Voici comment les infections infantiles nécessitant des antibiotiques peuvent augmenter les risques de maladies mentales par la suite

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| Stéphanie Shuller/SPL
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Selon une étude récente publiée par JAMA Psychiatry, l’hospitalisation liée à une infection pourrait accroître les risques de développer des maladies mentales par la suite. L’étude a été réalisée à partir d’analyses de données recueillies auprès de jeunes danois âgés de moins de 17 ans.

Les auteurs de l’étude ont également constaté que l’utilisation des antibiotiques était associée à un risque encore plus élevé de développer des maladies mentales. À l’heure actuelle, les scientifiques pensent que cette connexion est en partie due au fait que les antibiotiques agissent sur les bactéries du microbiome intestinal. L’étude, qui soutient les théories émergentes sur l’interaction fonctionnelle entre l’infection, le microbiome intestinal et les maladies mentales, fait partie des 50 publications scientifiques réalisées à partir des données du Danish Psychiatric Central Research Register depuis la seconde moitié de 2018.

Ce registre suit pour la toute première fois les données cliniques de plus d’un million de personnes : et dans ce cas précis, les données à partir de 1995 concernant des danois traités pour maladie mentale au cours de leurs 17 premières années de vie, soit à l’hôpital, soit en ambulatoire. À savoir qu’absolument chaque mesure de l’état de santé général et mentale, y compris les ordonnances et les antécédents familiaux, a été documentée pour chacun de ces individus tandis qu’ils vieillissaient, constituant à présent une base de données solide.

Au vu de la taille de ce registre, ce dernier offre aux chercheurs internationaux une occasion sans précédent de répondre à des questions ciblées sur les liens entre le cycle vital et l’état de santé mentale des individus.

Un lien avec les antibiotiques, l’autisme et la dépression

Il a été suggéré par des scientifiques que le microbiome intestinal, soit la population bactérienne extrêmement diversifiée que nous hébergeons dans nos intestins, envoie des signaux au cerveau, modulant de ce fait notre humeur, et éventuellement, notre susceptibilité au développement des maladies mentales.

De nombreuses études (menées notamment sur des animaux) ont déjà documenté l’association entre les bactéries et la dépressionPar exemple, un groupe de recherche a démontré que les souris traitées aux antibiotiques présentaient des altérations de la diversité du microbiome intestinal et étaient moins performantes lors des tests de mémoire.

De plus, les animaux appauvris en bactéries intestinales à cause de l’administration d’antibiotiques à large spectre, ont présenté des modifications dans divers domaines, notamment le spectre autistique, les troubles neurodégénératifs tels que la maladie d’Alzheimer et la dépression. Dans le cadre d’une autre étude remarquable, des échantillons de selles de patients humains souffrant de dépression et transplantés chez le rat ont conféré des symptômes analogues à ceux de la dépression. Dans une autre étude, des greffes de patients anxieux ont également créé des souris anxieuses.

Bien que toutes ces études soulignent indéniablement le lien entre le microbiome et l’état de santé mentale, la nature ou la base moléculaire exacte de ce lien restent inconnues à ce jour.

Des bactéries comme traitement pour la dépression ?

Un domaine de recherche prometteur qui vise à définir les liens entre le microbiome et le cerveau humain est axé sur l’identification des composés neuroactifs produits ou consommés par des bactéries intestinales. Dans un travail publié dans Nature Microbiology en décembre 2018, Philip Strandwitz et ses collègues de la Northeastern University de Boston ont étudié un type rare de bactérie intestinale nommé KLE1738. Ces bactéries rares se nourrissent de l’acide gamma-aminobutyrique, également connu sous le nom de GABA. À savoir qu’un autre type de bactéries (les bactéroïdes) produit du GABA, permettant ainsi à la bactérie KLE1738 de survivre.

Ces résultats soulignent la manière dont différents types de bactéries travaillent ensemble dans l’intestin. Cela est important à savoir car le GABA est un composé neuroactif nécessaire au fonctionnement normal de notre système nerveux central. Les troubles dépressifs majeurs sont associés à une réduction des taux de GABA.

Strandwitz a émis l’hypothèse que les microbiomes contenant davantage de bactéries productrices de GABA, seraient associés à un hôte humain plus heureux. Dans une petite étude pilote effectuée sur 23 patients, ceux présentant des taux plus élevés de bacteroïdes fécaux, la bactérie productrice de GABA, ont également présenté une dépression relativement légère. Cette tendance suggère un rôle possible de la bactérie dans la modification de la gravité de la dépression.

Connaître le lien exact entre l’intestin et les maladies mentales

Cependant, les résultats de cette petite étude pilote mentionnée ci-dessus sont considérés comme ambigus, car le nombre de patients était très faible et l’étude n’a pas pris en compte les médicaments pris par les sujets analysés.

En effet, un certain nombre de ces patients prenaient des antidépresseurs de différentes sortes, qui ont des effets différents et qui ont pu biaiser les résultats. En plus de l’utilisation des médicaments, d’autres caractéristiques de chaque patient, telles que l’âge, le sexe et les antécédents génétiques, ont pu influer sur le dialogue entre l’intestin et le cerveau.

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Donc, compte tenu de l’ampleur du registre psychiatrique danois, ce dernier pourrait enfin changer la donne et permettre d’apporter des résultats concluants et précis. En effet, le registre documente avec une précision extrême, chaque aspect clinique de la jeune vie de plus d’un million de personnes souffrant de diverses maladies mentales.

Ce registre offre donc la possibilité d’isoler et d’étudier chaque variable clinique. Même après avoir été classifiés en fonction de l’âge, du sexe, du type de maladie mentale, des antécédents médicamenteux ou encore de certaines variantes génétiques, le nombre de patients restera suffisant pour permettre des comparaisons significatives.

Mais l’immense valeur de ce registre peut être véritablement révélée lorsqu’il est associé à d’autres efforts du même type, à grande échelle, tels les études des interactions bactériennes dans l’intestin ou des variantes génétiques chez les patients atteints de maladies mentales.

Par exemple, l’étude sur le microbiome intestinal chez 23 patients précédemment décrit, pourrait être réexaminée à l’aide d’une cohorte de patients beaucoup plus large et mieux définie, afin de générer des résultats convaincants qui pourraient éventuellement se traduire par une amélioration des soins prodigués aux patients.

Le potentiel du registre de psychiatrie danois pour améliorer le traitement des maladies mentales a incité d’autres pays à faire de même. En effet, en novembre 2016, l’American Psychiatric Association a annoncé le lancement d’un registre national de la santé mentale appelé, PsychPRO.

Tout comme les Danois, les psychiatres américains souhaitent qu’un registre national puisse contribuer à propulser les futurs efforts de recherche et stimuler la mise au point de nouveaux moyens pour améliorer les traitements ainsi que la prévention des maladies mentales.

Sources : JAMA Psychiatry, The Danish Psychiatric Central Research Register, Nature Microbiology, American Psychiatric Association

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