Non, drogues et alcool ne rendent pas plus créatif, selon une étude

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Selon la croyance populaire, de nombreux artistes, auteurs et musiciens s’avèrent plus productifs, plus créatifs, lorsqu’ils sont sous l’emprise de drogues et/ou d’alcool. Une récente analyse, passant au crible plus de 330 études sur le sujet, montre qu’il s’agit bel et bien d’un mythe : ces substances addictives n’ont en réalité aucun effet sur le potentiel de créativité des individus.

Le petit-déjeuner idéal du journaliste et écrivain Hunter S Thompson se composait d’œufs au bacon, de café et de fruits, le tout accompagné d’alcool et de cocaïne. Van Gogh et Toulouse-Lautrec étaient connus pour consommer beaucoup d’absinthe. De nombreux artistes auraient, comme eux, (eu) recours à des substances illicites pour trouver dans leurs errances psychédéliques une nouvelle forme d’inspiration. Est-ce vraiment le cas ? Se plonger délibérément dans un état second influe-t-il réellement sur la créativité ? Trois chercheurs se sont penchés sur la question.

Leur méta-analyse fait la synthèse de 332 études portant sur l’ampleur de l’effet de diverses méthodes d’amélioration de la créativité, y compris la consommation de drogues et d’alcool. Dans le cas de ces substances, leur verdict est sans appel : « Cela n’apporte rien à la créativité. Les gens n’en tirent aucun bénéfice – cela n’a aucun effet », a déclaré au Guardian le Dr Paul Hanel, du département de psychologie de l’université d’Essex. Le spécialiste souligne par ailleurs que les médias ont tendance à mettre en lumière les quelques cas où certaines personnes ont produit des œuvres remarquables sous l’emprise de drogues, mais passent sous silence les nombreux cas où ces mêmes personnes se sont simplement évanouies, sans rien créer du tout.

Mieux vaut s’entraîner et méditer pour doper sa créativité

Les chercheurs ont regroupé les études en douze méthodes d’amélioration de la créativité : stimulation sensorielle (musique, réalité virtuelle, etc.), stimulation cérébrale directe (stimulation du nerf vague, neurofeedback, etc.), activité physique, méditation, exposition à une autre culture (via un programme d’échange Erasmus par exemple), etc. Les résultats montrent que toutes les méthodes, à l’exception de la consommation de drogues, améliorent la créativité.

« Les idées générées sous l’influence de drogues semblent souvent décousues ou mal adaptées à des solutions ultérieures », explique Jennifer Haase, chercheuse au département de science informatique à l’Université Humboldt de Berlin et co-auteure de l’étude.

Le Dr Hanel reconnaît que dans certains contextes spécifiques, les drogues peuvent toutefois favoriser la créativité : il évoque notamment les hallucinogènes, des drogues pouvant générer des visions « originales », qui peuvent à leur tour inspirer un dessin ou une peinture. Mais compte tenu des nombreux effets secondaires associés à la consommation de drogues, il n’est pas scientifiquement fondé d’en recommander la consommation pour améliorer sa créativité, souligne l’équipe.

En revanche, la méta-analyse montre que les formations, la méditation et l’exposition à la culture apparaissent comme les méthodes les plus efficaces pour améliorer sa créativité. Concernant les formations, les chercheurs ont remarqué que la méthode mise en œuvre avait aussi son importance : les méthodes figuratives se sont avérées plus efficaces pour améliorer la créativité ; de même, les méthodes axées sur l’amélioration de la pensée convergente (la capacité d’identifier la meilleure solution à un problème) étaient plus efficaces que celles axées sur l’amélioration de la pensée divergente (la capacité à générer un large éventail d’idées ou de solutions à un problème).

Il apparaît néanmoins que l’approche, aussi efficace qu’elle soit, n’est pas infaillible. « L’ampleur de l’effet varie considérablement d’une étude à l’autre et pour de nombreuses analyses de sous-groupes, ce qui suggère que les chercheurs peuvent raisonnablement s’attendre à trouver des effets inversés de temps à autre », notent les chercheurs dans Psychology of Aesthetics Creativity and the Arts.

Une vision romantique de l’artiste toxicomane qui appartient au passé

Évidemment, de nombreux artistes ne sont pas d’accord avec les conclusions des scientifiques, rapporte The Guardian. Harry Styles affirme que son dernier album a été réalisé en grande partie sous l’emprise de champignons hallucinogènes, qui l’auraient aidé « à s’amuser et à être créatif », selon ses propos.

L’auteure-compositrice-interprète canadienne Lights tient quant à elle à nuancer les choses, en soulignant que « toutes les drogues ne sont pas à mettre dans le même sac ». Elle a déclaré que prendre de la psilocybine par petites doses pendant plusieurs mois l’aurait aidée à être dans un état d’esprit plus positif lors de ses activités créatrices. Mais elle pense que le rôle des drogues dans la création artistique est souvent « romancé », alors que leur usage abusif reflète souvent des problèmes de santé mentale.

Rona Cran, professeure agrégée de littérature américaine à l’Université de Birmingham, évoque elle aussi cette « vision romantique » de l’artiste perturbé et toxicomane ; cette vision découle selon elle d’une « réaction à la culture socialement conservatrice d’après-guerre ». Cette vision est portée par le fait, comme évoqué plus haut, que les artistes sont davantage connus pour les œuvres qu’ils ont créées sous influence que pour les terribles conséquences de leur comportement.

Rona Cran rappelle en effet que l’écrivain et héroïnomane William Burroughs a tué sa femme d’une balle en pleine tête, alors qu’il essayait — en étant complètement ivre — de reproduire la performance de Guillaume Tell. Le poète Frank O’Hara n’a pas pu survivre à ses blessures suite à un accident de voiture parce que son foie était hypertrophié. Ernest Hemingway, malade et dépressif, s’est suicidé à l’âge de 61 ans. Quant à Jack Kerouac, il est décédé à 47 ans d’une cirrhose alcoolique massive.

Bryan Saunders a lui aussi appris à ses dépens que la consommation de drogues laisse des traces indélébiles. Cet artiste américain, connu pour ses performances tragiques, a réalisé en 2000 une série d’autoportraits, chacun créé sous l’influence d’une drogue ou d’un médicament différent. Il a déclaré à Insider que l’expérience l’avait laissé léthargique et avec « de légères lésions cérébrales qui n’étaient pas irréparables », mais qu’elle avait entraîné « un retard psychomoteur et de la confusion ». « La principale chose que j’ai apprise, c’est qu’il ne faut pas prendre trop de drogues différentes en même temps, trop de jours d’affilée », a-t-il déclaré.

Source : J. Haase et al., Psychology of Aesthetics Creativity and the Arts

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