Les insectes pollinisateurs tels que les abeilles domestiques jouent un rรดle essentiel dans le maintien de l’environnement naturel et des cultures. Le dรฉclin des populations d’abeilles mellifรจres est un problรจme mondial avec des rรฉpercussions importantes sur la pollinisation des plantes et notre survie ร long terme dans le contexte du changement climatique. Que se passerait-il si les animaux pollinisateurs disparaissaient ?
Les preuves du rรฉchauffement climatique et des consรฉquences dramatiques sur les pollinisateurs sโaccumulent. La menace que cela reprรฉsente ne semble pourtant pas รชtre apprรฉhendรฉe ร sa juste valeur.
Le rรฉchauffement rapide de l’atmosphรจre terrestre modifie la composition de tous les รฉcosystรจmes actuels, sans compter la disparition des habitats et l’utilisation de pesticides. Avec l’augmentation de la tempรฉrature, les communautรฉs รฉcologiques ont commencรฉ ร changer et devraient changer encore davantage dans les annรฉes ร venir. Il a dรฉjร รฉtรฉ dรฉmontrรฉ que les changements climatiques, dont la hausse des tempรฉratures, modifient la valeur adaptative et l’aire de rรฉpartition des espรจces et, par consรฉquent, affectent la dynamique des communautรฉs au sein d’un รฉcosystรจme et notamment les pollinisateurs.
En effet, les populations d’abeilles sont en dรฉclin. Plus de la moitiรฉ des espรจces de chauves-souris aux รtats-Unis sont en grave dรฉclin ou classรฉes en voie de disparition. Et des scientifiques internationaux ont rรฉcemment annoncรฉ que le papillon monarque รฉtait dangereusement proche de l’extinction.
Ces trois espรจces sont toutes pollinisatrices. Sans elles, les fruits, lรฉgumes et autres plantes ne seraient pas pollinisรฉs. Cela reprรฉsente donc un enjeu particuliรจrement crucial pour notre approvisionnement alimentaire et notre survie. Mais quโarriverait-il si tous les pollinisateurs disparaissaientย ? Serions-nous condamnรฉsย ? Existe-t-il des solutionsย viables ?
ร lโaube dโune extinction massive ?
Selon un panel international d’experts, dirigรฉ par l’Universitรฉ de Cambridge, les abeilles, papillons, guรชpes, colรฉoptรจres, chauves-souris, mouches et colibris qui distribuent le pollen, vital pour la reproduction de plus de 75% des cultures vivriรจres et des plantes ร fleurs โ dont le cafรฉ, le colza et la plupart des fruits โ diminuent visiblement dans le monde. En 2021, ces scientifiques ont utilisรฉ les preuves disponibles pour crรฉer le premier indice de risque planรฉtaire des causes et des effets du dรฉclin dramatique des pollinisateurs dans six rรฉgions du monde. Leur article est publiรฉ dans Nature Ecology and Evolution.
Le plus grand risque direct pour lโhomme dans toutes les rรฉgions est le ยซ dรฉficit de pollinisation des cultures ยป : une baisse de la quantitรฉ et de la qualitรฉ des cultures vivriรจres et des biocarburants. Les experts ont classรฉ le risque ยซ d’instabilitรฉ ยป des rendements des cultures comme important ou รฉlevรฉ sur les deux tiers de la planรจte โ de l’Afrique ร l’Amรฉrique latine โ oรน beaucoup dรฉpendent directement des cultures pollinisรฉes par le biais de petites exploitations agricoles.
Nรฉanmoins, lโimpact se fera ressentir sur la plupart des communautรฉs. Selon la Food and Drug Administration (FDA), les pommes, les melons, les canneberges, les citrouilles, les courges, le brocoli et les amandes sont parmi les aliments les plus sensibles au dรฉclin des pollinisateurs. Les abeilles, en particulier, sont responsables de la pollinisation d’environ 90 cultures produites commercialement, rapporte l’agence.
Dans un article de CNN, Ron Magill, directeur des communications et expert de la faune au zoo de Miami, expliqueย : ยซย Tout est si รฉtroitement liรฉ, que vous mangiez des aliments directement pollinisรฉs ou quelque chose qui dรฉpend de ce pollinisateur. C’est un effet dominoย ยป.
Le Dr Lynn Dicks, du dรฉpartement de zoologie de Cambridge, dรฉclare dans un communiquรฉ : ยซย Les cultures dรฉpendantes des pollinisateurs fluctuent davantage en rendement que, par exemple, les cรฉrรฉales. Des phรฉnomรจnes climatiques de plus en plus inhabituels, tels que des prรฉcipitations et des tempรฉratures extrรชmes, affectent dรฉjร les cultures. La perte de pollinisateurs ajoute une instabilitรฉ supplรฉmentaire – c’est la derniรจre chose dont les gens ont besoinย ยป.
Sans compter que des tempรฉratures plus chaudes font fleurir les plantes plus tรดt, ce qui n’est pas synchronisรฉ avec le moment oรน les papillons pondent leurs ลufs et se mรฉtamorphosent. Cela signifie que les fleurs dont ils dรฉpendent pour se nourrir ont dรฉjร fleuri, leur laissant peu de nourriture, ce qui a un impact considรฉrable sur leur capacitรฉ ร se reproduire et ร survivre.
Cependant, les chercheurs avertissent que les connaissances sur l’รฉtat des populations de pollinisateurs dans les pays du Sud sont encore trop faibles, car les preuves du dรฉclin proviennent encore principalement de rรฉgions riches comme l’Europe (oรน au moins 37% des espรจces d’abeilles et 31% des espรจces de papillons sont en dรฉclin). Les dรฉficits de pollinisation et la perte de biodiversitรฉ sont considรฉrรฉs comme les plus grands risques pour les Europรฉens, avec le potentiel d’affecter des cultures allant des fraises au colza.
La Dr Lynn Dicks, contactรฉe par e-mail par Trust My Science, expliqueย : ยซย Il y a beaucoup d’efforts de recherche sur l’รฉcologie et la conservation des pollinisateurs, mais beaucoup moins sur les impacts potentiels de leur dรฉclin. Il y a des groupes qui travaillent lร -dessus, y compris le mien, mais gรฉnรฉralement, les estimations se concentrent uniquement sur la contribution des pollinisateurs ร la production agricole. Cela reflรจte un trรจs petit sous-ensemble de pollinisateurs communs โ environ 2% des espรจces prรฉsentes dans un lieu donnรฉ effectuent 80% du travail. Les impacts du dรฉclin de la diversitรฉ des pollinisateurs en gรฉnรฉral sont beaucoup plus difficiles ร รฉtudierย ยป.
Les consรฉquences pourraient รชtre dโune ampleur plus importante que nous le pensions, impactant bien plus profondรฉment les รฉcosystรจmes dans lesquels les pollinisateurs sont prรฉsents que nous l’estimions. ยซ Si le changement climatique se poursuit sans contrรดle, il pourrait y avoir des impacts trรจs importants sur certaines espรจces de pollinisateurs dans les dรฉcennies ร venir, mรชme si nous savons trรจs peu de choses sur ce qu’ils seront ยป, ajoute Dicks pour Trust My Science.
La disparition des abeilles modifiera la nature que nous connaissons
Dans un article de Newsweek, Robert Gegear, professeur adjoint au Dรฉpartement de biologie de l’Universitรฉ du Massachusetts ร Dartmouth, explique que sur le plan รฉcologique les abeilles ne sont qu’une partie d’un plus large รฉventail d’interactions plantes-pollinisateurs comme les mouches, les papillons, les mites, les chauves-souris et les colibris, comme mentionnรฉ prรฉcรฉdemment.
Mais cela ne signifie pas que la suppression des abeilles alors que d’autres pollinisateurs seraient รฉpargnรฉs n’aurait aucun impact. Par exemple, les valeurs culturelles et esthรฉtiques seraient touchรฉes. En effet, cela pourrait inclure les valeurs d’agrรฉment de communautรฉs vรฉgรฉtales, les valeurs d’emblรจmes ou de symboles et la valeur des pollinisateurs en tant que sources d’inspiration pour l’art, la musique, la littรฉrature, la religion et la technologie, comme le souligne lโรฉtude de Lynn Dicks et al., de 2021.
Robert Gegear souligneย : ยซย C’est la diversitรฉ des plantes, ou des produits vรฉgรฉtaux sauvages originaires de ce systรจme, qui soutient la diversitรฉ des autres espรจces sauvagesย ยป. Il ajouteย :ย ยซย Alors que nous commenรงons ร supprimer ces connexions du cรดtรฉ animal ou du cรดtรฉ vรฉgรฉtal, nous verrons รฉventuellement l’effondrement de l’รฉcosystรจme et la perte de services รฉcosystรฉmiques. Ce sont des choses que nous obtenons gratuitement de la nature, comme la sรฉquestration du carbone et la purification de l’eau, qui dรฉpendent toutes d’รฉcosystรจmes sains et diversifiรฉsย ยป.
Ainsi, en plus de perdre une partie des produits que nous consommons tous sur la planรจte, les services รฉcosystรฉmiques comme la sรฉquestration du carbone seraient encore un peu plus mis ร mal, accรฉlรฉrant la boucle du rรฉchauffement climatique dans laquelle nous nous entรชtons ร rester.
En altitude, les mouches remplacent dรฉjร les abeilles
Comme Robert Gegear le fait remarquer, les abeilles ne sont pas les seuls pollinisateurs et leur disparition dans certains รฉcosystรจmes laissera une place vacante, que dโautres espรจces vont sโempresser de combler. Les scientifiques sโaccordent effectivement tous ร dire que ยซ la nature nโaime pas le vide ยป.
En particulier, les espรจces vivant dans des environnements de haute altitude pourraient รชtre les plus sensibles aux changements dans la dynamique des communautรฉs en raison de leur nature isolรฉe. Les pollinisateurs ont un facteur de stress supplรฉmentaire liรฉ au changement climatique en raison de leurs fortes associations biotiques. Il est prรฉvu que, mรชme si les communautรฉs de pollinisateurs sont susceptibles d’รชtre protรฉgรฉes de l’inadรฉquation phรฉnologique (les plantes ne fleurissent plus au moment oรน les pollinisateurs en ont besoin, et inversement), les interactions plante-pollinisateur varient considรฉrablement, selon une รฉtude de Hegland en 2009. De plus, les pollinisateurs peuvent รชtre capables de migrer vers le nord en latitude ou en altitude plus rapidement que leurs plantes hรดtes, crรฉant une autre inadรฉquation spatiale entre les plantes et leurs pollinisateurs.
De surcroรฎt, une รฉtude de 2021 montre que le long des gradients d’altitude, les communautรฉs de pollinisateurs passent de communautรฉs dominรฉes par les abeilles ร des communautรฉs dominรฉes par les mouches, en tant que principal visiteur des fleurs dans les environnements de haute altitude. Les auteurs pensent que cela est principalement dรป ร la diminution des populations d’abeilles, alors que les mouches ne dรฉclinent pas. Par consรฉquent, ils peuvent occuper un espace de niche qui n’รฉtait pas disponible ร des altitudes plus basses.
Mais quand aucune des ยซ options de pollinisation naturelle ยป nโest possible, la technologie peut-elle รชtre une rรฉelle alternative et une option ร la perte de biodiversitรฉ ?
Les drones agricoles, solution miracle ou solution surrรฉalisteย ?
L’idรฉe que la pollinisation robotisรฉe des cultures rรฉsoudra le dรฉclin des pollinisateurs a rรฉcemment gagnรฉ en popularitรฉ et, en mars 2018, Walmart a dรฉposรฉ une demande de brevet pour des abeilles robots autonomes. ร la suite de cette annonce, un groupe de chercheurs a publiรฉ une รฉtude prรฉsentant six arguments montrant qu’il s’agit d’une ยซ solution ยป techniquement et รฉconomiquement non viable ร l’heure actuelle, et qui prรฉsente des risques รฉcologiques et moraux importants.
En effet, (1) malgrรฉ les avancรฉes rรฉcentes, la pollinisation robotisรฉe est loin de pouvoir remplacer les abeilles pour polliniser efficacement les cultures ; (2) l’utilisation de robots est trรจs peu susceptible d’รชtre รฉconomiquement viable ; (3) il y aurait des coรปts environnementaux inacceptables ; (4) des รฉcosystรจmes plus larges seraient endommagรฉs ; (5) cela รฉroderait les valeurs de la biodiversitรฉ ; et (6) compter sur la pollinisation robotisรฉe pourrait conduire ร une insรฉcuritรฉ alimentaire majeure.
Nรฉanmoins, lโidรฉe et les projets fleurissent ร travers le monde. L’un des nombreux projets est celui dโun drone possรฉdant une bande de duvet, sous le corps, imprรฉgnรฉe de gels liquides ioniques synthรฉtisรฉs permettant de recueillir le pollen sur une fleur et de la dรฉposer sur une autre. Dโautres drones pollinisent grรขce ร un pistolet ร bulles. Lโobjectif serait dโรฉquiper ces drones de GPS ou dโune intelligence artificielle permettant de polliniser les bonnes plantes.

En avril 2022, une expรฉrience grandeur nature sur des poiriers au Japon a rencontrรฉ un franc succรจs. Ces arbres รฉtaient auparavant pollinisรฉs ร la main, par manque de pollinisateurs. Les chercheurs estimaient alors que leurs drones engendraient des rendements bien plus importants. Dans un communiquรฉ, Song Wen, agronome principal de lโรฉtude, expliquait : ยซ L’utilisation de drones pour la pollinisation assistรฉe par liquide peut grandement rรฉduire la demande de main-d’ลuvre pendant la floraison ยป. Les drones pourraient polliniser autant de poiriers en une minute que 3 personnes par jour pour la mรชme surface, selon l’รฉtude.
Sans compter que grรขce aux technologies telles que ยซย l’Internet des objetsย ยป et la surveillance des cultures par tรฉlรฉdรฉtection, les drones ont fait de la production agricole du Xinjiang Corps une agriculture ยซย intelligenteย ยป. Les drones peuvent fournir des services tels que la protection des plantes, la fertilisation, le semis, la pollinisation, etc. Ils sont de plus en plus populaires et sont devenus un support solide pour l’agriculture intelligente.
Nรฉanmoins, de nombreux scientifiques soutiennent que la pollinisation robotique ne cherche pas fondamentalement ร รฉviter ou ร attรฉnuer les crises รฉcologiques ou alimentaires, mais plutรดt ร valoriser les opportunitรฉs รฉconomiques que ces crises pourraient offrir ร certains secteurs industriels de l’รฉconomie agroalimentaire. De plus, la mise ร lโรฉchelle de ces mรฉthodes est difficile, voire impossible pour que le rendement permette un apport alimentaire suffisant pour la population mondiale.
La Dr Lynn Dicks, interrogรฉe ร ce sujet par Trust My Science, partage cette perplexitรฉ quant ร lโusage des drones : ยซ Remplacer le travail des pollinisateurs de cultures par des robots, ou des drones, est une idรฉe ridicule, ร mon avis. Il est trรจs peu probable que ce soit rentable ร grande รฉchelle, et cela crรฉera ses propres problรจmes de pollution. Pourquoi ne pas mettre nos efforts ร soutenir les pollinisateurs sauvages, qui font le travail gratuitement. Prendre soin des paysages et cultiver de maniรจre plus durable d’une maniรจre qui soutient des populations de pollinisateurs florissantes prรฉsente de nombreux avantages pour chacunย ยป.
Des drones pour les cultures sous serre, futur de lโagriculture ?
Il faut savoir que le dรฉclin des pollinisateurs et les conditions mรฉtรฉorologiques imprรฉvisibles font recourir de plus en plus ร des cultures sous serre, permettant un strict contrรดle de conditions de vie, mais rรฉduisant la biodiversitรฉ naturelle.
Cโest dans ce contexte que le dรฉploiement des drones serait le plus efficace, selon une nouvelle รฉtude de l’Universitรฉ Western Sydney parue en septembre 2022, visant ร estimer si de petits drones autonomes pourraient efficacement polliniser les tomates et les fraises dans les environnements de culture protรฉgรฉs australiens et รฉliminer le besoin de mรฉthodes manuelles.
Le directeur gรฉnรฉral de Polybee, fournisseur de services technologiques associรฉ ร lโUniversitรฉ Western Sydney, Siddharth Jadhav, explique que les microdrones, mesurant 15 cm x 15 cm, survolent chaque grappe de fleurs jusqu’ร 15 secondes dans une serre. L’air mis en mouvement par le drone fait vibrer les fleurs pour disperser le pollen, avant que le drone ne passe ร la plante suivante. Les drones utilisent des ยซ techniques de vision 3D pour la prรฉcision, l’amarrage autonome et le chargement sans filย ยป.
Il ajouteย dans un communiquรฉ : ยซย Dans une ferme intรฉrieure, un drone dรฉcolle pour la pollinisation et les mesures des plantes, retourne ร sa base lorsqu’il est ร court d’รฉnergie, se recharge sans fil en une heure et demie et reprend son fonctionnement lร oรน il s’รฉtait arrรชtรฉย ยป.
ร la fin de ce projet en septembre 2023, la pollinisation autonome des fraises et des tomates aura รฉtรฉ comparรฉe aux techniques de pollinisation conventionnelles et alternatives, et un rapport sera soumis recommandant les prochaines รฉtapes si la technologie dรฉmontre un potentiel รฉlevรฉ.
Finalement, les donnรฉes concernant le dรฉclin des animaux pollinisateurs et lโimpact sur lโHomme prรฉsentent des lacunes importantes selon les rรฉgions du monde. Mais les scientifiques sโentendent sur le fait que le dรฉclin de ces animaux est un vรฉritable flรฉau dโune part pour notre agriculture et lโavenir de notre alimentation, et dโautre part pour la stabilitรฉ des รฉcosystรจmes dans lesquels ils sont prรฉsents. Des idรฉes pour pallier ces pertes fleurissent, notamment avec les drones pollinisateurs. Mais ces derniers posent de nombreux problรจmes รฉthiques, techniques et รฉconomiques. Il apparait plus pertinent de chercher ร prรฉserver nos รฉcosystรจmes sains et nos pollinisateurs. Nรฉanmoins, il est certain que le changement climatique enclenchรฉ transformera le monde que nous connaissons actuellement de faรงon irrรฉmรฉdiable.

