Les scientifiques de l’Institut coréen de l’énergie de fusion, où siège le réacteur nucléaire connu sous le nom d’expérience KSTAR (Korea Superconducting Tokamak Advanced Research), annoncent avoir réussi à maintenir un plasma à 100 millions de degrés pendant 30 secondes. Cette stabilité du plasma à très haute température indique que nous sommes peut-être proches d’un réacteur à fusion viable.
La fusion nucléaire apparaît comme l’une des technologies les plus prometteuses pour un avenir énergétique sans émissions de gaz à effet de serre. En tant qu’énergie « propre », sûre (pas de risque d’emballement de la réaction) et durable (les combustibles nécessaires sont quasi illimités), l’énergie de fusion nucléaire pourrait véritablement révolutionner le secteur et contribuer positivement à la lutte contre le changement climatique. Néanmoins, il n’est pas si simple de recréer sur Terre la réaction qui se déroule au cœur des étoiles…
Malgré des décennies de recherche, même les installations les plus modernes peinent à maintenir la matière ionisée à une température supérieure à 100 millions de degrés pendant plusieurs dizaines de secondes — la condition sine qua none pour que la réaction de fusion ait lieu et produise de l’énergie. L’équipe de l’expérience KSTAR annonce avoir réalisé une nouvelle percée dans ce domaine : « Grâce à des ions rapides abondants stabilisant la turbulence du plasma central, nous générons des plasmas à une température de 100 millions de kelvins qui durent jusqu’à 20 secondes sans instabilité des bords du plasma ni accumulation d’impuretés », résument les chercheurs dans Nature.
Manipuler le champ magnétique pour augmenter la stabilité
L’expérience KSTAR a établi son premier record mondial en 2016, lorsqu’elle est parvenue à maintenir un plasma à 50 millions de degrés pendant 70 secondes. La barre des 100 millions de degrés a été franchie en 2018 : l’expérience n’avait alors duré qu’1,5 seconde. Mais l’équipe n’a eu de cesse de chercher à augmenter cette durée, maintenant le plasma à cette même température pendant 8 secondes en 2019, puis 20 secondes en 2020. L’amélioration de la technologie de contrôle du plasma et l’optimisation des conditions de champ magnétique leur ont finalement permis de garder le plasma extrêmement chaud pendant 30 secondes.
Plusieurs techniques sont utilisées pour contenir le plasma (car si ce dernier entre en contact avec les parois du réacteur, il se refroidit et la réaction s’arrête). La plupart des installations expérimentales reposent sur un confinement magnétique, réalisé au sein d’un tokamak ; d’autres procèdent par confinement inertiel. Le KSTAR, dont la construction a été achevée en 2007, utilise le confinement magnétique — c’est d’ailleurs l’un des premiers tokamaks à utiliser des aimants supraconducteurs toroïdaux et poloïdaux.
Différentes formes de champs magnétiques peuvent être utilisées. Certaines expériences utilisent ce que l’on nomme une edge transport barrier (ETB), une « barrière » tout autour du plasma qui provoque une coupure nette de la pression près de la paroi du réacteur — ce qui empêche la chaleur et le plasma de s’échapper. D’autres utilisent une internal transport barrier (ITB), qui crée une pression plus élevée près du centre du plasma. Ces deux approches peuvent néanmoins générer pas mal d’instabilités.
L’équipe sud-coréenne a testé une nouvelle technique, en modifiant l’ITB de manière à ce que la densité de plasma soit beaucoup plus faible. Cette approche a eu pour effet d’augmenter les températures au cœur du plasma et de les abaisser à la périphérie — ce qui prolongera probablement la durée de vie des composants du réacteur. « Ce régime est rarement sujet à des perturbations et peut être maintenu de manière fiable, même sans contrôle sophistiqué, et représente donc une voie prometteuse vers des réacteurs de fusion commerciaux », ont écrit les chercheurs.
Un objectif de 300 secondes en 2026
La densité du plasma est plus faible que celle obtenue dans les autres expériences de réaction de fusion, mais elle est compensée par des températures plus élevées en son cœur. D’après l’équipe, une faible densité de plasma, combinée à une puissance d’entrée modérée, est la clé pour établir le régime souhaité en préservant une fraction élevée d’ions « rapides » (ou plus énergétiques) qui contribuent à stabiliser le plasma — une approche appelée « fast-ion-regulated enhancement » (FIRE).
La réaction a été arrêtée au bout de 30 secondes en raison des limitations du matériel, mais il devrait être possible de prolonger cette durée à l’avenir. L’objectif est de maintenir le plasma à 100 millions de degrés pendant 300 secondes d’ici 2026, rapporte Business Korea. Pour ce faire, il est prévu d’améliorer la source d’alimentation et de remplacer les composants en carbone de la paroi par du tungstène pour empêcher une augmentation de la température de la paroi interne.
À noter que le record de temps d’entretien du plasma est pour le moment détenu par le tokamak chinois EAST (Experimental Advanced Superconducting Tokamak), qui en décembre 2021, a maintenu un plasma à 70 millions de degrés pendant plus de 17 minutes (1056 secondes). Plus récemment, le tokamak européen (le Joint European Torus ou JET), installé à Oxford, a lui aussi battu un record en produisant une quantité d’énergie inédite : 59 mégajoules pendant cinq secondes.
Malgré ces avancées, il reste de grandes incertitudes concernant la façon dont cette physique pourra être adaptée à des dispositifs plus grands, tels que des centrales électriques. En particulier, il faudra trouver le moyen d’extraire efficacement la chaleur du réacteur, sans quoi ces centrales seraient tout simplement inutiles.