Pieuvres : tout comme les humains, elles se montrent bien plus sociables sous ecstasy

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| Boban Vaiagich/iStock
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Les pieuvres sont des animaux qui fascinent les scientifiques depuis de nombreuses années, de par les stratégies complexes qu’elles sont capables de mettre en oeuvre dans diverses situations. L’étude neurobiologique de leur comportement passe par la stimulation de leur chimie cérébrale afin de mieux comprendre les voies moléculaires mises en jeu dans la régulation des interactions sociales. C’est dans cet objectif qu’une équipe de biologistes a fait ingérer à des pieuvres de la MDMA (ecstasy), dont le comportement s’est révélé inattendu.

L’expérience menée par les neurobiologistes américains n’a pas été motivée par la simple curiosité scientifique mais par la volonté de mieux comprendre les mécanismes biochimiques mis en jeu dans le transport de la sérotonine. La MDMA (3,4-méthylènedioxy-N-méthylamphétamine) — également connue sous le nom d’ecstasy — est une molécule psychostimulante de la classe des amphétamines. Elle stimule le système nerveux en provoquant des effets psychotropes et entactogènes (facilitant le contact social).

Pour les besoins de l’expérience, les chercheurs ont choisi une espèce spécifique de pieuvre, Octopus bimaculoides, particulièrement asociale et solitaire. Les résultats, publiés dans la revue Current Biology, ont révélé un lien évolutif entre l’Homme et les pieuvres dans la manière dont la sérotonine gère le comportement social.

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« Malgré des différences anatomiques entre le cerveau humain et celui de la pieuvre, nous avons montré qu’il y a des similarités moléculaires dans le gène de transport de la sérotonine » explique Gül Dölen, neurobiologiste à l’université John Hopkins (États-Unis). « Ces similarités biomoléculaires sont suffisantes pour permettre à la MDMA d’induire un comportement social chez les pieuvres ».

octopus bimaculoides pieuvre
Pour leur expérience, les chercheurs ont travaillé avec une pieuvre du genre Octopus bimaculoides ; une espèce réputée pour son caractère solitaire et asocial. Crédits :

Environ 500 millions d’années séparent l’apparition des pieuvres et de l’Homme. Toutefois, après le séquençage du génome de la pieuvre à deux points de Californie (Octopus bimaculoides), les scientifiques ont suspecté que les cerveaux de l’Homme et des pieuvres pouvaient posséder un fonctionnement similaire dans certaines situations. Et c’est une similarité génétique que les deux auteurs de l’étude ont mis en évidence.

Plus précisément, les chercheurs ont découvert que la sixième protéine transmembranaire du transporteur de la sérotonine (SERT) encodé par le gène SLC6A4 est identique entre Homo sapiens et Octopus bimaculoides.

La sérotonine est un neurotransmetteur impliqué dans la régulation de l’humeur. Lors de la prise de MDMA, le taux de sérotonine est considérablement augmenté. C’est pourquoi cette drogue est connue pour son effet euphorisant et sa capacité à favoriser le contact social. Ces effets ont également été observés chez le rat et la souris.

mdma proteine transporteur SLC6A4
La comparaison entre les génomes de l’Homme et d’Octopus bimaculoides (A) montre que la sixième protéine du transporteur de la sérotonine est identique (cercle bleu). Dans l’image B, la structure de la MDMA, les domaines transmembranaires de la protéine SLC6A4 et le site de liaison de la MDMA (étoile rouge) sont représentés. Crédits : Eric Edsinger & al.

Néanmoins, les humains, les rats et les souris sont des animaux relativement sociaux. Tandis que les pieuvres, et notamment Octopus bimaculoides, sont des animaux majoritairement solitaires, fuyant au maximum les liens sociaux. Pour tester les effets de la MDMA sur ces dernières, les neurobiologistes ont mis en place deux expériences différentes.

Dans la première, cinq mâles et femelles pieuvres ont été placées dans des chambres. D’un côté de la chambre, clairement visible à travers une séparation transparente percée d’un trou, se trouvait un objet en plastique. De l’autre côté, également visible et accessible, se trouvait une autre pieuvre dans une cage.

Sans être droguées, toutes les pieuvres, mâles et femelles, ont établi un contact social avec les femelles pieuvres encagées, mais pas avec les mâles. Donc, sans faire part d’une grande sociabilité, les animaux se sont tout de même révélés plus sociables que prévu.

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Illustration de l’expérience mise en place par les neurobiologistes. Crédits : Eric Edsinger & al.

Dans la seconde expérience, quatre mâles et femelles ont ingéré de la MDMA avant d’être replacés dans les chambres de test pour une durée de 30 minutes. Cette fois-ci, les pieuvres ont passé plus de temps à sociabiliser avec leur congénère, y compris les mâles, impliquant beaucoup de contact physique. « Ce n’est pas simplement quantitativement plus de temps, mais également qualitativement. Les pieuvres se sont mises à câliner les cages et à poser leur bouche dessus » révèle Dölen. « C’est vraiment similaire au comportement des humains sous MDMA, qui ont tendance à fréquemment établir des contacts physiques entre eux ».

Non seulement ces résultats précisent l’évolution de la signalisation sérotoninergique dans la régulation des comportements sociaux mais, en outre, ils pourraient aider à découvrir et développer des molécules psychothérapeutiques, notamment des antidépresseurs basés sur les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine. Mais pour le moment, les chercheurs souhaitent séquencer le génome de deux autres espèces de pieuvres dont le comportement est différent d’Octopus bimaculoides, ceci afin de comprendre leur évolution comportementale.

Concernant les pieuvres de l’expérience, qui ont été élevées en laboratoire — et non capturées dans la nature, celles-ci s’en sont sorties totalement indemnes. Les signes vitaux et la santé générale des animaux ont été rigoureusement et constamment surveillés, en respect des règles des lois de protection animale.

Après les test, les pieuvres ont été ramenées dans leur aquarium du Woods Hole Oceanographic Institute (Massachusetts). Selon Dölen, non seulement elles n’ont montré aucun signe de stress, mais en plus, à leur retour, elles ont donné naissance à plusieurs bébés.

Source : Current Biology

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