De nouveaux potentiels antibiotiques naturels découverts au cœur de notre génome

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La résistance aux antibiotiques, ou antibiorésistance, constitue aujourd’hui l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale. Pour contrer le phénomène, des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie ont eu l’idée de chercher de nouvelles entités antimicrobiennes directement au cœur du génome humain. À l’aide d’un algorithme qu’ils ont eux-mêmes conçu, ils ont repéré des dizaines de peptides antimicrobiens potentiels dans le corps humain.

Il est naturel que les bactéries évoluent et mutent pour résister aux médicaments, mais la surconsommation des antibiotiques chez l’homme (comme chez l’animal) tend à accélérer le phénomène. Désormais, un nombre croissant d’infections (pneumonie, tuberculose, gonorrhée, salmonellose, etc.) sont de plus en plus difficiles à traiter, car les antibiotiques conventionnels deviennent moins efficaces.

L’antibiorésistance serait la cause de 700 000 décès chaque année dans le monde (dont plus de 5500 en France) ; les maladies infectieuses d’origine bactérienne pourraient devenir en 2050 l’une des premières causes de mortalité dans le monde, en provoquant jusqu’à 10 millions de morts.

Pour faire face à ces bactéries en mutation constante, les scientifiques tentent de développer de nouvelles classes d’antibiotiques. Une équipe de chercheurs de l’Université de Pennsylvanie propose une approche différente : trouver de nouveaux antibiotiques directement dans le génome humain. Pour ce faire, ils ont conçu un algorithme de recherche qui repose sur une série de critères communs aux peptides antimicrobiens naturels. Ils rapportent avoir découvert ainsi plus de 2600 antibiotiques peptidiques « cryptés ».

Une efficacité prouvée face aux infections les plus graves

Les milliards de paires de bases du génome humain peuvent être vues comme une longue chaîne de code, qui contient les instructions pour fabriquer toutes les molécules dont le corps a besoin. Les plus basiques de ces molécules sont les acides aminés, les éléments constitutifs des peptides, qui à leur tour se combinent pour former des protéines (dont l’ensemble forme ce que l’on appelle le protéome humain). Cependant, les scientifiques n’ont pas encore déterminé avec précision comment et où est codée une série spécifique d’instructions.

C’est pourquoi le protéome est apparu comme une piste de recherche prometteuse pour dénicher de nouveaux peptides antimicrobiens. « Le corps humain est un trésor d’informations, un ensemble de données biologiques. En utilisant les bons outils, nous pouvons rechercher des réponses à certaines des questions les plus difficiles », explique César de la Fuente, qui a dirigé cette étude. Ce spécialiste est à la tête du Machine Biology Group, une initiative qui vise à mettre au point des outils et des médicaments créés par ordinateur, afin de compléter l’arsenal antibiotique actuel.

L’algorithme développé par de la Fuente et son équipe repose sur une série de caractéristiques physico-chimiques communes aux peptides antimicrobiens : une longueur de 8 à 50 acides aminés, une charge positive, des parties hydrophobes et hydrophiles. Sur la base de ces critères, l’algorithme a permis d’identifier 2 603 antibiotiques peptidiques « cryptés » — ainsi qualifiés car ils sont « cachés » dans des protéines dotées d’une fonction biologique sans aucun lien avec le système immunitaire (où l’on pourrait pourtant s’attendre à trouver la plupart des fonctions de défenses de l’organisme). « Dans cette étude, nous avons appliqué une nouvelle façon d’utiliser l’IA pour la découverte d’antibiotiques dans des endroits auparavant non reconnus », souligne l’expert.

Une fois ces centaines de peptides identifiés, l’équipe a entrepris de tester leurs propriétés antimicrobiennes in vitro et sur des modèles murins d’infection. Pour cela, ils ont synthétisé 55 d’entre eux, puis les ont exposé à huit agents pathogènes différents, dont E. coli ainsi que des bactéries à l’origine d’infection à staphylocoques et de la pneumonie (Klebsiella pneumoniae, Pseudomonas aeruginosa et Staphylococcus aureus) — des infections souvent contractées dans les hôpitaux, difficiles à soigner. « Nous avons constaté que 63,6% de ces 55 peptides cryptés présentaient une activité antimicrobienne », rapporte de la Fuente.

Des peptides qui agissent en synergie

Ces peptides ont non seulement combattu l’infection par certaines des bactéries les plus nocives au monde, mais ils ont également ciblé les organismes commensaux — qui se nourrissent des débris bactériens — de l’intestin et de la peau, qui nous sont bénéfiques, expliquent les chercheurs. Par conséquent, en plus de leur activité antibactérienne, ces peptides pourraient jouer un rôle de modulation du microbiote. L’équipe a également remarqué que ces peptides étaient capables d’agir en synergie : un ensemble de peptides provenant de la même zone biogéographique de l’organisme était capable de doper la capacité individuelle de chacun à combattre l’infection d’un facteur 100 !

Les tests réalisés sur les souris ont montré que ces peptides étaient aussi efficaces que les antibiotiques existants, sans provoquer de signes visibles de toxicité. Restait à vérifier si ces peptides cryptés conduiraient eux aussi à de nouvelles mutations bactériennes qui les rendraient moins efficaces. Sur ce point, les résultats sont tout aussi encourageants. En effet, les chercheurs ont découvert que les peptides attaquaient les bactéries en imprégnant leur membrane externe. Or, il faudrait une grande quantité d’énergie et de multiples générations de mutations pour que les bactéries résistent à ce type d’attaque. « Ce qui indique que ces peptides récemment découverts sont de bons candidats pour des antibiotiques durables », résume l’équipe.

« Ce travail souligne que chaque organisme est un ensemble de données de code auquel l’IA peut être appliquée pour trouver des molécules pertinentes », remarque de la Fuente. Ainsi, cette stratégie algorithmique pourrait non seulement déboucher sur de nouveaux antibiotiques naturels pour lutter contre la menace croissante des super-bactéries, mais si elle était appliquée au transcriptome ou au métabolome, elle pourrait également contribuer à découvrir des molécules thérapeutiques cachées pour de nombreuses autres maladies.

Source : M. Torres et al., Nature Biomedical Engineering

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