Changement climatique : des espèces génétiquement modifiées au secours de la Terre

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La nouvelle de redonner vie au mammouth pour lutter contre le changement climatique a fait grand bruit. Serait-ce la voie à prendre pour sauver la planète ? D’ailleurs, récemment, des chercheurs ont annoncé la création d’arbres génétiquement modifiées pouvant capter plus de carbone. Dans ce contexte, l’un des concepteurs de la méthode d’édition génétique CRISPR propose de créer de nouvelles espèces dans le but unique de combattre les effets de nos activités sur le climat, comme pour remplacer, mais de façon utile à l’Homme, les espèces qui disparaissent tous les jours dans le plus grand des silences…

L’empreinte carbone causée par le développement non durable et son impact environnemental et économique est devenue une préoccupation majeure au cours des dernières décennies. De plus, la question de savoir comment nourrir le monde devient de plus en plus urgente. Les gouvernements cherchent des moyens de produire davantage sur une planète soumise à la menace croissante du changement climatique. Les technologies d’édition génétique, tels les fameux « ciseaux » CRISPR-Cas9, nous permettent de manipuler le vivant comme jamais. Des plantes modifiées pour résister au réchauffement climatique ou des vaches productrices de lait humain, etc. Les manipulations sur le vivant promettent des révolutions anthropologiques, mais aussi un grand saut dans l’inconnu…

L’édition du génome (également appelée édition génomique) consiste à modifier l’ADN d’organismes vivants tels que les plantes, les animaux et les êtres humains. Les chercheurs en agroécologie modifient depuis des années les gènes pour développer des variétés de plantes améliorées, mais les récentes avancées technologiques permettent de modifier le génome d’un organisme plus rapidement, à moindre coût et avec plus de précision. L’un des outils pour y parvenir est la technique CRISPR-Cas9 (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats and associated protein 9). Découverte en 2012, elle agit comme une paire de ciseaux coupant l’ADN à un endroit précis pour permettre des modifications ciblées des traits d’un organisme. Cela peut concerner la couleur et la taille d’un légume ou d’un fruit, mais aussi son contenu nutritionnel ou sa capacité de résistance aux maladies et aux pesticides.

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La manipulation génétique contre le changement climatique

L’un des inventeurs de l’outil d’édition de gènes CRISPR, Jennifer Doudna, pense que nous pourrions utiliser les mêmes techniques pour résoudre certains des plus grands problèmes auxquels l’humanité est actuellement confrontée, notamment le changement climatique. Doudna a reçu le prix Nobel de Chimie 2020, aux côtés de sa collègue Emmanuelle Charpentier, pour la découverte, notamment utilisée dans le domaine médical. Mais Jennifer Doudna pense que CRISPR pourrait être utilisé pour améliorer la capacité des communautés microbiennes dans le sol ou l’eau pour la capture du carbone.

Dans une interview donnée au MIT Technology Review, elle déclare : « Il y a eu beaucoup d’attention sur les utilisations médicales cliniques de CRISPR. Cependant, je soupçonne qu’au cours de la prochaine décennie, lorsque nous pensons à l’impact mondial et à l’impact sur la vie quotidienne, c’est là que les utilisations dans l’agriculture et même pour lutter contre le changement climatique auront potentiellement un impact beaucoup plus large ».

C’est dans ce but qu’une entreprise américaine veut insérer des séquences d’ADN de mammouth laineux dans un éléphant. Cette nouvelle espèce pourrait aider à restaurer des écosystèmes disparus, qui eux-mêmes contribueraient à freiner les effets du changement climatique. L’entreprise américaine espère ainsi redonner vie aux prairies arctiques, qui permettent de capter le dioxyde de carbone et de supprimer le méthane, deux gaz à effet de serre.

Le domaine agricole en première ligne, entre nourrir et stocker le carbone

L’idée d’utiliser CRISPR pour améliorer génétiquement la capacité des plantes à aspirer le dioxyde de carbone existe depuis au moins deux ans. Par exemple, l’initiative Harnessing Plants du Salk Institute for Biological Studies tente d’amplifier les systèmes racinaires des plantes et la production de subérine, leur enveloppe protectrice responsable du stockage du dioxyde de carbone. En effet, les plantes captent naturellement le carbone de leur environnement et le stockent sous terre dans leurs systèmes racinaires — plus le système racinaire est profond et robuste, plus le stockage est stable. Ainsi, en modifiant le gène EXOCYST70A3, les chercheurs ont découvert qu’ils pouvaient inciter le système racinaire de la plante de cresson à pousser plus profondément. Selon les chercheurs, toutes les plantes contiennent ce même gène ou un gène similaire.

En plus de permettre aux plantes de stocker davantage de dioxyde de carbone, CRISPR pourrait également leur permettre de devenir plus adaptables à un avenir perturbé par le climat. Par exemple, des scientifiques de l’Université de Californie à Berkeley tentent de modifier la génétique du riz, une source majeure de calories pour les humains du monde entier, afin qu’il soit plus résistant à la sécheresse. La recherche est affiliée à l’Institut de génomique innovante, fondé par Doudna, mais n’en est encore qu’à ses débuts.

D’autres voies sont étudiées pour rendre plus résistants les animaux d’élevage, à l’image des vaches à viande. C’est ainsi que l’Institut des sciences de l’alimentation et de l’agriculture de l’Université de Floride a proposé un plan pour rendre les vaches plus résistantes à l’augmentation de la température causée par le réchauffement climatique. La proposition a reçu une subvention fédérale de plus de 3 millions de dollars américains. Le projet des scientifiques a pour objectif de préserver les vaches à viande de qualité en dépit du réchauffement. La première étape consiste à mener des recherches sur les vaches qui résistent déjà très bien à la chaleur. En étudiant la vache Brangus, les chercheurs espèrent identifier la façon dont elle régule la température de son corps, ce qui lui permet de prospérer dans des climats très chauds. Une fois la caractéristique identifiée, les scientifiques pourraient utiliser un outil d’édition de gènes comme CRISPR pour conférer cette capacité à d’autres races.

Après les OGM, les GDO inquiètent

Les « GDO » (pour Gene Drive Organisms) regroupent tous les organismes issus du forçage génétique, effectué notamment avec CRISPR. Ces GDO peuvent transmettre, sans autre intervention humaine, des gènes modifiés à tous leurs descendants. Le principal débat porte sur les avantages et les risques des technologies d’édition du génome, tant pour la santé humaine que pour l’environnement.

Les partisans de l’édition du génome, issus en grande partie de l’industrie semencière, affirment que les technologies en question ne font qu’accélérer ce qui se produit déjà dans la nature ou par le biais de méthodes de sélection traditionnelles, et que les risques sont donc minimes. Selon eux, les outils tels que CRISPR-Cas9 sont plus précis que les méthodes précédentes du génie génétique, et il y a donc moins de risque qu’un gène utile soit détruit au cours du processus.

Mais, en 2020, des associations, des scientifiques et des responsables politiques, inquiets de potentiels effets dévastateurs, réclamaient un moratoire international. Virginie Courtier-Orgogozo, directrice de recherche au CNRS et responsable de l’équipe Évolution des drosophiles à l’Institut Jacques-Monod, explique : « La technique n’est pas encore totalement au point. Il y a encore des phénomènes de résistance et l’on peut imaginer que les populations naturelles n’auront pas envie de se croiser avec les insectes modifiés ».

De plus, en cas de dissémination dans la nature, elle souligne : « Les gènes pourraient muter et on ne peut pas savoir quelles seront les conséquences sur les écosystèmes ». Certaines espèces pourraient être impactées par la disparition d’une autre — des prédateurs se retrouveraient sans proie, par exemple. Enfin, si les GDO devaient ne pas être efficaces ou dégraderaient trop l’écosystème, d’une manière ou d’une autre, il serait impossible de revenir au stade initial. On se retrouverait donc dans une boucle sans fin, où les scientifiques devraient créer un nouveau GDO pour « désactiver » le premier. Par ailleurs, Virginie Courtier-Orgogozo a montré dans une étude qu’il existe un risque, faible mais réel, qu’un gène modifié au sein d’une espèce, puisse se transmettre à une autre.

Enfin, notons que le 24 janvier 2022, le ministère chinois de l’Agriculture a publié des directives préliminaires approuvant les cultures génétiquement modifiées. Les chercheurs chinois sont enthousiasmés par ces nouvelles cultures qui, selon eux, ouvrent la voie à l’utilisation des plantes dans l’agriculture et devraient stimuler la recherche de variétés plus savoureuses, résistantes aux ravageurs et mieux adaptées à un monde qui se réchauffe.

Malgré les réticences de certains chercheurs, la création de nouvelles espèces via la technologie CRISPR est bien en marche. CRISPR se révèle déjà extrêmement polyvalent, et bien que les scientifiques soient surtout enthousiasmés par ses applications cliniques, ses effets potentiellement révolutionnaires sur la chaîne alimentaire mondiale et nos efforts pour faire face à une crise climatique croissante ne doivent pas être sous-estimés.

Source : MIT Technology Review

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