Une étude précise à quel point chaque individu reste lui-même tout au long de sa vie

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On naît, on grandit, puis les aléas de la vie nous façonnent, nous transforment. Aussi pourrait-on se demander si malgré toutes ces épreuves, nous restons la même personne que celle que nous étions au début de notre vie ? Une équipe de scientifiques du Centre de recherche sur l’évolution et le comportement humain, à Madrid, s’est penchée sur la question : leur étude montre qu’une partie de chaque individu reste immuable tout au long de la vie, quels que soient les événements vécus.

La reconnaissance de l’identité de soi a été largement explorée par le passé. En revanche, peu d’études se sont intéressées à la manière dont cette identité change en fonction du temps. Lorsque nous nous exprimons à la première personne, nous faisons inconsciemment référence à toutes les expériences qui ont ponctué le fil de notre vie, un fil qui part de l’enfance et qui nous lie à l’instant présent et à venir. Chacun vit des expériences plus ou moins heureuses, de l’amour et des peines de cœur, des réjouissances et des déceptions, parfois des maladies, etc. En résumé, la vie est remplie d’incidents de parcours, comme des bonnes surprises, qui pourraient réellement influencer notre identité.

Des chercheurs ont donc étudié l’influence de la perspective temporelle sur l’identité de soi, en examinant les potentiels évoqués (ou ERP, pour Event-Related Potential) — les modifications du potentiel électrique produites par le système nerveux en réponse à une stimulation externe ou à une activité cognitive — par un stimulus visuel (la reconnaissance de visages).

Image familière ou lien profond ?

Dans le cadre de cette expérience, les participants devaient effectuer une tâche de reconnaissance de visage, en deux phases : pour commencer, ils devaient reconnaître l’identité de l’individu présenté (le participant lui-même, un ami proche, ou un inconnu), puis dans un second temps, il s’agissait de reconnaître l’étape de la vie correspondante (âge adulte, adolescence et enfance). L’équipe a ensuite analysé les scintigraphies cérébrales des participants. « En conjonction avec la littérature précédente, nos résultats indiquent qu’il existe un composant qui reste stable, tandis qu’une autre partie est plus susceptible de changer avec le temps », affirme Miguel Rubianes, neuroscientifique de l’Université Complutense de Madrid.

Rubianes et son équipe se sont notamment appuyés sur des recherches antérieures, suggérant que l’auto-identification visuelle de soi pouvait fonctionner comme un indicateur de la conscience de soi. Grâce à ce que l’on désigne par l’effet d’autoréférence, les informations relatives à soi sont mieux mémorisées que les informations relatives à autrui. En d’autres termes, le travail de rappel et de reconnaissance d’informations est plus efficace lorsque ces informations nous sont personnellement liées. Plusieurs expérimentations ont pu apporter des preuves du phénomène, mais les mécanismes sous-jacents restaient à démêler…

Une étude parue en 2012 dans la revue Neuropsychologia, ainsi qu’une étude plus récente, publiée en 2019 dans Biological Psychology ont avancé le fait que différents processus neurologiques permettaient de distinguer notre propre visage des autres identités. Diverses régions du cerveau seraient ainsi sollicitées pour reconnaître et attribuer une signification à des ensembles de caractéristiques familières. Ces résultats suggéraient que la reconnaissance de soi est en fait facilitée par un besoin réduit de ressources attentionnelles.

L’objectif de Rubianes et ses collaborateurs était donc d’identifier précisément les processus neurologiques impliqués dans la reconnaissance faciale, afin de déterminer si notre cerveau considère notre propre visage comme une simple image familière ou si nous avons en réalité établi un vrai lien avec le moi qu’il représente, passé et présent.

Une vingtaine d’étudiants ont été recrutés pour participer à l’expérience. Un lot de 27 images a été présenté à chacun ; ces images représentaient leur visage, celui d’un proche ou d’un inconnu, à différentes périodes de la vie. Chaque image apparaissait une seule seconde à l’écran ; pendant ce court laps de temps, les participants devaient indiquer s’il s’agissait d’eux-mêmes, d’un ami ou d’un inconnu. Lors de la deuxième salve d’images, ils devaient cette fois identifier l’âge de la personne apparaissant sur l’image (enfance, adolescence ou âge adulte). Les participants étant équipés de plusieurs dizaines d’électrodes, les chercheurs pouvaient examiner et enregistrer l’activité cérébrale pendant toute l’expérience. Ils ont notamment étudié les ondes N170, N250 et P3, connues pour jouer un rôle dans la perception des visages.

Une image de soi actualisée tout au long de la vie

Les résultats ont notamment montré que l’onde N170 était sensible aux changements dans la configuration globale du visage, lors de la comparaison de l’âge adulte avec d’autres étapes de la vie. L’onde N250 a été le premier marqueur neuronal à se distinguer des autres identités ; cela peut être lié à un déploiement préférentiel de ressources attentionnelles pour reconnaître son propre visage. Mais c’est surtout le complexe positif tardif (LPC) qui a intéressé les chercheurs : la plus grande amplitude du LPC par rapport à son propre visage était probablement associée à une signification personnelle supplémentaire. Le LPC a donc pu distinguer la continuité du soi dans le temps. De même, cette composante pourrait également différencier, à chaque étape de la vie, l’identité de soi des autres identités.

La carte cérébrale ainsi établie et les réponses des participants suggèrent fortement que l’impression du soi — autrement dit le sens du « je » — est actualisée tout au long de la vie, ce qui lui donne une certaine stabilité. Il s’avère que notre cerveau traite un portrait de nous enfant comme étant nous-mêmes, et pas seulement comme l’image familière d’un enfant appartenant à nos souvenirs. Il existe ainsi un fondement neurologique pour le sens de soi, modifié par le temps et l’expérience, permettant cette autocontinuité. Une autre étude suggère par ailleurs qu’il existe également des influences culturelles sur la façon dont nous percevons l’identité.

Les descriptions neurologiques des bits cérébraux responsables de la distinction entre le soi et l’étranger peuvent aider à mieux comprendre pourquoi certaines personnes, telles que celles souffrant de trouble de la personnalité — un symptôme de la schizophrénie — ne partagent pas cette impression. La schizophrénie est souvent le résultat de perturbations dans le fil de reconnaissance de soi, ce qui expose les individus qui en souffrent à un risque plus élevé d’automutilation.

Il est important de noter que cette étude a été menée sur un très petit échantillon et davantage de recherches devront être menées sur le sujet. Néanmoins, Rubianes estime que ces résultats constituent une nouvelle piste dans la prise en charge de pathologies psychologiques : « Le rôle de l’identité personnelle promet d’être un concept beaucoup plus important qu’on ne le pensait auparavant et pourrait jouer un rôle fondamental dans les processus d’évaluation et d’intervention psychologiques ».

Source : Psychophysiology, M. Rubianes et al.

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