Des chercheurs découvrent des organismes mangeurs de virus

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Toute la biosphère repose sur l’établissement de chaînes alimentaires, garantes de l’équilibre au sein des écosystèmes. Manger ou être mangé, c’est une règle qui concerne absolument tous les organismes vivants. Jusqu’à présent, les virus demeuraient sans prédateurs connus. Mais des chercheurs viennent de découvrir des organismes unicellulaires marins, qui semblent capables de dévorer ces agents pathogènes…

Aucune preuve solide d’un organisme ingérant et digérant un virion n’a pu être apportée jusqu’à ce jour. Des chercheurs du Bigelow Laboratory for Ocean Sciences ont identifié pour la première fois deux types d’organismes unicellulaires (ou protistes) marins, qui pourraient bien être les premiers mangeurs de virus officiellement reconnus.

Des preuves d’une origine alimentaire

Ces organismes ont été trouvés dans les eaux du golfe du Maine, au large des côtes de l’Amérique du Nord, et en mer Méditerranée, au large de la Catalogne. Pour les isoler, les scientifiques ont tamisé près de 1700 cellules de plancton collectées dans les eaux de ces deux sites, puis amplifié l’ADN se trouvant à l’intérieur de chacune d’elles afin de créer des bibliothèques génomiques individualisées.

En plus des séquences d’ADN appartenant à l’organisme lui-même, plus de la moitié (51%) des cellules prélevées dans le golfe du Maine et 35% des cellules de l’échantillon méditerranéen contenaient de l’ADN viral (de 50 virus différents ou plus) ; la plupart de ces séquences virales semblaient provenir de bactériophages, des agents pathogènes qui pénètrent dans des cellules bactériennes et s’y répliquent. Parallèlement, des séquences d’ADN bactérien ont été identifiées dans 49% des cellules provenant de la Méditerranée, et dans 19% des cellules prélevées dans le golfe du Maine.

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Proportion d’ADN bactérien et viral détectée dans les cellules de plancton prélevées dans le golfe du Maine (A) et la mer Méditerranée (C). Distribution d’ADN viral et bactérien dans des cellules contenant des gènes d’ARNr 18S identifiables prélevées dans le golfe du Maine (B) et la mer Méditerranée (D). Crédits : J. Brown et al.

Les bactéries sont une source de nourriture courante pour les protozoaires marins ; trouver leur repas ainsi « pré-infecté » n’était donc pas très surprenant pour les chercheurs. Cependant, les organismes appartenant à des groupes connus sous le nom de choanozoaires et picozoaires, tous deux collectés dans les eaux au large de l’Amérique du Nord, se sont révélés un peu inhabituels.

Pour commencer, dans de nombreux cas, il n’y avait aucune trace d’ADN bactérien. Par conséquent, ces deux types de protistes semblent avoir absorbé les virus de manière isolée, et non en ingérant des bactéries infectées. Ensuite, ces deux embranchements de protozoaires, pourtant complètement différents, partageaient des séquences virales presque identiques ; de ce fait, l’hypothèse d’une infection devient peu probable. « Ce sont des organismes aussi éloignés que les arbres et les humains, ou même plus éloignés que cela. Il est donc très improbable que ces virus soient capables d’infecter tous les organismes dans lesquels nous les avons trouvés », explique Julia Brown, chercheuse en bio-informatique du Bigelow Laboratory for Ocean Sciences et co-auteure de l’étude.

Les chercheurs ont donc conclu que les traces de virus au sein de ces organismes unicellulaires n’étaient pas le simple fruit du hasard ou d’une infection : ils les consomment probablement comme nourriture. « Les virus sont riches en phosphore et en azote, et pourraient potentiellement être un bon complément à une alimentation riche en carbone composée de proies cellulaires ou de colloïdes marins », souligne Brown.

Un bouleversement du réseau trophique océanique

Si les choanozoaires sont connus pour consommer des bactéries, le régime alimentaire des picozoaires reste encore mystérieux. Découverts il y a un peu plus de dix ans, les picozoaires disposent d’un appareil digestif trop petit pour capturer des cellules bactériennes. Il pourrait en revanche suffire à l’ingestion de virus. Or, un tel régime alimentaire pourrait avoir des conséquences profondes sur la modélisation de la circulation des nutriments dans cet écosystème.

La logique voudrait que les nutriments contenus dans les bactéries et les protozoaires progressent vers le haut de la chaîne alimentaire à mesure que les petits organismes sont mangés par de plus gros. Un obstacle à ce processus est appelé « shunt viral ». Infectées par des virus, ces cellules peuvent se rompre avant d’être consommées, dispersant leur matière organique dans les profondeurs. Puis, au fond de l’océan, ce shunt s’accélère : les virus se propagent à travers les procaryotes, empêchant divers réseaux trophiques de s’établir dans cette obscurité froide. « L’élimination des virus de l’eau peut réduire le nombre de virus disponibles pour infecter d’autres organismes, tout en transportant le carbone organique dans les particules virales situées plus haut dans la chaîne alimentaire », souligne Brown.

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En conclusion de leur étude, les chercheurs estiment ainsi que cette découverte remet en question tout le réseau trophique océanique, soit l’ensemble des chaînes alimentaires qui s’interconnectent au sein de l’océan. « Si vous combinez la biomasse de protistes et de virus marins, cette biomasse est beaucoup plus grande que toutes les baleines combinées. Les plus gros organismes que nous voyons à l’œil nu dépendent totalement des organismes microscopiques » rappelle Ramunas Stepanauskas, co-auteur de l’étude.

Certains scientifiques estiment cependant qu’il ne faut pas tirer de conclusions hâtives. Selon Christian Griebler, écologiste microbien d’eau douce à l’Université de Vienne, la détection de séquences virales dans les cellules de ces protistes marins, à elle seule, ne peut permettre de comprendre comment les particules virales y sont entrées. Il estime que des travaux supplémentaires seront nécessaires pour montrer comment ces organismes engloutissent les virus, et quelle nutrition ils tirent de ces « collations microscopiques ».

Source : Frontiers in Microbiology, J. Brown et al.

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