Dans la nature, des milliers d’espèces animales émettent de la lumière : des espèces marines surtout (plancton, méduses, crustacés, poissons et calmars), mais aussi certains coléoptères (lucioles et vers luisants) par exemple. La bioluminescence se fait en revanche plus rare dans le règne végétal ; seules quelques espèces de champignons affichent cette propriété. En 2017, des chercheurs du MIT ont toutefois réussi à développer une plante luminescente, qui a produit une lueur d’environ un billion de photons par seconde pendant près de 3h30. Aujourd’hui, une autre équipe de scientifiques présente une plante capable de produire une lueur autoentretenue pendant toute sa durée de vie.
La question que vous vous posez certainement est : mais à quoi peuvent bien servir des plantes autoluminescentes ? Si les scientifiques qui travaillent sur le sujet ambitionnent de développer un jour de véritables lampes de bureau, voire des réverbères naturels, nous en sommes encore loin… Mais en attendant, cette émission de lumière peut permettre de mieux comprendre certains comportements végétaux, comme l’expliquent les auteurs de l’étude : « En permettant l’émission de lumière autonome, les processus dynamiques dans les plantes peuvent être surveillés, y compris le développement et la pathogenèse, les réponses aux conditions environnementales et les effets du traitement chimique ».
Une luminosité aux multiples fonctions
La bioluminescence, c’est la production et l’émission de lumière par un organisme vivant, suite à une réaction chimique. Le composé chimique à l’origine de cette production de lumière est la luciférine : en présence d’une enzyme, la luciférase, elle s’oxyde et émet de la lumière. Le phénomène repose donc sur l’oxydation de composés organiques induisant une émission de photons.
Dans l’océan, 76% des animaux sont capables de bioluminescence ; soit ils produisent leur propre lumière, soit ils abritent des bactéries qui se chargent de cette tâche. Cette bioluminescence a de multiples fonctions chez les êtres vivants : elle permet de s’éclairer évidemment, mais aussi de communiquer, de se camoufler, d’attirer des proies ou de repousser les prédateurs.
Dans cette nouvelle étude, dont les résultats sont parus dans la revue Nature Biotechnology, des chercheurs ont conçu des plants de tabac à partir d’un système de bioluminescence fongique, qui convertit l’acide caféique (présent dans toutes les plantes) en luciférine ; la luminescence autoentretenue conférée à la plante est visible à l’œil nu. Le résultat est impressionnant :
De précédents travaux, basés sur des plants de tabac génétiquement modifiés, avaient également permis d’obtenir une luminescence ; mais dans cette nouvelle expérimentation, les plantes sont encore plus brillantes. En outre, il n’est pas nécessaire d’apporter des produits chimiques pour maintenir la luminescence car celle-ci est capable de s’autoentretenir. Enfin, la durée du phénomène dépasse toutes les espérances : alors que les chercheurs du MIT avaient observé une lueur pendant 3h30 grâce à une technique de nanobionique végétale, la lumière accompagne ici tout le cycle de vie de la plante.
Cette nouvelle lueur autosuffisante à long terme, selon l’équipe, pourrait servir d’indicateur de la réaction des plantes à leur environnement extérieur. En effet, lorsqu’ils plaçaient une peau de banane à proximité, par exemple, les plantes brillaient davantage en réponse à l’éthylène libéré par le fruit. Un scintillement et des ondulations de lumière, produits par des processus métaboliques internes qui sont généralement invisibles, ont également été observés ; cela suggère que cette recherche pourrait être un moyen intéressant d’étudier la santé des plantes.
Un « éclairage » sur le métabolisme et le comportement des espèces
L’équipe a travaillé sur deux espèces de plants de tabac, Nicotiana tabacum et Nicotiana benthamiana. Contrairement aux expérimentations passées, basées sur des plantes génétiquement modifiées à partir de bactéries bioluminescentes ou de l’ADN de luciole, ces plantes ont été développées en utilisant l’ADN de champignons bioluminescents, jugé plus efficient selon les chercheurs : « Bien que les gènes de bioluminescence bactérienne puissent être ciblés sur les plastes (ndlr : des organites situés dans le cytoplasme des cellules végétales) pour concevoir l’autoluminescence, ils sont techniquement encombrants et ne produisent pas suffisamment de lumière ».
En effet, en 2018, des scientifiques avaient étudié la production de lumière chez les champignons luminescents ; ils ont découvert que ces champignons synthétisent la luciférine à partir d’un composé appelé acide caféique. Ce dernier est exploité par quatre enzymes : deux enzymes le transforment en un précurseur luminescent, une troisième oxyde ce précurseur pour produire un photon et enfin, la quatrième enzyme reconvertit la molécule en acide caféique, qui peut être recyclé par le même processus.
Or, cet acide caféique est un composé organique que l’on retrouve dans toutes les plantes ; c’est d’ailleurs un élément clé dans la biosynthèse de la lignine, une molécule qui apporte résistance et rigidité aux végétaux. L’équipe de recherche a donc pensé qu’il pourrait être possible de modifier génétiquement les plantes pour réaffecter une partie de leur acide caféique à la biosynthèse de la luciférine, comme c’est le cas pour les champignons bioluminescents.
Ils ont alors modifié leurs plants de tabac avec quatre gènes fongiques associés à la bioluminescence, puis ils ont laissé croître leurs plants sans aucun ajout de substrat exogène. Au cours de leur développement, ils ont constaté que les plantes brillaient d’une lumière visible à l’œil nu, du semis à la maturité et ce, sans aucun impact apparent sur la santé des plantes : « Le phénotype global, la teneur en chlorophylle et en caroténoïdes, la période de floraison et la germination des graines ne différaient pas du tabac de type sauvage dans la serre, à l’exception d’une augmentation de 12% de la hauteur médiane des plantes transgéniques », ont précisé les chercheurs dans leur rapport. Un avantage certain par rapport à la bioluminescence bactérienne : l’expression du cycle de l’acide caféique n’est pas toxique pour la plante et n’impacte pas sa croissance.
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Les parties les plus jeunes de la plante brillaient le plus, les fleurs brillaient encore davantage : environ un milliard de photons par minute ! Certes, c’est moins que ce qu’avaient obtenu les scientifiques du MIT – et ce n’est pas suffisant pour lire dans la nuit – mais cette luminosité a l’avantage de durer dans le temps.
À présent, l’équipe travaille à élargir la recherche ; ils envisagent notamment de reproduire l’expérience avec des fleurs populaires comme les pervenches, les pétunias et les roses, afin de produire une lueur encore plus brillante et de couleurs différentes. Mais leur ambition ne s’arrête pas là ! « Bien que l’acide caféique ne soit pas d’origine animale, la luminescence autonome pourrait également être activée chez les animaux », ont-ils écrit. Un projet qui permettrait en effet d’en apprendre beaucoup plus sur le métabolisme de certaines espèces et sur leur manière de réagir au monde qui les entoure…