadiens et chinois publient aujourd’hui une analyse détaillée de ce spécimen dans la revue Proceedings of the Royal Society B. La paléontologue pense que l’œuf aurait pu être enseveli lorsqu’un système fluvial voisin a débordé pendant la saison des pluies, le préservant ainsi en tant que fossile.

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L’œuf de tortue fossilisé datant du crétacé, contenant un embryon. © Y. Ke et al.

L’œuf mesure près de six centimètres de diamètre, il est donc plus gros que les œufs de tortues modernes — mis à part ceux des tortues géantes des Galápagos. Il se distingue également par l’épaisseur de sa coquille : 1,8 millimètre ! C’est quatre fois plus épais qu’une coquille d’œuf de tortue des Galápagos et six fois plus épais qu’une coquille d’œuf de poulet. Généralement, les gros œufs ont effectivement tendance à avoir une coquille plus épaisse ; la coquille des œufs d’autruche (qui mesurent près de 15 centimètres de long) mesure en moyenne 2 millimètres. Mais comme le souligne Zelenitsky, cet œuf de tortue est pourtant beaucoup plus petit que celui d’une autruche !

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La paléontologue Darla Zelenitsky tient un modèle imprimé en 3D de l’œuf de tortue fossile, qui avait à peu près la taille et la forme d’une balle de tennis. © Darla Zelenitsky

À partir des dimensions de l’œuf, les scientifiques ont pu déterminer la taille de la carapace de la tortue qui l’avait pondu : celle-ci portait vraisemblablement une carapace de près de 1,6 mètre de long ! Cette mesure n’inclut pas la longueur du cou ou de la tête, donc cette tortue était aussi longue que certains humains sont grands. Grâce à un microscanner, l’équipe a également pu analyser l’embryon qui se trouvait à l’intérieur de l’œuf ; celui-ci était développé à 85% et était incroyablement bien conservé. Les chercheurs ont noté par ailleurs qu’une petite partie de la coquille était brisée, suggérant que l’éclosion avait débuté.

Sa physiologie est étonnamment similaire à celle des tortues modernes. Raul Diaz, un biologiste de l’évolution des reptiles spécialisé dans les embryons qui n’a pas participé à l’étude, a confirmé que la structure osseuse du spécimen est plus ou moins semblable à ce que l’on pourrait observer aujourd’hui. Mais certaines caractéristiques clés ont permis d’identifier le groupe auquel appartenait ce spécimen : « La mâchoire supérieure, par exemple, ressemble beaucoup aux Nanhsiungchelyidés en raison de sa forme légèrement carrée et de son bord arrière dentelé », explique Zelenitsky.

Une coquille particulièrement épaisse

Le fait que les tortues Nanhsiungchelyidés aient vécu et niché sur la terre ferme a sans doute contribué à leur disparition, au même moment que les dinosaures non aviaires il y a 66 millions d’années. Si l’impact de l’astéroïde qui fut à l’origine de l’extinction n’a pas suffi à les faire disparaître, leur régime alimentaire exclusivement végétal a définitivement eu raison de ces animaux, qui auraient eu du mal à trouver de quoi se nourrir après l’impact. À l’inverse, les tortues aquatiques — qui étaient des parents des Nanhsiungchelyidés — ont survécu à cette extinction de masse.

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Les ossements d’une tortue Nanhsiungchelyidé adulte, découverts dans la province d’Alberta, au Canada. À maturité, ces tortues aujourd’hui éteintes pouvaient atteindre près de 1,6 mètre de long. © Musée Royal Tyrrell

Depuis la disparition des Nanhsiungchelyidés, aucun œuf de tortue aussi épais n’a été observé, ce qui suggère que cette caractéristique n’était peut-être pas liée à un changement brusque de l’environnement. Selon les chercheurs, plusieurs autres raisons peuvent expliquer cette épaisseur atypique. Pour commencer, elle peut traduire une adaptation à un climat plus aride, qui aurait existé à l’époque — une sécheresse intense confirmée par l’analyse des restes végétaux trouvés dans la même formation rocheuse que l’œuf. Une coquille épaisse aurait ainsi limité l’évaporation de l’eau au sein de l’œuf. L’épaisseur pouvait également assurer une plus grande solidité des œufs dans le cas où les tortues auraient creusé des nids plus profondément sous terre.

Dans tous les cas, les bébés tortues devaient être dotés de capacités et/ou d’attributs vraiment uniques pour pouvoir s’extirper de cette coquille épaisse et rigide… Par ailleurs « cela renforce également la théorie selon laquelle ces tortues passaient tout leur temps sur terre », a déclaré Jordan Mallon, paléontologue au Musée canadien de la nature à Ottawa, non impliqué dans la recherche.

En paléontologie, les tortues anciennes suscitent généralement beaucoup moins d’intérêt que les dinosaures de la même époque. Pourtant, les tortues demeurent des animaux très mystérieux. « Ils ont une structure corporelle complètement différente de celle de n’importe quel autre animal », souligne Tyler Lyson, conservateur associé de paléontologie des vertébrés au Denver Museum of Nature & Science, qui n’a pas participé à l’étude. Le spécimen récemment décrit a déjà permis d’identifier d’autres couvées d’œufs de Nanhsiungchelyidés ; les spécialistes espèrent à présent dénicher d’autres embryons de tortues anciennes bien conservés, afin d’en apprendre davantage sur ces animaux, en particulier sur leurs pratiques de nidification.

Source : Yuzheng Ke et al., Proceedings of the Royal Society B.

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