Vos gènes pourraient conserver une trace du vécu de vos grands-parents

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Une étude menée par des chercheurs de l’UC Santa Cruz montre que les modifications épigénétiques peuvent potentiellement être transmises non seulement des parents à leurs enfants, mais aussi à la génération suivante. Cet « héritage épigénétique transgénérationnel » pourrait expliquer comment la santé d’un individu peut être influencée par les expériences vécues par ses parents et ses grands-parents.

Les modifications épigénétiques n’impliquent pas de modification au niveau de l’ADN lui-même, mais changent la façon dont les gènes sont exprimés, ce qui affecte directement la santé et le développement de l’individu. C’est grâce à l’épigénétique que les cellules de notre corps, qui ont pourtant toutes le même ADN, sont spécialisées dans l’une ou l’autre fonction (neurones, cellules cardiaques, cellules musculaires, etc.). L’épigénétique détermine quels gènes, parmi les quelque 25 000 qui composent notre ADN, doivent être exprimés ou non. Le processus fait appel à des mécanismes particulièrement complexes et pas complètement élucidés.

Ces modifications, transmissibles lors des divisions cellulaires, sont induites par l’environnement et certains comportements ; certaines sont durables (notamment celles qui dictent à la cellule sa fonction), d’autres sont transitoires (comme celles qui régulent les gènes liés au rythme circadien). On sait également que des anomalies épigénétiques peuvent contribuer au développement et à la progression de certaines maladies, en particulier de cancers. Ces changements dans l’expression des gènes peuvent être hérités, mais la manière dont les épigénomes parentaux influencent le développement et la santé de la progéniture est encore floue.

Des gènes anormalement régulés à la hausse

Des chercheurs ont tenté d’en apprendre davantage sur ces mécanismes. Pour cela, l’équipe s’est focalisée sur une modification épigénétique bien connue d’une protéine histone, impliquée dans la façon dont l’ADN est empaqueté dans les chromosomes. Cette marque épigénétique largement étudiée, appelée H3K27me3, est connue pour désactiver ou réprimer les gènes concernés et se retrouve chez tous les animaux multicellulaires, y compris chez le ver Caenorhabditis elegans utilisé dans cette étude.

Les histones sont les principales protéines impliquées dans l’encapsidation de l’ADN dans les chromosomes. La marque épigénétique H3K27me3 fait référence à la triméthylation d’un acide aminé particulier, la lysine, dans l’histone H3. La présence de ces groupes moléculaires empêche en quelque sorte une lecture correcte du génome ; elle entraîne un empaquetage particulièrement dense de l’ADN et les gènes de cette région sont dès lors moins accessibles.

Les scientifiques ont longtemps pensé que les modifications épigénétiques étaient effacées et « réinitialisées » après la fécondation — les cellules sexuelles étant reprogrammées pour assurer un développement normal. Mais des études sur des animaux ont suggéré que certains changements épigénétiques pouvaient échapper à cette reprogrammation et être transférés d’une génération à l’autre.

Pour en avoir le cœur net, l’équipe a retiré cette marque des chromosomes du sperme de vers C. elegans, qui ont ensuite été utilisés pour féconder des ovules avec des chromosomes entièrement marqués. Les chercheurs ont ensuite examiné la progéniture résultante et ont observé des schémas d’expression génétique anormaux : en l’absence de la marque épigénétique répressive, des gènes sur les chromosomes paternels (hérités du sperme) étaient activés ou « régulés à la hausse ». Cela signifie que les tissus ont activé des gènes qu’ils n’auraient normalement pas exprimés. Par exemple, les tissus de la lignée germinale ont activé des gènes normalement exprimés dans les neurones.

Une relation de cause à effet clairement mise en évidence

« Dans tous les tissus que nous avons analysés, les gènes étaient exprimés de manière aberrante, mais des gènes différents étaient activés dans des tissus différents, ce qui montre que le contexte tissulaire détermine quels gènes sont régulés », a déclaré Susan Strome, professeure émérite de biologie moléculaire, cellulaire et du développement à l’Université de Santa Cruz et co-auteure de l’étude.

L’analyse des chromosomes du tissu germinal de la progéniture a révélé que les gènes régulés étaient toujours dépourvus de la marque d’histone répressive, alors que la marque avait été restaurée sur les gènes qui n’étaient pas régulés. Ce schéma a été transmis à la génération suivante. « Nous avons constaté que le sous-ensemble d’allèles de sperme qui étaient régulés à la hausse dans les lignées germinales de la descendance conservaient l’état H3K27me3(-) et étaient transmis à la descendance suivante sous forme d’épiallèles H3K27me3(-) régulés à la hausse, ce qui démontre que le H3K27me3 peut servir de support épigénétique transgénérationnel chez C. elegans », résument les chercheurs dans la revue PNAS.

Les chercheurs ont observé une gamme d’effets sur le développement de la progéniture suivante ; ils ont notamment remarqué que certains vers étaient complètement stériles. En résumé, l’équipe a montré qu’une même modification épigénétique chez le ver peut être transmise à travers trois générations via le sperme, influençant directement l’activité des gènes et le développement des « petits-enfants ». Elle pourrait même être transmise à de nombreuses générations.

Les preuves humaines du phénomène restent rares, mais pour Strome et son équipe, les résultats obtenus chez le ver sont très révélateurs et établissent une relation de cause à effet claire entre les marques épigénétiques transmises par les spermatozoïdes et l’expression des gènes chez la progéniture et la petite progéniture. « Il semble s’agir d’une caractéristique conservée de l’expression et du développement des gènes chez les animaux, et pas seulement d’un phénomène bizarre propre aux vers », a précisé Strome.

Ainsi, le mécanisme observé chez C. elegans pourrait potentiellement s’étendre aux humains. De nombreuses études se sont déjà penchées sur les liens entre la santé maternelle et celle de l’enfant à naître, ou encore sur la façon dont certains événements de la petite enfance peuvent entraîner des modifications chimiques dans l’ADN d’un individu. Mais quasiment aucune étude n’a pour le moment établi de lien direct entre la santé des parents, les modifications épigénétiques des cellules sexuelles et l’état de la progéniture.

Des études comme celle-ci peuvent aider à démêler l’influence des marqueurs épigénétiques des influences génétiques, culturelles et comportementales. Mais chez l’Homme, ce type de recherches se heurte à des obstacles éthiques.

Source : K. R. Kaneshiro et al., PNAS

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