Émergence d’un « gène égoïste X » dans l’évolution humaine, impactant notre avenir

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Les chromosomes X des mammifères présentent une évolution extraordinaire par rapport aux autres chromosomes et un effet disproportionné sur la fertilité mâle et les incompatibilités génétiques entre espèces. Récemment, des chercheurs danois ont démontré que ce chromosome X peut contenir des régions « égoïstes » et biaiser le « sex ratio » de l’espèce en tuant les gamètes porteurs du chromosome Y, menant potentiellement à l’extinction de la population.

Chez les mammifères, le chromosome X est présent en deux exemplaires chez les femelles, mais en un seul exemplaire chez les mâles. Chez les hommes, le chromosome X s’apparie plutôt avec un chromosome Y. Contrairement aux autres chromosomes, les chromosomes X et Y ne se recombinent qu’aux extrémités des chromosomes, ce qui permet au chromosome X d’évoluer indépendamment du chromosome Y.

Étant donné que la plupart des chromosomes X et Y ne se recombinent pas, le sort des gènes résidant sur les chromosomes X ou Y est complètement couplé à ces derniers. Cela signifie qu’un gène lié à l’X peut affecter sa propre transmission à la génération suivante s’il peut augmenter la proportion de spermatozoïdes porteurs d’un chromosome X plutôt que d’un chromosome Y. Les gènes peuvent déclencher un tel déséquilibre soit en influençant la symétrie de la méiose, soit en tuant les gamètes porteurs de l’autre chromosome sexuel.

Mikkel Heide Schierup du Centre de Bio-informatique de l’Université d’Aarhus a déjà démontré que nos chromosomes de genre jouent un rôle très important en empêchant deux espèces différentes d’avoir une progéniture. Cela signifie que lorsque deux populations initialement de la même espèce deviennent deux espèces différentes au fil de l’évolution et qu’elles produisent une progéniture, les mâles avec deux chromosomes de genre différents, X et Y, deviennent presque toujours stériles.

Récemment, avec son équipe, ils ont révélé que le chromosome X dans les populations humaines non africaines montre moins de diversité et moins d’influence néandertalienne que prévu dans le modèle, découlant d’un mécanisme général de sélection positive unique au chromosome X. En d’autres termes, ils viennent de démontrer l’existence d’un gène égoïste au sein des chromosomes sexuels, pouvant de fait modifier le sex-ratio et ouvrant de nouvelles voies de compréhension quant à notre évolution. Leurs recherches sont publiées dans la revue bioRvix.

Évolution de l’Homme moderne égoïste

Mikkel Heide Schierup explique sur le site de l’Université : « Nous avons depuis longtemps l’hypothèse que les chromosomes X et Y mènent une bataille évolutive pour pénétrer dans autant de spermatozoïdes vivants que possible. Ce conflit intragénomique s’appelle la ‘pulsion méiotique’ et est l’une des forces évolutives les plus puissantes que nous connaissions ».

Il faut savoir que les schémas d’introgression humaine archaïque (flux de gènes d’une espèce vers une autre) sur les chromosomes X et Y sont différents de ceux observés sur les autosomes (chromosomes non sexuels). Il y a plus de 250 000 ans, les humains modernes se sont hybridés avec les néandertaliens, remplaçant leur chromosome Y. À cette occasion, les néandertaliens ont également reçu au moins autant de « mélange humain moderne » sur leur chromosome X que sur les autosomes.

Lors de la réunion la plus récente au Moyen-Orient il y a environ 55 000 ans, la direction du mélange était inversée et qualitativement différente. Ici, le chromosome Y de Néandertal ne s’est pas introgressé dans les humains modernes hors d’Afrique, et le chromosome X de Néandertal s’est introgressé dans une bien moindre mesure que ses autosomes. En d’autres termes, un nouveau chromosome X semble avoir été introduit chez l’homme moderne.

Aujourd’hui, plusieurs sections du chromosome X sont dépourvues d’introgression néandertalienne. Il y a probablement eu une sélection exceptionnellement forte pour certaines parties de ce chromosome, car ces sections chevauchent les régions du chromosome X ciblées à plusieurs reprises par la sélection naturelle chez les grands singes. Ceci expliquerait alors le fait que la plupart des personnes d’ascendance africaine moins récente ont hérité de ces régions. Le chromosome X a « créé un super gène », c’est-à-dire un groupe de gènes égoïstes sur le même chromosome qui sont hérités ensemble et empêchant toute introgression, vecteur de diversité génétique.

C’est l’idée qui a initialement donné naissance à la notion de gènes égoïstes. La sélection naturelle, sous forme de pulsion méiotique, favorisera donc activement les gènes égoïstes, même lorsque ces gènes faussent défavorablement le sex-ratio de la progéniture ou nuisent à la fertilité masculine. La pulsion méiotique des chromosomes sexuels a été observée chez plusieurs espèces, et des gènes égoïstes ont été identifiés à la fois chez les fruits et les souris, mais jusqu’à présent pas chez l’Homme.

La pulsion méiotique dicte l’évolution humaine avec l’émergence de gène égoïste

Les auteurs posent donc l’hypothèse que la pulsion méiotique a été une force puissante dans l’évolution des humains et des autres primates. Pour la mettre en évidence, ils ont analysé les chromosomes X d’humains mâles dans une base de données de génomes du monde entier.

Lorsqu’une variante de gène fortement sélectionnée déplace toutes les autres variantes dans une population, elle déplace également la variation génétique dans une région génomique plus large autour du gène, formant un super gène. C’est ce qu’on appelle un balayage sélectif. Les balayages récents peuvent être identifiés grâce à l’analyse génétique des populations de grands ensembles de génomes complets.

Comme mentionné précédemment, un conflit intra-génomique entre les chromosomes X et Y alimente une course aux armements entre les deux chromosomes sexuels pour la transmission à la génération suivante. Cela produit des rafales successives de sélection détectables sous forme de balayages sur le chromosome X.

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Définition d’un haplotype commun étendu (ECH), à haute fréquence. © K. M. Terkelsen et al., 2022

Leurs analyses suggèrent que dix-neuf régions du chromosome X, totalisant 11% de sa longueur, portent de longs haplotypes (groupes d’allèles de plusieurs gènes sur un chromosome) à haute fréquence (ECH) qui sont partagés par toutes les populations non africaines. La fréquence de ces haplotypes a augmenté après l’événement de sortie d’Afrique et les événements de mélange archaïque qui ont suivi.

Ces changements de fréquence spectaculaires semblent avoir été entièrement ou presque entièrement achevés à l’époque de l’Ust’-Ishim, un humain moderne qui vivait dans l’actuelle Sibérie il y a environ 45 000 ans. La propagation rapide de ces régions pourrait être liée à un manque de mécanismes de défense sur les chromosomes Y du peuple Ust’‑Ishim, lorsqu’une population de l’Asie du Sud-est s’est reproduite avec.

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Fréquence des ECH le long du chromosome X : proportion d’haplotypes ECH non africains dans chaque fenêtre de 100 kb sur le chromosome X complet (bleu). Dans 14 cas, plus de 50% des haplotypes individuels sont ECH. Les bandes bleues verticales en bas montrent chacune les régions centrales autour de chaque pic où la proportion d’ECH est d’au moins 90% de sa valeur maximale. © K. M. Terkelsen et al., 2022

Si cette hypothèse est vraie, les régions balayées représentent les seuls haplotypes restants des premières populations non africaines non mélangées avec des néandertaliens. Cette hypothèse fournit des prédictions vérifiables qui guideront les travaux futurs.

Les auteurs concluent : « Quelle que soit l’explication, nous pensons qu’elle doit être unique aux chromosomes X, peut-être sous la forme d’autres conséquences sur la fertilité ou la fidélité de la méiose. Nous suggérons donc que les études futures pourraient se concentrer sur l’étude de toutes les conséquences sur la fertilité masculine des ECH ».

Source : biorRxiv

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