Première : des chercheurs plongent des mammifères en état d’hibernation artificielle grâce aux ultrasons

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Vue d'artiste d'un équipage en hibernation dans un vaisseau spatial. | Création originale par Jonathan Paiano (Trust My Science).
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De nombreux animaux ralentissent de façon innée leurs fonctions vitales à des périodes de l’année où les conditions de températures et/ou la disponibilité des ressources leur sont peu favorables. Une équipe de scientifiques rapporte avoir réussi à induire artificiellement, et de manière non invasive, un tel état léthargique chez des rongeurs. Appliquée à l’Homme, cette technique pourrait augmenter les chances de survie des patients souffrant de maladies graves et même potentiellement permettre les voyages spatiaux habités de longue durée.

La léthargie est un état biologique dans lequel certains animaux diminuent considérablement leur taux métabolique, leur température corporelle et d’autres processus pour conserver leur énergie et survivre à des conditions environnementales difficiles. C’est par exemple le cas des animaux qui hibernent pendant l’hiver. Plonger l’être humain dans un tel état biologique, où les fonctions vitales sont ralenties, pourrait potentiellement ouvrir la voie à des voyages spatiaux longue durée. Ainsi, l’induction artificielle de l’hypothermie et de l’hypométabolisme a fait l’objet de nombreuses recherches dès 1960.

Au départ, les scientifiques pensaient que l’hibernation était régulée par des substances sanguines endogènes et les premiers efforts de recherche visaient à identifier des substances capables de ralentir le métabolisme. Aujourd’hui, il apparaît que la léthargie est davantage contrôlée par le système nerveux central (SNC). Il a en effet été rapporté que l’injection intracrânienne directe d’agents pharmaceutiques ciblant les voies du SNC induisait un état d’hypothermie profonde, similaire à l’hibernation naturelle. Les scientifiques ont même identifié plusieurs populations neuronales dans l’aire préoptique de l’hypothalamus qui régulent la léthargie et l’hibernation chez les rongeurs. Restait à trouver le moyen de contrôler ces neurones de manière non invasive.

Les ultrasons pour induire une hypothermie et ralentir le métabolisme

La manipulation optogénétique et chimiogénétique de ces populations de neurones a permis d’obtenir des états biologiques similaires à l’hibernation chez la souris, mais cette approche rend évidemment inenvisageable son application à l’Homme. Pour induire un état léthargique sans intervention chirurgicale ni génie génétique, des chercheurs de l’Université de Washington à St Louis se sont donc tournés vers l’échographie.

« L’échographie est la seule forme d’énergie disponible qui peut pénétrer de manière non invasive dans le crâne et se concentrer sur n’importe quel endroit du cerveau avec une précision millimétrique et sans rayonnement ionisant », soulignent-ils dans Nature Metabolism. De par sa sécurité, sa portabilité et son faible coût, l’échographie apparaît en effet comme une technologie prometteuse pour la neuromodulation. Ils ont donc stimulé à distance, par ultrasons, les neurones de l’aire préoptique de l’hypothalamus chez la souris.

dispositif ultrasons souris
Illustration de la sonde à ultrasons (US) portable. L’IRM cérébrale de la souris montre que les ultrasons ont été ciblés de manière non invasive sur l’aire préoptique de l’hypothalamus. © Y. Yang et al.

Les animaux étaient équipés d’un transducteur à ultrasons portable, branché sur une plaque collée sur leur tête ; ils pouvaient se déplacer librement. Le changement de température corporelle était enregistré par une caméra infrarouge thermique : l’équipe a constaté une nette diminution de la température de la peau dans la zone interscapulaire où réside le tissu adipeux brun (entre les épaules de l’animal), pendant et après la stimulation ultrasonore. Parallèlement, les chercheurs ont observé une augmentation de la température de la queue.

Or, la thermorégulation chez les rongeurs repose sur la thermogenèse du tissu adipeux brun et la vasodilatation de la queue (qui permet de dissiper la chaleur). Ces résultats suggèrent ainsi que la stimulation par ultrasons a bien supprimé la production de chaleur et initié une perte de chaleur pour induire l’hypothermie. En parallèle, les animaux ont largement réduit leurs mouvements.

Les rongeurs ont ensuite été placés dans des cages permettant d’analyser leur métabolisme pendant et après la stimulation ultrasonore. Les chercheurs se sont intéressés en particulier au taux de consommation d’oxygène (VO2) et au quotient respiratoire (VCO2/VO2). Ils ont par ailleurs implanté des capteurs de température sans fil dans la cavité abdominale des souris pour mesurer leur température corporelle centrale.

Un état de torpeur contrôlable, induit avec succès chez la souris et le rat

Ils rapportent que la stimulation par ultrasons a entraîné une diminution marquée de la température corporelle centrale (d’environ 3 °C, pendant environ une heure) et de la consommation d’oxygène. « L’échographie a supprimé la consommation d’oxygène avant la chute de la température corporelle, suggérant une inhibition active du métabolisme plutôt qu’un effet secondaire de l’hypothermie », note l’équipe.

Le quotient respiratoire est passé de près de 0,8 à 0,72, ce qui indique que l’hibernation induite a fait basculer l’utilisation des substrats énergétiques d’un mélange d’hydrates de carbone (sucres) et de graisses vers une dépendance exclusive à l’oxydation des graisses — une caractéristique commune aux animaux hibernants. La fréquence cardiaque des rongeurs a, quant à elle, chuté d’environ 47%.

suivi métabolisme stimulation ultrasons
Suivi de la température corporelle centrale (Tcore), de la consommation d’oxygène (VO2) et du quotient respiratoire (RQ). La stimulation par ultrasons est indiquée par les barres roses. Le groupe de souris « Off-target » correspond à une stimulation à des endroits non ciblés (cortex et hippocampe ventral). © Y. Yang et al.

Ces différents états physiologiques n’ont pas été observés chez les souris stimulées à d’autres endroits (au niveau du cortex et de l’hippocampe ventral), ce qui confirme que l’état de léthargie induit par les ultrasons a bel et bien été provoqué par une stimulation spécifique de l’aire préoptique de l’hypothalamus. Après la stimulation, les souris sont spontanément revenues à un état normal. L’examen immunohistologique de leurs cerveaux après l’expérience n’a révélé aucun dommage ou signe d’inflammation.

Les chercheurs ont ensuite examiné la capacité des ultrasons à contrôler avec précision la profondeur et la durée de l’hypothermie — un aspect indispensable pour une éventuelle application à l’Homme. L’effet des ultrasons sur le cerveau dépend de nombreux paramètres, dont la pression acoustique et la durée du stimulus : à mesure que ceux-ci augmentaient, l’hypothermie et l’hypométabolisme augmentaient également. Grâce à un système de contrôle de rétroaction en boucle fermée, l’équipe est parvenue à contrôler avec précision la température corporelle de l’animal (moins de 34 °C) et la durée de cette hypothermie (24 heures).

L’équipe a également voulu identifier la molécule qui permettait aux neurones de l’aire préoptique de l’hypothalamus d’être activés par ultrasons. Grâce au séquençage génétique, ils ont découvert que les ultrasons activaient le canal ionique TRPM2 de ces neurones ; ce dernier est donc directement impliqué dans l’induction de l’état léthargique.

À savoir que les souris peuvent subir naturellement une sorte d’hibernation de courte durée. Pour valider cette approche, restait donc à tester cette méthode sur un animal qui n’en est pas capable, à savoir le rat. En stimulant par ultrasons la zone préoptique de l’hypothalamus de cet animal, l’équipe a pu constater une diminution de la température de la peau, en particulier dans la région du tissu adipeux brun, ainsi qu’une baisse d’environ 1 °C de la température corporelle centrale — ce qui suggérait un état de torpeur naturelle.

« Si cela s’avère réalisable chez l’homme, nous pourrions envisager que les astronautes portent un dispositif semblable à un casque conçu pour cibler la région de l’hypothalamus afin d’induire un état d’hypothermie et d’hypométabolisme », conclut Hong Chen, professeure agrégée à l’Université de Washington à Saint-Louis, qui a dirigé l’étude. L’équipe prévoit à présent de tester la technique sur des animaux plus gros.

Source : Y. Yang et al., Nature Metabolism

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