Des moustiques volontairement infectés par une bactérie ont permis de réduire les cas de dengue de 77%

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La dengue sévit dans toutes les provinces d’Indonésie et est endémique dans de nombreuses villes. Pour tenter d’éradiquer cette maladie transmise par les moustiques Aedes aegypti, le World Mosquito Program et ses partenaires ont mené un essai contrôlé randomisé dans la ville de Yogyakarta. Cet essai, d’une durée de trois ans, consistait à lâcher des moustiques porteurs de la Wolbachia, une bactérie qui les empêche de transmettre des arbovirus tels que le virus de la dengue ou Zika. Les résultats de ces essais sont particulièrement encourageants : le déploiement des moustiques a permis de réduire l’incidence de la dengue de 77%.

En 2019, l’Organisation mondiale de la santé a désigné la dengue comme l’une des 10 principales menaces pour la santé mondiale. Chaque année, une recrudescence de cas s’observe pendant la saison des pluies, en Asie du Sud ; près de 8 millions de cas surviennent chaque année en Indonésie. Mais la maladie tend à se répandre dans des pays plus tempérés : l’OMS estime que 40% de la population mondiale est aujourd’hui exposée au risque de dengue.

Certaines mesures — tels le ciblage chimique ou biologique des moustiques et l’élimination de leurs sites de reproduction — ont été mises en place pour lutter contre cette maladie qui peut être mortelle, mais se sont avérées vaines. Or, il s’avère que les moustiques Aedes aegypti infectés par la bactérie Wolbachia pipientis sont moins sensibles à l’infection par le virus de la dengue (et d’autres arbovirus). Pour limiter la propagation de la dengue en Indonésie, des chercheurs ont donc entrepris d’exploiter cette bactérie, qui n’est pas naturellement présente chez l’espèce A. aegypti.

Des hospitalisations réduites de 86%

Cette approche nécessite d’introduire des moustiques infectés par la Wolbachia dans les populations de moustiques sauvages, sur une période de plusieurs mois ; l’accouplement entre ces deux populations engendre en effet une progéniture infectée elle aussi par la bactérie. Pour tester l’efficacité de cette méthode, les scientifiques du World Mosquito Program, en collaboration avec la fondation Tahija et l’Université Gadjah Mada, ont réalisé des tests sur le terrain, dans la ville de Yogyakarta.

Douze zones ont été choisies de manière aléatoire pour le déploiement de moustiques infectés ; douze autres sites, non concernés par le lâcher, ont servi de zones témoins. Les moustiques porteurs de Wolbachia ont été libérés sous forme d’œufs entre mars et décembre 2017. Des frontières naturelles (routes, rivières, zones non résidentielles) ont été utilisées pour définir autant que possible les limites des différentes zones, afin de limiter la propagation spatiale de Wolbachia dans les zones non traitées. Des pièges à moustiques, disséminés dans les foyers, ont permis de surveiller l’évolution des individus porteurs de la bactérie.

répartition moustiques infectés
La ville de Yogyakarta est particulièrement touchée par la dengue. Dans le cadre des essais, des moustiques infectés par la Wolbachia ont été lâchés dans douze zones de la ville (ici en bleu foncé). © World Mosquito Program

Les résultats de cet essai grandeur nature viennent d’être publiés dans The New England Journal of Medicine. Le lâcher de moustiques infectés a conduit à une réduction de 77% de l’incidence de la dengue, ainsi qu’à une réduction de 86% des hospitalisations dues à la maladie. Plus précisément, seuls 67 cas de dengue ont été détectés dans les zones traitées, contre 318 dans les zones qui n’ont pas bénéficié du déploiement des moustiques infectés. Parallèlement, seules 13 hospitalisations ont été enregistrées dans les zones traitées (contre 102 pour les autres sites).

Au total, quatre sérotypes du virus de la dengue ont été identifiés parmi les habitants qui ont présenté des symptômes typiques de la maladie, mais l’efficacité de l’approche restait quasiment la même pour tous : l’efficacité la plus élevée a été observée pour le sérotype 2 (84%) et la plus faible concerne le sérotype 1 (71%).

Une approche prometteuse pour lutter contre tous les arbovirus

Cette technique induit une réduction à long terme de l’incidence de la dengue. Aujourd’hui, plus de trois ans après les lâchers de moustiques, la bactérie Wolbachia reste à un niveau très élevé dans la population locale de moustiques. Depuis l’essai, la méthode a été mise en œuvre dans l’ensemble des districts de la ville. « C’est un grand succès pour les habitants de Yogyakarta.[…] Nous pensons qu’il existe un avenir possible où les habitants des villes indonésiennes pourront vivre sans dengue », se réjouit le professeur Adi Utarini de l’Université de Gadjah Mada, co-investigateur principal de l’essai.

évolution populations moustiques
Évolution des populations de moustiques infectés par la bactérie Wolbachia, de janvier 2017 à janvier 2020, dans les zones où ils ont été introduits (A) et dans les zones témoins (B). © World Mosquito Program

Les résultats obtenus sont par ailleurs cohérents avec ceux d’études antérieures, menées en Indonésie, dans le nord de l’Australie et au Brésil. Pour le professeur Scott O’Neill, directeur du programme World Mosquito, ils sont la preuve que cette approche basée sur des moustiques infectés par Wolbachia est non seulement sûre et durable, mais qu’elle peut être reproduite dans différents contextes épidémiologiques. Une expérimentation similaire a été menée en Nouvelle-Calédonie, à Nouméa, de juillet 2019 à décembre 2020 ; là encore, des tests ont permis de s’assurer de la fécondité, de la fertilité et de la longévité des moustiques pour garantir son installation durable dans la ville.

Selon les scientifiques, seules les différences de climat, d’altitude et de complexité de l’environnement urbain sont susceptibles d’affecter la dynamique d’établissement de Wolbachia et par conséquent, le moment de son impact sur la propagation de la dengue. Mais cette approche demeure dans tous les cas la plus efficace à ce jour pour endiguer la maladie ; et elle pourrait être tout aussi efficace pour les autres arbovirus tels que le Zika, le chikungunya ou le virus de la fièvre jaune.

Sources : The New England Journal of Medicine, AWED Study Group

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